Migrants, traumatisme post-Charlie, Grèce, loi Macron, Uber… Un portrait de la France par ses épisodes obsessionnels de l’année écoulée<!-- --> | Atlantico.fr
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La marche républicaine le 11 janvier
La marche républicaine le 11 janvier
©Reuters

Bilan

Atlantico a passé en revue les thèmes qui ont taraudé les Français depuis le début de l'année pour tenter, à partir de là, de révéler leur vision du monde, leurs craintes et leurs espoirs.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Google et Yahoo, internet

Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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L'Etat islamique

Eric Verhaeghe : L'Occident feint de ne pas comprendre l'immense répétition historique qui se déroule au Moyen-Orient. Lorsque les Européens ont occupé Jérusalem grâce aux Croisades, ils ont suscité une prise de conscience à la fois arabe et islamique dans le monde musulman. C'est Saladin, un Kurde de Tikrit, qui parvint à cristalliser un nationalisme arabo-musulman fondé sur l'idée que la modernité de l'Orient supposait un régime musulman militairement efficace et structuré, capable de rivaliser avec les armées chrétiennes. Pour plusieurs siècles, l'idée que la puissance arabo-musulmane doit reposer sur la religion et l'armée va s'imposer. Une idée de ce type n'est pas fondamentalement étrangère aux grandes révolutions arabes des années 1950. Un Nasser en Egypte, un Assad en Syrie, un Saddam Hussein en Irak, seront porteurs d'une idéologie héritière de ce saladinisme, même si la dimension religieuse y a laissé la place à une forme de laïcité. En luttant contre ces régimes, l'Occident a nourri l'idée que seule une structuration religieuse permettrait à long terme de reprendre Jérusalem et de redonner au monde arabo-musulman une place dominante. Il serait donc absurde d'imaginer que Daech, qui se pense comme l'émanation moderne de Saladin, ne puisse pas conjuguer modernité et Islam radical. Au contraire, pour les héritiers de Saladin, la modernité passe forcément par une radicalité islamique.


Vincent Tournier : La proclamation de l’Etat islamique en juin 2014 a créé une onde de choc qui ne cesse de se propager, faisant franchir une nouvelle étape aux bouleversements géopolitiques liés à la radicalisation islamiste. La brutalité et la terreur sanguinaire des djihadistes tétanisent l’Occident. Aucune barrière éthique, aucun code moral ne semble arrêter le nouveau régime. Mais est-ce une simple organisation terroriste, comme le soutiennent mordicus les autorités françaises ? N’a-t-on pas affaire à un phénomène plus profond, qui débouche sur l’instauration d’un véritable Etat ? Plus encore : est-ce une nouvelle forme de fascisme, un « islamo-fascisme », comme le concède le Premier ministre ? Oui, sans doute, mais à condition de ne pas oublier que le fascisme était un mouvement national, alors que, par son universalisme et son internationalisme, l’islamisme se rapproche davantage du communisme.

Quoiqu’il en soit, les Français et les Européens se découvrent des ennemis mortels. Ils constatent que leurs principes, leurs valeurs, leurs modes de vie suscitent une haine farouche et mortifère. "Nous aimons la mort comme vous aimez la vie", clame un djihadiste (en français) dans l’une de ces vidéos sinistres dont Daech a fait sa marque de fabrique, avant d’aller exécuter froidement son prisonnier. Le terme de barbarie s’impose, forçant du même coup à reprendre celui de civilisation, que les Européens ont pourtant récusé jusqu’à présent. Mais si la distinction barbarie/civilisation est rassurante, elle semble simpliste. Les djihadistes seraient-ils vraiment dénués de toute valeur ? Ne portent-ils pas un projet de société, une vision du monde ? N’écarte-t-on pas trop vite l’hypothèse du fameux choc des civilisations annoncé par Huntington, mais nié par l’Europe au nom de son humanisme universel ?

Malgré les analyses optimistes, l’inquiétude se porte sur les minorités musulmanes. Un sondage de juillet 2014 fait polémique : 15% des Français soutiendraient l’Etat islamique, contre 7% au Royaume-Uni et 2% en Allemagne. La France aurait-elle un ennemi intérieur ? Les médias s’empressent de calmer le jeu en disant que ce sondage n’a aucune valeur car il est commandité par un organisme russe, oubliant de préciser que le sondage a été réalisé par ICM Research, un institut de sondage britannique tout ce qu’il y a de sérieux. Il est vrai aussi que, initialement, le gouvernement français avait cultivé l’ambiguë en appelant à prendre les armes contre le régime syrien. Mais d’autres indications sèment le trouble, comme ce sondage IFOP pour Valeurs actuelles, qui indique que 36% des Français sont défavorables à une intervention militaire contre l’Etat islamique (64% favorables), mais ce chiffre monte à 50% chez les musulmans et même à 66% chez les pratiquants. Assurément, le sujet mériterait d’être approfondi. Mais pour l’heure, les médias sont silencieux. Le sujet reste tabou.

