Opération Fox Hunt et Opération Skynet : la campagne de harcèlement de ses dissidents par le régime chinois s’exporte à ciel ouvert en Europe et aux Etats-Unis <!-- --> | Atlantico.fr
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Des étudiants universitaires arborent un drapeau du Parti communiste chinois pour marquer le 100e anniversaire du parti à Wuhan, le 10 septembre 2021.
Des étudiants universitaires arborent un drapeau du Parti communiste chinois pour marquer le 100e anniversaire du parti à Wuhan, le 10 septembre 2021.
©STR / AFP

Emprise de Pékin

La Chine exporte la répression des opposants au régime à l'aide d'un réseau d'espions. La traque des dissidents est devenue mondiale. Les opérations Fox Hunt et Skynet ciblent les critiques de Pékin où qu'ils aillent.

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico : Durant de nombreuses années, la République Populaire de Chine s’est élevée sur la scène internationale en tant que grande puissance respectant le droit des autres États plutôt que cherchant à étendre son hégémonie à travers la planète. Néanmoins, certaines politiques qu’elle met en place semblent aller à l’inverse de cela. Les opérations Fox Hunt ou Skynet sont-elles de bons exemples de cela ? En quoi consiste-t-elle ? 

Emmanuel Véron : Il faut rappeler que les opérations Fox Hunt ou Skynet ne sont pas nouvelles. Si ces dernières datent grosso modo de l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en tant que Secrétaire général du PCC, chef des armées et Président de la République populaire, l’essence même de ces manœuvres est bien plus ancienne. En effet, le Parti a toujours eu plusieurs unités, divisions ou directions en charge des questions de ciblages de ressortissants chinois à l’étranger. Et les motifs sont divers : corruption, espionnage (agent double ou retourné), opposition politique, minorités (tibétains, ouighours etc.), Hong Kong ou Taïwan…

Depuis 2013, les cibles étaient les « tigres » et les « mouches », à savoir les hauts dirigeants du PCC et les petits cadres (locaux, divers secteurs etc.) ainsi que les « renards », poursuivis pour corruption à l’étranger. Ainsi, ces opérations sont des projections à l’extérieur du territoire chinois de sécurité politique intérieure… Ces opérations se sont accentuées depuis cette date et ce, partout dans le monde, de l’Asie (Asie du sud-est, en passant par Hong Kong) à l’Europe jusqu’en Amérique… Le principal sujet est la fuite de capitaux, dans les paradis fiscaux (distribués entre les Caraïbes, Luxembourg etc.) lié à un enrichissement rapide de diverses élites articulées au pouvoir central depuis Jiang Zemin. Ce dernier étant l’adversaire paroxysmal de Xi Jinping, une lutte féroce pour le pouvoir s’est fortifiée depuis une décennie. En sommes, ces opérations ne sont pas tant des opérations de lutte anti-corruption sur le territoire chinois et à l’international qu’une métaphore filée de la rivalité du pouvoir au sommet du système de Parti-Etat pékinois.

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L’autre sujet important pour Pékin, en outre, de la chasse aux « corrompus » de la sphère Jiang Zemin puis Hu Jintao est une constante, fondatrice du régime, la lutte contre les « cinq poisons » : Taïwan, les Ouighours, les Tibétains, le Falun gong et les pro-démocraties.

Au total, la RPC dirigée par le Parti-Etat incarne aujourd’hui plus encore qu’il y a une décennie le retour d’une structure impériale affirmée très éloignée de l’Etat-Nation. En quête de parité stratégique avec les Etats-Unis, et à termes, l’ambition d’être la première puissance mondiale, le Parti-Etat vit, cependant, toujours dans la crainte d’un effondrement. Le renforcement, ses dernières années, du Parti sur l’Etat illustre cette angoisse quitte à insuffler au peuple l’idée d’une menace extérieure venant des cinq poisons ou de l’occident.

Ces opérations illustrent très bien l’articulation entre politique intérieure et politique extérieure. Il y a une forte dépendance entre la survie du régime et les facteurs extérieurs à la matrice chinoise. Aussi, Pékin a considérablement augmenté ses moyens dans les opérations extérieures liées aux cinq poisons et aux affaires de corruption. 

Y-a-t-il un désir de la part de la Chine d’éteindre la dissidence au-delà de ses frontières ? Les autres États réagissent-ils face à cette « agression » chinoise ? 

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Le régime est animé par l’obsession du contrôle. A l’intérieur, l’homogénéité et l’unité sont indiscutable ; à l’extérieure, l’image du Parti, en écran de celle de la Chine doit être aussi contrôlée et toutes idées contraires, ou simplement contre-vérité, ou discussions sont ciblées, nourrissant la diplomatie dite des « Loups combattants ». Il est évident que ce processus confère à diverses formes d’ingérence du régime chinois en dehors de ses frontières.

Il faut bien comprendre que les « Cinq poisons » comme « les renards » sont bien la cible des services de sécurité chinois, capable de monter des opérations plus ou moins sophistiqués, jusqu’à des choses très « tordues » pour atteindre ses objectifs et satisfaire l’empereur. Par voie de conséquences, les anciens proches des réseaux Jiang Zemin ou Hu Jintao à l’étranger qui ont fait fortune dans divers secteurs (industriels, banques, agroalimentaire, immobilier etc…) vivent aujourd’hui dans une forme de paranoïa, qui disons-le, est un des modus operandi voulu par ces diverses opérations. Au total, plusieurs arrestations à travers le monde, des morts suspectes, des disparitions etc… en France, au Royaume-Uni, à Hong Kong, etc… le tout illustre les capacités des services chinois à mener des opérations plus ou moins discrètes toujours plus loin de son territoire.

À terme la Chine veut-elle mettre en place un régime d’extraterritorialité pour tous les citoyens chinois qui sont dans sa zone d’influence ? 

Les Etats-Unis restent Le modèle farouchement jalousé par le régime et par certains chinois, pour son niveau de puissance, son rayonnement sur le monde, autant par ce que les chinois ne peuvent faire…Ainsi, les logiques d’extraterritorialité, technique, financière, monétaire etc… là les Etats-Unis excellent… sont bien sûr analysées et fantasmées à Pékin. En ce sens, Pékin souhaite développer un système de comptage, fichage et identification de l’ensemble des diasporas chinoises dans le monde, anciennes comme nouvelles. Cette liaison avec ces « diverses chines » en dehors de La Chine est l’une des grandes questions pour la décennie à venir. La logique voudrait que l’extension du réseau diplomatique chinois, l’expansion des technologies de surveillance (liée à l’IA, quantique et big data) conduisent toujours plus la politique extérieure de la Chine à polariser ses messages et objectifs en direction des populations chinoises (ou d’ascendance) à l’étranger.

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