Mobilisations à Sciences Po et dans les universités occidentales : l’ombre portée de la République islamique d’Iran <!-- --> | Atlantico.fr
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Le guide suprême d'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei.
Le guide suprême d'Iran, l'ayatollah Ali Khamenei.
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Immixtion

Par le biais de ses relais et d'activistes, la République islamique d’Iran s’est ingérée dans les manifestations propalestiniennes depuis la tragédie qu’a subi Israël 7 octobre.

Emmanuel Razavi

D’origine iranienne, Emmanuel Razavi est grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient. Il collabore avec Paris Match, Franc-Tireur, Politique Internationale, Valeurs Actuelles. Il a réalisé plusieurs documentaires sur le Moyen-Orient diffusés sur Arte, la chaine Planète et M6, qui ont eu un large retentissement. Auteur de plusieurs ouvrages, son dernier livre, « La face cachée des Mollahs » (Cerf, 2024), révèle le visage mafieux et terroriste de la République islamique d’Iran. Il est diplômé en sciences politiques.

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Atlantico : L’Ayatollah Khamenei, guide suprême de la Révolution islamique iranienne, a fait un tweet dans lequel il se félicite des mobilisations dans les universités occidentales en parlant non pas d’ailleurs de mobilisations propalestiniennes mais de manifestations anti-israéliennes et anti-américaines. Pour vous qui connaissez très bien l’Iran et le fonctionnement de son régime, on peut même se demander si la République islamique ne serait pas impliquée dans l’organisation de ces mobilisations. Quels sont les éléments qui selon vous le suggèrent, voire l’établissent ?

Emmanuel Razavi : J’ai longuement enquêté sur les réseaux de la République islamique d’Iran et ses lobbys en Europe. J’en parle dans mon livre « La Face cachée des Mollahs » ainsi que dans une enquête que j’ai publiée il y a quelques mois. Par son réseau d’ambassades, le régime des Mollahs a investi la sphère associative et culturelle. Il a aussi établi des liens avec le monde universitaire depuis longtemps, y compris en France, notamment dans des milieux d’extrême gauche. Il mandate ainsi certains de ses relais pour animer des conférences qui font la promotion d’idées favorables à la République islamique, mais aussi à ses proxys comme le Hamas. Mon enquête m’a permis d’établir que la République islamique d’Iran s’est ingérée dans les manifestations propalestiniennes depuis la tragédie qu’a subi Israël 7 octobre. Cela ne veut pas dire qu’elle les a organisées. Elle y a plutôt fait passer ses éléments de langage, par le biais de ses relais et d’activistes. Il ne faut pas être dupe, la stratégie de Téhéran est d’affaiblir nos démocraties en faisant feu de tout bois et en manipulant des naïfs ou des gens idéologisés dans certains milieux universitaires ou dans certains groupuscules politiques d’extrême gauche. Les services iraniens se sont également rapprochés des réseaux liés aux Frères musulmans pro-Hamas en Europe. Cela m’a d’ailleurs été confirmé par une source proche du régime iranien, spécialiste du renseignement que j’ai longuement interviewée pour Paris Match et pour mon livre. La cause palestinienne tel qu’instrumentalisée actuellement, c’est une sorte de cheval de Troie pour les services de renseignement iraniens.

Après l’occupation de Sciences Po, Gabriel Attal a dénoncé vendredi dans ces mobilisations l’importation d’un mouvement venu d’outre-Atlantique. Comment expliquer cette manière de passer sous silence ce qui est en réalité aussi exporté directement depuis le Moyen-Orient ?

Le wokisme crée un terrain propice à la propagation du discours islamiste et antisémite. Gabriel Attal a raison d’y faire allusion. Mais ce n’est qu’une face du problème. Car ce wokisme ne représente un terrain propice aux idées islamistes et antisémites que parce que des lobbys iraniens, turcs, ou autres, véhiculent ces idées. Je le raconte aussi dans mon livre : il y a une retenue excessive à pointer du doigt l’Iran chez nos politiques. En raison de la peur du terrorisme islamiste iranien, mais aussi parce que nous avons des otages détenus en Iran. Notre diplomatie, comme nos gouvernants, sont donc particulièrement frileux sur le sujet.

