Nicole Belloubet, ministre du caprice du chef et de la démission du politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Nicole Belloubet, photo AFP
Nicole Belloubet, photo AFP
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Choc des savoirs

Nicole Belloubet remplace Amélie Oudéa-Castéra au ministère de l'Education nationale. Une décision qui n'est pas sans soulever un certain nombre de questions...

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est délégué Education de Debout la France. Professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français, il est également l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012). 

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Eric Deschavanne

Eric Deschavanne

Eric Deschavanne est professeur de philosophie.

A 48 ans, il est actuellement membre du Conseil d’analyse de la société et chargé de cours à l’université Paris IV et a récemment publié Le deuxième
humanisme – Introduction à la pensée de Luc Ferry
(Germina, 2010). Il est également l’auteur, avec Pierre-Henri Tavoillot, de Philosophie des âges de la vie (Grasset, 2007).

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Atlantico : Nicole Belloubet a été désignée pour remplacer Amélie Oudéa-Castéra au ministère de l’Education nationale. Gabriel Attal avait récemment essayé d’insuffler des réformes prometteuses au sein de ce ministère après des décennies durant lesquelles l’égalité primait sur l’instruction. La nomination de Nicole Belloubet n’est-elle pas une forme de renoncement et de revirement par rapport aux objectifs et aux engagements de Gabriel Attal en matière d’éducation, notamment vis-à-vis de l’instruction, de l’autorité ou des réformes ambitieuses ?

Eric Deschavanne : Le véritable décideur est à l’Élysée. Or, en matière d’éducation, le locataire de l’Élysée a fait la preuve qu’il n’avait ni convictions ni ligne directrice. La nomination de Pap Ndiaye pour succéder à Jean-Michel Blanquer était incompréhensible et n’a été comprise par personne. Celle de Nicole Belloubet n’a pas davantage de sens. Il n’y a de continuité que dans la versatilité, un coup à droite, un coup à gauche. Je suppose que l’objectif est de de flatter « en même temps » ou alternativement les attentes de l’opinion et celles des acteurs du système éducatif. Gabriel Attal avait su incarner politiquement la rupture attendue par l’opinion. Nicole Belloubet saura incarner le conservatisme attendu par l’administration et les syndicats. 

Emmanuel Macron prend cependant le risque de démonétiser Gabriel Attal. Celui-ci, mettant ses pas dans ceux de Jean-Michel Blanquer, s’était forgé au ministère de l’Éducation nationale, en à peine six mois, une image d’homme de conviction, à la fois réaliste, réactif, ferme et audacieux. Attal ne peut toutefois pas se prévaloir d’un bilan. Il est impossible de savoir si ses annonces étaient l’expression d’un réformisme authentique ou bien d’une simple stratégie de communication. Il a certes eu l’intelligence de comprendre que, face au caractère catastrophique des résultats de l’enquête PISA, résultats qui confirmaient la pente du déclin enregistré depuis vingt ans, seul un discours de rupture idéologique pouvait avoir un effet politique immédiat. Mais davantage que l’entrée en vigueur des quelques annonces qui ont été faites, c’est la ligne directrice dans la durée qui importe pour commencer à transformer la réalité. Or, de toute évidence, il est peu vraisemblable que Nicole Belloubet soit en mesure d’incarner « le choc des savoirs » voulu par Gabriel Attal, elle dont les convictions en matière de politique éducative, pour ce qu’on peut en connaître, sont conformes aux orientations qui sont celles de l’administration de l’Éducation nationale depuis quarante ans.

Jean-Paul Brighelli : Macron depuis le début n’a qu’une idée : le fameux « en même temps » — hérité de la dialectique enseignée en prépas. Un coup à droite — Rachida Dati ; un coup à gauche — Nicole Belloubet — censée calmer la colère des syndicats après les mensonges et les approximations d’Oudéa-Castéra.. 

Le problème, c’est que les convictions très pédalos de la dame entrent nécessairement en contradiction avec les propositions formulées par Gabriel Attal lors de son court passage rue de Grenelle. 

Parce que les convictions de Belloubet, c’est ça :

« Loin des fariboles sur la restauration de l’autorité ou le port de la blouse, ceux qui sont réellement confrontés aux tâches éducatives cernent aujourd’hui l’essentiel : il faut sortir du cadre rigide du cours magistral, laisser du temps et de l’autonomie aux jeunes, ménager le droit à l’erreur dans les processus d’apprentissages. »

Et encore, je passe sur sa condamnation explicite de Mila, coupable du délit de blasphème — qui n’existe pas dans notre Constitution, mais une agrégée de Droit ne peut pas tout savoir.

Bref, je m’attends au pire, en particulier sur le volant « laïcité ». Les convictions profondes de Belloubet vont dans le sens de l’entente cordiale avec des communautés qui ne pensent qu’à nous anéantir.