Serge Federbusch : Les Français ressentent confusément mais intuitivement la nature assez innovante de l'Etat islamique. Son objectif est de créer une sorte de multinationale anti-libérale et anti-occidentale, reprenant largement le combat autrefois perdu par les communistes au niveau planétaire. Le califat mondial veut imposer un mode de vie rigoriste et régressif qui, pour un nombre croissant d'individus, a quelque chose d'englobant et de rassurant, un refuge dans l'environnement déstabilisant de la concurrence capitaliste. L'Etat islamique a manifestement des dirigeants pragmatiques qui savent tirer parti des faiblesses de leurs adversaires. Une grande majorité des Français le rejette et le craigne à juste titre. Une très petite minorité, essentiellement des musulmans, éprouve une vague admiration et parfois même de la sympathie pour lui. Quelques gauchistes, rares heureusement, admirent inconsciemment son efficacité dans la lutte contre des valeurs qu'ils détestent eux aussi. La plupart de nos compatriotes réalisent en tout cas que leurs gouvernants sont désarmés voire pusillanimes face à ce péril.

Loi Macron

Eric Verhaeghe : Sur la loi Macron, il existe un malentendu qui ne dit pas son nom. Les vrais adversaires de la loi, ceux qui l'ont le plus combattues, sont les patrons des professions réglementées: les avocats, les taxis, les cheminots, les petits commerçants qui risquent de perdre du chiffre si leurs grands concurrents ouvrent le dimanche. Dans leur majorité, les consommateurs sont gagnants dans ces évolutions. Contrairement à ce qu'on a pu dire, la loi Macron n'a pas donné lieu à un affrontement entre peuple de gauche défenseur des opprimés et peuple de droite partisans de la méchanceté capitaliste. Le combat a plutôt opposé la France d'hier attachée à des réglementations protectrices et la France de demain partisane d'une société 24/7, avec de véritables gammes de choix dans l'offre.

Vincent Tournier : Accouchée au forceps en juillet dernier au terme de 8 mois de débats, la loi « Pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques » restera probablement comme un condensé des ambiguïtés et des mutations de la gauche gouvernementale. Présentée en conseil des ministres en décembre 2014, la loi est portée par le ministre de l’économie Emmanuel Macron, dont le parcours est en soi un emblématique : énarque, inspecteur des finances, il quitte la fonction publique après seulement 4 ans au service de l’Etat pour devenir banquier d’affaires chez Rothschild. Nommé secrétaire général adjoint de l’Elysée, il prend ensuite la succession du turbulent Montebourg, officialisant la rupture de François Hollande avec ses promesses de campagne sur la régulation de la finance.

La loi est placée sous le signe du changement (« Il faut entendre ce que demandent les Français. Qu’est-ce qu’ils demandent ? Que le pays change, que le pays réussisse », déclarait François Hollande le 21 février 2015). Sauf que le changement en question n’a rien à voir avec les projets socialistes d’antan. La loi aurait pu être présentée par la droite car elle condense les grandes thématiques d’une idéologie sociale-libérale qui transcende le clivage gauche/droite, avec pour points communs la critique des lourdeurs bureaucratiques, la volonté de fluidifier le marché du travail et le développement de la concurrence dans les secteurs réglementés, le tout compensé par une certaine protection des travailleurs.La loi se présente comme un catalogue de mesures disparates, dont une partie a été abandonnée en cours de route quand elles ont rencontré des mécontentements trop forts. Seules ont subsisté les mesures qui n’ont pas généré une opposition suffisante.

Force est de reconnaître que le gouvernement a su faire preuve de talent. En se centrant sur des micro-sujets, il évite la confrontation brutale et parvient même à gagner le soutien de l’opinion. L’opposition au sein de la majorité est facilement muselée à coups de 49-3, dispositif jadis décrié par François Hollande. Avec la libéralisation des autocars, le gouvernement réussit à mettre en cause le monopole de la SNCF sans provoquer un conflit majeur avec les cheminots, quitte à fragiliser un peu plus d’un des derniers fleurons du service public à la française. De même, en ouvrant le travail le dimanche et le travail de nuit, il achève d’enterrer l’idéal socialiste de l’émancipation à l’égard du travail.