Vous dites aussi que ces mobilisations dans les universités vous rappellent ce qui s’est passé en Iran à partir de 1978 dans les mois ayant précédé la révolution islamique, et notamment l’alliance qui s’y était nouée entre l’extrême-gauche et l’islamisme. Quelque chose de similaire pourrait-il selon vous se jouer en France ?

De nombreux spécialistes de l’Iran, comme ceux qui ont vécu la révolution de 1979, le constatent. On entend les mêmes slogans antisionistes, les mêmes appels au soulèvement, les mèmes non-sens historiques. Je rappelle que la révolution iranienne de 79 a émergé depuis les universités. A l’époque, l’extrême gauche s’était alliée aux islamistes, sur le thème : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis », théorisé dans les années 20 par un révolutionnaire communiste iranien dénommé Sultan Zadeh. Lorsque les islamistes ont pris le pouvoir avec les militants d’extrême gauche en 79, il n’a pourtant pas fallu un an avant que des dissensions apparaissent. Khomeini a alors émis une fatwa pour faire arrêter et condamner à mort ses anciens alliés. Bref, je sais que comparaison n’est pas raison, et que la France de 2024 n’est pas l’Iran de 1979.  Toutefois, je me souviens à l’époque de mon grand-père iranien qui nous disait : « Les islamistes au pouvoir en Iran, ça n’arrivera jamais ». On connait la suite. Il faut donc considérer ce qui se passe comme quelque chose de dangereux pour notre démocratie. L’alliance entre islamistes et extrême gauche conduit inévitablement à la violence verbale, puis à la violence physique.

Un certain nombre d’universitaires, et le CNRS lui-même, ont contesté le qualificatif d’islamo-gauchiste en considérant qu’il n’y avait aucune réalité scientifique derrière ce concept alors que la seule histoire de l’Iran pourrait déjà permettre de l’établir, y compris dans sa dimension française. S’agit-il selon vous de mauvaise foi idéologique ou d’aveuglement ?

Laissez-moi vous rappeler certains faits historiques, largement documentés. Dans les années 1910, un jeune Iranien dont j’ai parlé précédemment, Sultan Zadeh, de son vrai nom Avtis Michaelian, rejoint la Russie. 10 ans plus tard, il devient conseiller de Lénine. En 1922, il devient représentant du Parti communiste iranien. C’est lui qui va théoriser l’alliance des islamistes avec les communistes/marxistes. C’est en s’inspirant de ses théories que dans les années 60/70, les révolutionnaires iraniens d’extrême gauche et les islamistes s’allièrent. Un certain nombre s’étaient connus en prison ou à l’université, et militèrent ensemble contre le Shah. Cette alliance entre islamistes et extrême gauche les porta à la victoire en 1979. Comme vous le savez, ils avaient pris leur essor en infiltrant les milieux universitaires, d’où ils ont appelé aux manifestations, puis au soulèvement.

On se souvient également qu’en 1978, Jean-Paul-Sartre, qui participa à la création du journal Libération, fit partie d’un comité de soutien à l’ayatollah Khomeini, premier guide suprême de la République islamique. Le philosophe Michel Foucault, à cette époque, qualifia même Khomeini de « Saint ». Je rappelle que Khomeini a fait exécuter des dizaines de milliers d’opposants, qu’il était pour le jihad mondial, pour l’extermination des homosexuels et la destruction d’Israël, entre autres choses. Il suffisait de lire ses livres pour comprendre que c’était un psychopathe. Cela n’a pas gêné ces intellectuels de gauche qui ont soutenu la révolution islamiste en Iran. La révolution islamique de 1979 est en fait autant une révolution marxiste qu’islamiste. En France, elle doit clairement sa légitimation au soutien d’intellectuels de gauche comme Sartre et Foucault qui ne se sont guère attendri sur les crimes contre l’humanité commis par les sicaires de la République islamique.

Que diriez-vous à de jeunes étudiants français qui se mobilisent pour la paix à Gaza : comment distinguer une mobilisation légitime pour la défense des droits des Palestiniens de ce qui relève d’une manipulation des opinions occidentales ?

