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"Oncle Vania" : Des effets du refus de l’histoire
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Des effets du refus de l’histoire De : Anton Tchekhov Traduction : Virginie Ferrere et Galin Stoev Mise en scène : Galin Stoev Avec : Suliane Brahim, Caroline Chaniolleau , Sébastien Eveno, Catherine Ferran, Cyril Gueï, Côme Paillard, Marie Razafindrakoto en alternance avec Élise Friha et Andrzej Seweryn.

Anne-Claude  Ambroise-Rendu pour Culture-Tops

Anne-Claude Ambroise-Rendu pour Culture-Tops

Anne-Claude Ambroise-Rendu est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).

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THÈME

Dans un domaine familial campagnard, Astrov, ami et médecin de la famille, Vania et Marina la nourrice racontent à quel point l’arrivé de Serebriakov, un universitaire renommé, marié à une jeune femme, Elena, a bouleversé leur existence. Le vieux savant a en effet choisi de prendre sa retraite dans le domaine familial, dont il s’était contenté jusqu’alors de toucher la rente produite par le travail de sa fille Sonia et de son beau-frère Vania.

L’arrivée du couple a rompu l’équilibre qui régnait au domaine fait de travail et de renoncement. Confrontés à la vanité et aux caprices du professeur, à la beauté troublante d’Elena et à l’oisiveté négligente de ces nouveaux arrivants inconscients des contraintes matérielles qui pèsent sur les campagnes russes, les uns et les autres se révèlent peu à peu, parfois de manière explosive....

POINTS FORTS

Tchékhov, évidemment qui, rompant avec toutes les règles du théâtre (classique, baroque, romantique), propose la chronique quotidienne de ceux qui ne sont pas des héros, et nousconvie à la contemplation de l’écoulement de la vie, en même temps qu’à une observation scrupuleuse des nouveautés de son temps.

Si on peut adresser une mention particulière à Cyril Gueï et Andrzej Seweryn, il n’en reste pas moins que tous les comédiens sont vraiment formidables

QUELQUES RÉSERVES

Pourquoi avoir souhaité placer l’action de la pièce dans un « futur proche dystopique » ce qui obligeait en effet à “« actualiser“ » la langue de Tchékhov ? Voici qui est complètement incompréhensible. Les tourments que vivent les personnages de Tchékhov ne gagnent rien à être « deshistoricisés ». D’une part, parce que leurs errements sentimentaux, leurs lâchetés et leurs mesquineries comme leurs questions existentielles traversent fort bien les siècles. D’autre part, parce qu’ils vivent bien la fin d’un monde, celui d’une économie organique et servile qui, en se transformant en économie industrielle, est en train de tuer les vieilles hiérarchies sociales, de sonner le glas d’un mode de vie fondé sur la rente foncière et l’oisiveté de quelques uns, ce qui les affecte profondément, tout en menaçant gravement l’équilibre du monde sauvage.

La question de la destruction des forêts et de ses effets sur le climat traverse tous les pays engagés dans la révolution industrielle au XIXe siècle, et il est largement aussi intéressant de saisir la profondeur historique de cette préoccupation que de vouloir l’installer dans le temps présent ou la projeter dans le futur. Comme de laisser résonner cette injonction de Serebriakov : « Il faut, messieurs, travailler ! Il faut travailler » qui marque l’entrée dans un temps nouveau, celui d’un capitalisme productiviste dont Tchekhov aperçoit nettement les effets. 

Est-ce le résultat de ce choix ? Le décor est affreux et semble complètement arbitraire. Les portes coulissantes fermées/-ouvertes/-fermées, le rideau en lames de plastiques, le petit robot à bras (censées figurer l’omniprésence de la machine dans le monde ?), les empilements de carton et de pneus, cet environnement est à peine et tardivement sauvé par la présence des poules dont le caquètement allègre, en provoquant le rire irrépressible de spectateurs, a quasiment ruiné une partie de l’acte IV.

ENCORE UN MOT...

Incroyant et matérialiste, Tchékhov construit un théâtre psychologique, quotidien, traversé de silences et d’impuissance : ses personnages agissent peu, souvent mal, le plus souvent en vain… 

Échouant à trouver le bonheur, ils sont marqués par l’échec et la désespérance. Serebriakov revêtu d'une gloire universitaire factice, Astrov épuisé par son dévouement médical et assistant impuissant à la destruction du monde vivant, Sonia, Elena, Astrov, Vania cherchant vainement l’amour… tous sont hantés par la mélancolie, ne trouvant d’échappatoire que dans le travail, ou la fuite. 

C’est tout le contenu de la crise d’une fin-de-siècle privée de Dieu et confrontée aux conditions aliénantes du monde moderne que Tchékhov livre ici, lui qui abhorrait les vulgarités de la vie « petite-bourgeoise ». L’écho de cette anxiété vibre évidemment avec une intensité particulière en ce début du XXIe siècle.

UNE PHRASE

Astrov : « Ceux qui viendront dans cent ans, deux cents ans, et à qui nous frayons la voie, s’ils viennent à penser à nous, est-ce qu’ils penseront du bien de nous ? Eh non, nourrice, ils ne penseront pas de bien.

(…) Dans le coin il n’y avait que deux types honnêtes et intelligents – toi[Vania]et moi. Mais en une dizaine d’années la vie mesquine, la vie minable nous a eus, elle nous a empoisonné le sang de sa pourriture et nous sommes devenus aussi vulgaires que le reste du monde.

Sonia Nous allons vivre, oncle Vania. Nous allons vivre une longue, longue file de jours, de soirées, nous allons patiemment supporter les épreuves que nous inflige notre sort… Nous allons avoir, tous les deux, mon cher oncle, une vie lumineuse, belle, harmonieuse, qui nous donnera de la joie, et nous penserons à nos malheurs d’aujourd’hui (la turbulence des hurluberlus qui sont partis) avec un sourire ému, et nous nous reposerons. » 

L'AUTEUR

Oncle Vania paraît en 1897, dans un recueil de pièces ; la pièce est jouée pour la première fois deux ans plus tard au théâtre artistique de Moscou, avec Olga Knipper, la future femme de Tchékhov, dans le rôle d’Elena.

En rompant avec toutes les règles du théâtre de son temps et des siècles passés, la dramaturgie tchékhovienne a eu certes du mal à s’imposer, mais a assuré également son succès pour longtemps donnant raison à Astov lorsqu’il dit : « Si, dans mille ans, les hommes sont heureux, eh bien, ça sera aussi, un tant soit peu, à cause de moi !  »

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