Mise au ban de la messe en latin : le jeu dangereux du pape François avec l’unité de l’Eglise <!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François a publié une lettre apostolique sur la formation liturgique, Desiderio Desideravi.
Le pape François a publié une lettre apostolique sur la formation liturgique, Desiderio Desideravi.
©ANDREAS SOLARO / AFP

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Le pape François vient de publier une lettre apostolique sur la formation liturgique, intitulée Desiderio Desideravi. Le pape clarifie son choix en faveur de la réforme liturgique et écarte la pratique tridentine et notamment la messe en latin.

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé, historien, spécialiste de l’histoire du christianisme. Il est rédacteur dans la revue de géopolitique Conflits. Dernier ouvrage paru Géopolitique du Vatican (PUF), où il analyse l'influence de la diplomatie pontificale et élabore une réflexion sur la notion de puissance.

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Atlantico : Dans une longue lettre apostolique, Desiderio desideravi, « J’ai désiré d’un grand désir », le pape a décidé de mettre fin aux "polémiques" sur la liturgie ravivée depuis un an. Il clarifie son choix en faveur de la réforme liturgique et écarte la pratique tridentine et notamment la messe en latin. Comment le pape François justifie-t-il sa décision ?

Jean-Baptiste Noé : Ce texte est à lire dans la continuité du motu proprio de juillet 2021 qui a très fortement restreint l’usage du missel Jean XXIII. L’usage de ce missel ne concerne qu’une toute petite partie de l’Église, mais la brutalité et la violence du texte ont choqué les esprits bien au-delà des fidèles réguliers de cette forme liturgique. Une blessure s’est créée, François ayant rouvert la guerre liturgique que Jean-Paul II et Benoît XVI avaient patiemment guérie. 

Ce texte est d’une très haute tenue intellectuelle, loin des verbiages lénifiants des autres publications du pape Bergoglio. Il cite abondamment Romano Guardini, l’un des plus importants liturgistes du XXe siècle. Il apporte une réparation et une guérison aux douleurs créées en juillet dernier en proposant une réflexion profonde et spirituelle sur le sens de la liturgie. 

Contrairement à un abus de langage courant, la messe en latin n’est nullement interdite. Le latin est et demeure la langue de la célébration de la messe, même si la plupart des paroisses font usage de la langue vernaculaire. Rien n’interdit de célébrer la messe actuelle en latin, au contraire, les textes du concile Vatican II réitèrent son usage. François cite à de nombreuses reprises la constitution Sacrosanctum concilium, texte du concile Vatican II qui traite de la liturgie. Or ce texte réaffirme que le latin est la langue de l’Église et le grégorien son chant ordinaire. C’est par abus des pratiques et abandon des textes du concile que dans l’esprit des personnes le latin est devenu la langue de la messe d’avant le concile et le français celle de la messe d’après. 

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Au-delà de la justification du souverain pontife, comment expliquer une telle décision ?

Il s’agit de réparer et de guérir la blessure causée par sa décision brutale de juillet 2021. Le pape replace la messe dans son sens véritable pour les catholiques : ce n’est pas une réunion associative, ce n’est pas un diner mondain c’est, selon les mots du pape François, la commémoration de la Pâque et du sacrifice du Christ.

Nombre d’abus liturgiques ont été commis depuis les années 1970 dans la célébration de la messe, abus qui expliquent en partie le rejet du missel de Paul VI par certains fidèles. Ce sont ces abus que le pape cherche à arrêter. 

Une très grande partie de sa lettre est consacrée à la formation liturgique que les fidèles doivent avoir. Et en effet on constate une grande ignorance liturgique dans les paroisses, qui expliquent en partie les abus commis, que ce soit dans les tenues vestimentaires, le choix des chants, la façon de célébrer. Il demande que les fidèles soient formés, mais aussi les futurs prêtres dans les séminaires. En somme, il est conscient que la réforme liturgique du concile a été bien souvent mal appliquée et qu’il est donc nécessaire que les catholiques en prennent mieux la mesure afin de respecter la lettre du concile.

Dans quelle mesure une telle décision est-elle dangereuse pour l’unité de l’Église ?

En réaffirmant que seuls les missels promulgués par Paul VI et Jean-Paul II sont valables, et donc que le missel de Jean XXIII n’est plus légitime, il va incontestablement braquer les fidèles attachés à ce que Benoît XVI a appelé « la forme extraordinaire du rite romain. » Il y a un risque non négligeable de sécession, voire de schisme, chez certains. 

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Mais cette lettre va aussi braquer les progressistes. Je constate que sur leurs sites et réseaux ce document est très peu relayé. Ce que dit François va aussi à l’encontre de leurs pratiques. En insistant sur la sacralité de la liturgie, sur la nécessité de respecter les missels et donc de cesser la créativité, mais aussi en parlant longuement des silences indispensables lors de la messe, il s’oppose aux pratiques débridées qui ont encore cours dans certaines paroisses.

Le pape semble vouloir faire preuve de progressisme en écartant le rite tridentin pour la messe. Lorsque l’on regarde les exemples étrangers (en Belgique, dans l’Église anglicane, etc.) l’ouverture de l’Église ne s’est-elle pas justement affaiblie lorsqu’elle a choisi de faire preuve de progressisme ?

Toujours. Lorsque l’Église se modèle sur le monde, elle disparait. Il l’a d’ailleurs récemment rappelé aux évêques allemands en leur disant qu’il y avait déjà une église protestante en Allemagne et donc qu’il n’était nullement nécessaire d’en avoir une seconde. C’est bien cela qui inquiète les progressistes, et qui explique leurs crispations actuelles sur la messe : ils ont compris que, d’un strict point de vue démographique, ils allaient disparaitre.

Cette décision pourrait-elle être un point de rupture au sein de l’Église ?

Non. Les fidèles attachés au missel de Jean XXIII disposent encore de lieux où celui-ci est utilisé, même s’il y a eu plusieurs restrictions. On peut espérer qu’en soignant la liturgie et en respectant le missel promulgué par Paul VI, les prêtres sauront montrer la beauté de celui-ci et donc contribuer, localement, à apaiser les tensions liturgiques. D’autant que l’Église a des défis beaucoup plus importants à relever que de rester dans les querelles des années 1970.

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