Comme la plupart d’entre nous, je comprends que ces jeunes soient sensibles à la tragédie de la guerre au Proche Orient, et au sort des Palestiniens. Nous sommes tous meurtris par la mort de civils palestiniens, comme nous devons l’être par celles des Israéliens qui ont été victimes de l’attaque terroriste du 7 octobre. J’ai couvert beaucoup de conflits, et je sais que pour les victimes d’une guerre, les larmes sont les mêmes dans chaque camp. Mais je rappellerai d’abord à ces jeunes qu’Israël est une démocratie, qu’elle a été victime d’un pogrome le 7 octobre 2023, et qu’elle a déclenché une riposte militaire contre le Hamas qui est une organisation terroriste islamiste, même si encore une fois, je déplore, comme chacun, les morts civils. Je leur raconterai aussi ce que j’ai vu du Hamas lors de mes reportages là-bas,  à savoir les attentats odieux qu’ils ont commis contre des innocents, mais aussi le fait qu’un certain nombre de Palestiniens ne veut pas d’eux et les considèrent comme la cause du problème actuel.

Par ailleurs, je leur dirai que si la création d’un État palestinien est une cause juste, Israël a de son côté le droit à vivre en tant que nation, et en sécurité. Je leur demanderai surtout combien d’entre eux sont allés sur place.

En réalité, une chose me choque : la dimension antisémite de ces manifestations. Cela nous ramène aux heures les plus sombres de l’histoire. Moi, je suis d’origine iranienne. Mon père, né musulman chiite, m’a appris que le peuple juif était « le peuple cousin des Iraniens », car ils ont une histoire commune vieille de 2600 ans. Alors je suis consterné que Sciences Po laisse prospérer cet antisémitisme sur son campus, sous couvert d’antisionisme. Cela m’effraye de savoir qu’il se passe ce genre de choses dans l’école qui est supposée former les élites françaises.

Si ces jeunes veulent se mobiliser, qu’ils le fassent avec une connaissance parfaite de l’histoire, ce qui ne me semble pas être le cas. Qu’ils réfléchissent à des solutions en faveur de la paix et de la création de deux États. Mais pas en reprenant l’un des symboles de la seconde intifada que j’ai d’ailleurs couverte, et qui est clairement un appel au meurtre des juifs. C’est inadmissible, c’est une forme de fascisme potentiellement meurtrier. Je leur demanderai aussi pourquoi ils ne se mobilisent pas en faveur des victimes de la République islamique d’Iran qui torture, viole et tue nombre de ses jeunes opposants qui aspirent simplement à la démocratie et à la paix avec Israël et l’occident. Vous savez, je suis diplômé de l’un des IEP de Sciences po. A l’époque où j’ai suivi mes cours et obtenu mon diplôme, c’était un lieu de débat, et j’étais fier de ce que cela représentait. Aujourd’hui, je suis effrayé par ce qui s’y passe.

Beaucoup d’éléments ont été publiés sur les opérations russes visant à déstabiliser les démocraties occidentales, moins sur la stratégie de la république islamique d’Iran en la matière. Y a-t-il un entrisme iranien au sein des institutions françaises, notamment universitaires ?

Je l’ai raconté dans une longue enquête il y a quelques mois. Les services secrets russes forment les services secrets iraniens depuis longtemps. Ils partagent aussi des listes d’opposants. Depuis le 7 octobre, leur collaboration s’est notamment axée autour de la déstabilisation des démocraties européennes. Ils s’appuient sur des relais liés aux organisations islamistes comme celle des Frères musulmans, mais aussi sur des activistes d’extrême gauche qui évoluent dans le monde universitaire et associatif. Écoutez les slogans dans certaines manifestations propalestiniennes, cela ressemble de près aux éléments de langage de la République islamique d’Iran. Donc oui, il y a un entrisme iranien en France, dans certains milieux. Cela inquiète d’ailleurs des spécialistes du renseignement que j’ai interviewés. Car ce phénomène intervient alors que l’Europe subit aussi des ingérences chinoise et turque. Cela menace la stabilité de notre démocratie.

La République islamique d’Iran a lourdement investi pour la cause du Hamas à Gaza (200 millions de dollars versés selon le Hamas lui-même). Là encore, l’histoire entre la cause palestinienne et celle de la révolution islamique est ancienne. À quand remonte-t-elle vraiment et à quoi l’imputer alors même que les relations entre chiites et sunnites sont le plus souvent tendues et qu’une alliance entre l’Iran et le Hezbollah paraît sur le papier plus naturelle qu’une alliance entre l’Iran et le Hamas ?

