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Opération « Kalya Mueller » : la mort d’al-Baghdadi n’est qu’un épisode dans la lutte contre le salafisme-djihadisme. Un successeur est déjà nommé
©PRAKASH SINGH / AFP

L'histoire se répète

Le 27 octobre dernier, Donald Trump a annoncé la mort d'al-Bagdhadi, le chef du groupe l'Etat Islamique. S'il s'agissait là d'une victoire politique pour le camp américain, elle fut de courte de durée puisque le successeur de l'ancien chef de Daesh a déjà été nommé.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Les forces américaines ont lancé dans la nuit du 26 au 27 octobre une opération héliportée destinée à neutraliser Abou Bakr al-Baghdadi, le « calife » de l’« État islamique » aujourd’hui disparu. Cette opération a été baptisée "Kalya Mueller" en souvenir de cette humanitaire enlevée en 2013 en Syrie avant d'être livrée en tant qu’esclave sexuelle au calife autoproclamé. Ainsi, au petit matin du 27 octobre, huit hélicoptères CH 47 Chinook du 160th Special operations aviation regiment transportant des éléments du 1st Special Forces Operationnal Detachment-Delta et du 75ème régiment de Rangers escortés par des AH-64 Apache auraient décollé d’une base située dans le nord-est syrien contrôlé par les Forces démocratiques syriennes (FDS). Puis ils ont suivi un trajet le long de la frontière turco-syrienne dont une partie est contrôlée par les Russes et des forces légalistes syriennes. Les vols aller et retour duraient environ 70 minutes. Ces phases représentaient un grand risque car un appareil pouvait être abattu par un tir sol-air inopportun et c'est pour cette raison que les Kurdes de Syrie, les Russes, les Turcs et les forces légalistes syriennes auraient été informés de ces survols, mais sans dévoiler l'objectif final.

Baghdadi se cachait dans la région d'Idlib dans une villa appartenant à Abou Abou al-Bara’a al-Halabi, un membre du mouvement Huras al-Din (affilé à Al-Qaida) dans le village de Baricha situé à cinq kilomètres de la frontière turque.  L’opération aurait engagé une centaine de commandos. Deux groupes d’une dizaine de commandos Delta protégés par les Rangers ont crée une brèche dans le mur d’enceinte pour pénétrer en sécurité dans le counpound. Après avoir demandé par haut parleur aux résidents des lieux de se rendre (onze enfant ont pu ainsi être récupérés), ils ont ensuite procédé aux recherches. L’action a débutée à 05H01 et s’est terminée à 07H15 quand les commandos ont annoncé la mort de l’émir de Daech. La durée relativement longue de cette opération s’explique par le fait que de nombreuses caches souterraines étaient à explorer tout en assurant un maximum la sécurité des assaillants. C’est dans l’une d’elle que al-Baghdadi accompagné de deux enfants aurait été acculé. Se sentant perdu, il a actionné sa ceinture explosive faisant s’effondrer une partie du tunnel sur lui et les enfants qui l’accompagnaient. Les Américains ont pu néanmoins récupérer sa dépouille et comparer son ADN à celui récupéré sur des sous-vêtements qu’il avait porté ! Au total, au moins six adultes dont al-Baghdadi, deux de ses épouses et leur hôte Halabi cité plus avant, auraient été tués. L’US Air force est intervenue après le départ des commandos pour raser le site pour effacer toute trace de l’intervention.

Ce serait les services irakiens qui auraient identifié sa position (même si le général Mazloum Abdi commandant les SDF en réclame aussi la paternité).  Selon certaines sources, il y serait installé depuis juillet alors que Baghouz, la dernière ville du califat, est tombée aux mains des FDS le 23 mars! Le renseignement technique aurait aussi été mis à contribution permettant la localisation d’un appel d’un portable d’une des deux épouses qui l’accompagnaient. Ce counpound semblait être tout sauf discret, au moins pour les reconnaissances aériennes. À noter que les Américains avaient commencé à bombarder tout ce qui semblait dépendre d’Al-Qaida dans la zone depuis la fin juin. Comme par miracle, ce lieu parfaitement identifié comme appartenant au Huras al-Din dépendant directement de la nébuleuse n’avait toujours pas été visé.

Il reste maintenant un mystère. Est-ce que le retrait des forces américaines de Syrie annoncé à la fin 2018 par le président Trump n’était pas une vaste opération de désinformation destinée à rassurer al-Baghdadi et à le faire sortir de son trou ? Les nouveaux déploiements US qui ont eu lieu après son élimination dans les zones riches en pétrole à l’est de l’Euphrate semblent bien confirmer cette hypothèse.

Le 31 octobre, Abou Hamza al-Qurashi se présentant comme le nouveau porte-parole de Daech confirmait la mort d’Al-Baghdadi et d’al-Muhajir et annonçait la nomination comme calife Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qurachi et appelait tous les musulmans à lui prêter allégeance. Le problème est que pour le moment, on ne connaît pas leur identité réelle car ce ne sont que des pseudonymes même si des noms circulent dont celui d'Adnane Abou Walid al-Sahraoui dit Abou Walid. Il est le chef de l’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS). L’EIGS est né du départ de Abou Walid et de ses partisans du groupe dissident d’Al-Qaida, Al-Mourabitoune. Il aurait été absorbé au début 2019 par la wilayat de l’Afrique de l’Ouest (qui a été formée à l’origine par Boko Haram). Basé principalement au Mali le long de la frontière entre le Mali et le Niger, l’EIGS a revendiqué plusieurs attaques sous la direction d’Abou Walid, notamment l’attaque du 4 octobre 2017 contre une patrouille conjointe américano-nigérienne dans la région de Tongo Tongo au Niger, près de la frontière malienne. Cette attaque a entraîné la mort de quatre soldats américains et de quatre militaires nigériens. Si c’est lui le nouveau "calife", c’est pour cette raison que le président Trump a déclaré "nous le connaissons très bien". L’attaque du 1er novembre contre la caserne d’Indelimane qui a fait au moins 54 victimes et la mort le lendemain d’un soldat français dans la même région a été revendiquée par la wilayat de l’Afrique de l’Ouest. Il est possible que cela soit pour "saluer" l’intronisation d’Abou Walid comme nouvel émir de Daech. Bien sûr, tout cela reste à confirmer.

Al-Qaida peut aussi profiter de l’occasion pour récupérer les "égarés" qui avaient rejoint Daech alors en odeur de victoire. Comme la rivalité entre les deux organisations tenait surtout au fait que al-Zawahiri ne pouvait pas supporter l'ambitieux al-Baghdadi et que ce dernier refusait de le considérer comme son "émir", il est possible que cette querelle personnelle s'apaise et que Daech ne soit réintégré au sein d’Al-Qaida. La guerre contre les islamistes radicaux est donc loin d'être finie car il est extrêmement difficile de lutter contre une idéologie.

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