Même si l’autorité reste du côté de Gabriel Attal, le langage technocratique de Nicole Belloubet sur les groupes de niveaux et sa fibre profonde (notamment son opposition à l’autorité) ne vont-ils pas fragiliser le poids et l’action du ministère de l’Education nationale ?

Jean-Paul Brighelli : Attal avait émis des propositions diverses, sans les relier à une ligne précise — faute de temps peut-être. Belloubet en fera de la charpie, et peuplera son ministère de tous les chevaux de retour du pédagogisme. Mais Attal sait-il seulement ce qu’est le pédagogisme — encore que ses propositions sortant toutes de mes livres, il doit en avoir une idée… Une petite idée, sinon il n’aurait pas accepté Belloubet à ce poste. 

Eric Deschavanne : Après le catastrophique passage éclair d’Amélie Oudéa-Castéra, Nicole Belloubet a sans doute pour mission de rassurer les acteurs du système. Elle a été Rectrice, elle connaît le système éducatif, ses convictions sont conformistes, elle devrait donc être plutôt bien accueillie. 

Sa déclaration relative aux groupes de niveau est en effet typique du jargon technocratique de l’administration, lequel n’a jamais eu aucune difficulté à donner un semblant d’existence au cercle carré, au changement dans la continuité et à la continuité dans le changement. Une « organisation flexible » ne devrait avoir aucun mal à faire exister ce qui existe déjà (en théorie), à savoir la coexistence de classes indifférenciées et d’un « accompagnement personnalisé » répondant aux « besoins spécifiques des élèves ». Il suffit donc que rien ne change pour que la réforme Attal entre en vigueur ! 

Si les représentants politiques ne sont pas en mesure d’affirmer leur autorité, l’administration et les syndicats auront-ils le champ libre au sein de l’Education nationale sous le mandat de Nicole Belloubet ? Le ministère de l’Education nationale ne va-t-il pas être complètement cogéré par les syndicats ? 

Eric Deschavanne : Je ne sais pas, il ne faut pas faire de procès d’intention. Disons qu’Attal était un ministre politique soucieux d’incarner une ligne directrice compréhensible par l’opinion publique tandis que Nicole Belloubet devrait davantage être tournée vers les attentes des acteurs du système. Les convictions qu’elle a jadis affichées se situent aux antipodes des préconisations de Gabriel Attal. On peut donc légitimement supposer qu’on va lui demander d’être dans la gestion, pas d’incarner une ligne idéologique. Cela pourrait être un moindre mal pour le système éducatif : une bonne gestion est toujours préférable à une mauvaise politique. Mais ce n’est à l’évidence pas Nicole Belloubet qui mettra un terme à la dérive du paquebot Éducation nationale.

J’ai lu l’article de Nicole Belloubet commenté par la presse depuis sa nomination. Par-delà les quelques orientations idéologiques (contre l’autorité, pour le pédagogisme) sur lesquelles elle n’aura, je pense, pas trop de difficulté à s’asseoir, j’ai été frappé par le caractère « technocratiquement conforme » de son propos. Un propos qui se veut vaguement subversif (le titre « Supprimer le ministère de l’Éducation nationale ? » étant présenté comme une « provocation source de réflexion »), mais qui aurait pu être signé par n’importe quel bureaucrate de l’administration centrale. On y rencontre en effet tous les lieux communs distillés par l’administration de l’Éducation nationale au cours des dernières décennies, formulés sans le moindre recul critique, mais on n’y trouve en revanche pas la queue du début d’un commencement de diagnostic sur les causes du déclin du système éducatif, déclin pourtant attesté par toutes les enquêtes internationales depuis vingt ans. Dans cet article, Nicole Belloubet n’évoque jamais réalité scolaire, comme s’il s’agissait pour elle d’une abstraction, si ce n’est par une simple et très pudique expression, « la diversité des situations » auquel le système doit faire face. Pour initier des réformes pertinentes, il importerait pourtant au plus haut point de se faire une idée précise de ce que recouvre cette « diversité des situations ». 

Jean-Paul Brighelli : C’était déjà le cas dans les années Bayrou, en 1993-1997, où le ministre cogérait avec la représentante du SNES, Monique Vuaillat. C’est reparti pour un tour — cette fois, ce sera avec Sophie Vénétitay. Quelques saupoudrages de salaires suffiront à calmer la grogne des syndicats — mais certainement pas celle des enseignants, confrontés à des classes intenables, des programmes flous, des options (la fin du collège unique) qui demandent une gestion fine, au cup par coup, et non des directives venues d’en haut. 

Ce qui est sûr, c’est que la libéralisation du système scolaire, qui aurait permis enfin au public de réaliser à armes égales avec le privé, est remise… à plus tard.

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