En 1979, des miliciens palestiniens, notamment liés à l’OLP, étaient venus à Téhéran soutenir l’ayatollah Khomeini. Ils se sont livrés à de nombreuses exactions. Le 17 février 1979, soit deux semaines après le retour de l’Ayatollah Khomeini, Arafat se rendit à Téhéran pour le féliciter de sa victoire. Il fut accueilli en héros. C’est d’ailleurs durant sa visite que Khomeini annonça la rupture des relations diplomatiques avec Israël, et qu’il décida d’ouvrir une ambassade palestinienne. Je rappelle que les relations étaient d’autant plus fortes entre eux que plusieurs activistes iraniens, qu’ils soient fedayin ou moudjahidines, avaient été formé à la guérilla dans des camps palestiniens. Arafat déclara même à l’époque : « La route de la Palestine passe désormais par l’Iran ».

45 ans plus tard, la République islamique forme des jihadistes du Hamas et du Jihad islamique. Elle leur fournit de l’argent, et des armes. On peut expliquer ces liens par deux faits historiques. Le premier est que Khomeini entendait devenir le leader du monde musulman, chiite comme sunnite. Le deuxième, c’est qu’il a été très influencé par la doctrine de Seyyed Qutb, l’un des théoriciens les plus emblématiques des Frères musulmans égyptiens. Khomeini considérait d’ailleurs que le véritable inspirateur de la révolution islamique était son ami Navab Savavi, disciple de Seyyed Qutb. J’ai d’ailleurs interrogé à ce sujet, pour mon livre, Mohsen Sazegara, le cofondateur des Gardiens de la révolution, qui me l’a confirmé.        

Tout cela a facilité les relations avec le Hamas, qui se créa en 1987 en tant que branche palestinienne des Frères musulmans, comme l’explique sa charte originelle. De plus, la République islamique fait feu de tout bois avec les causes qui fragilisent l’occident et Israël. Actuellement, on sait que des combattants d’al Qaida s’entraînent en Iran. Pourtant, sur le papier, on pourrait croire qu’ils n’ont rien à voir avec les Mollahs iraniens. Mais si l’on y regarde de plus près et qu’on lit leur littérature, on se rend compte que tous ces groupes ont le même objectif : instaurer un nouveau califat, ou un État islamique au Moyen-Orient.

On a vu des Iraniens, célèbres ou non, se mobiliser pour dire leur opposition à la politique anti Israélienne de leur pays depuis le 7 octobre. Y-a-t-il un hiatus entre le régime et la population iranienne en la matière ?

Je vous l’ai dit : le peuple iranien est solidaire d’Israël dans sa majorité car Juifs et Perses partagent une histoire ancienne. Il y a environ 2600 ans, on raconte que c’est le roi perse Cyrus le Grand qui sauva le peuple juif de l’esclavage auquel l’avait réduit Nabuchodonosor II. On raconte aussi que Cyrus finança la reconstruction du temple de Jérusalem. Cette tradition d’amitié entre les deux peuples est inscrite dans l’ADN perse. Par ailleurs, nombre de jeunes iraniens disent souhaiter que l’Iran devienne un jour une démocratie à l’image d’Israël. Dès lors, ces iraniens ne se reconnaissent pas dans la République islamique. Une étude interne au régime réalisée il y a un an montre que 71% des Iraniens veulent plus de lui. Je vous rappelle enfin que les Iraniens ont manifesté plusieurs fois pour que la République islamique arrête de financer le Hezbollah et le Hamas. Cela ne vous aura pas échappé : la jeunesse iranienne, qui subit l’islamisme depuis 45 ans, est en majorité à l’opposé des jeunes de sciences po qui manifestent contre Israël et de ceux qui instrumentalisent la cause palestinienne comme Rima Hassan et les gens de LFI. Avide de démocratie, de paix et de liberté, elle veut des relations apaisées avec l’État hébreux, et rêve de vivre en Amérique ou en France, dont elle a conscience que ce sont des démocraties.

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