Certains se féliciteront de cette volonté d’en finir avec les vieilles lunes socialistes au profit d’une approche politique pragmatique ; d’autres s’inquiéteront devant projet porté par un bricolage idéologique qui voit dans l’Etat la source du mal et fait du chômage le produit des rigidités bureaucratiques. La loi restera probablement dans les annales comme la première loi d’importance où les affrontements idéologiques ont été remplacés par compétition feutrée entre lobbies.

Serge Federbusch : Le mal est connu : les Français comme consommateurs aiment la concurrence mais comme producteurs la détestent. Ils espèrent vivre dans une sorte de grand village protégé par un Etat tutélaire qui leur offrirait le beurre : la profusion des biens créés par l'économie capitaliste et l'argent du beurre : un mode de vie à l'abri de la compétition internationale. François Hollande a été élu sur la promesse qu'il continuerait à célébrer ce mariage de la carpe et du lapin. Mais c'est une illusion que traduit la hausse ininterrompue de la dette publique et le recul de notre pays dans tous les domaines. La loi Macron est essentiellement une opération de communication comme les aime notre enfumeur de président : des mesurettes pour faire oublier qu'il tente de protéger l'énorme bureaucratie française dont les clientèles sont le socle du pouvoir "socialiste". Uber a été sacrifié sur cet autel grâce à une loi qui porte le nom d'un ancien ministre souffrant de phobie fiscale et administrative mais qui siège toujours à l'Assemblée nationale. Tout un symbole !


Charlie Hebdo

Eric Verhaeghe : De mon point de vue, l'affaire Charlie Hebdo en est à ses débuts. Aucun parlementaire n'a par exemple demandé une commission d'enquête pour comprendre les raisons qui ont poussé le préfet de police à supprimer la surveillance policière permanente devant Charlie Hebdo quelques semaines avant l'attentat, ou qui ont poussé la hiérarchie policière à relâcher Coulibaly quand il a été interpellé le 30 décembre avenue Simon Bolivar. Sur le fond, nos banlieues et nos quartiers sont toutes des productrices potentielles de bombes humaines. Il se trouve que toutes ces bombes sont identifiées par la police. Simplement, deux questions se posent: que faire de ces "bombes" possibles une fois qu'elles sont identifiées? faut-il surveiller la vie privée de tous les Français pour éviter que ces "bombes" n'explosent un jour? Dans la pratique, notre régime finissant s'accommode beaucoup trop des entorses aux libertés publiques que le terrorisme justifie. Et ça, c'est un vrai problème pour tous les libéraux. 

Vincent Tournier : Les attaques du 7 janvier ont provoqué un choc terrible, bien plus que celles qui ont suivi deux jours plus tard à l’hypercasher de la porte de Vincennes. Ce qui n’apparaissait jusque-là que comme une hypothèse improbable, un sujet de plaisanterie, un scénario pour film policier, s’est finalement réalisé. La France a perdu dans une mare de sang la fine fleur de ses caricaturistes. Le choc est d’autant plus grand que « l’esprit Charlie » n’en était plus vraiment un. La dérision, la moquerie, les dessins érotiques ou vulgaires mettant en scène les puissants, la désacralisation des religions, tout ceci avait fini par perdre sa charge provocante et s’était largement banalisé. Charlie faisait partie du patrimoine national, une sorte de musée, le témoin d’une époque révolue où les humoristes étaient une espèce rare et courageuse.

Mais si le choc a été terrible, c’est aussi parce qu’un discours convenu a voulu faire accroire que les attaques précédentes, celles de Mohamed Merah ou de Mehdi Nemmouche, n’étaient que des actes isolés, des exceptions qui confirment que l’intégration est en marche. Avec Charlie, c’est cet espoir un peu naïf qui en prend un coup. A l’avenir, la surprise sera moins forte, l’émotion moins grande car nous savons à quoi nous en tenir. Manuel Valls l’a dit explicitement : il faut s’habituer à vivre avec le terrorisme. Nous savons que cela va se reproduire car nous voyons bien que les causes qui ont provoqué ces attaques sont profondes, qu’elles ne concernent pas que quelques personnes marginales ou isolées. Il existe un terreau favorable, le même que celui qui produit à la pelle les candidats au djihad. Ce terreau trouve sa source dans un retour en force du sacré, qui réinstalle le fanatisme religieux au cœur de l’Europe, doublé d’un antisémitisme virulent que l’on croyait à jamais disparu.

Le drame est que l’intimidation fonctionne. Un régime de terreur s’est abattu sur la France. Les attaques au Danemark et aux Etats-Unis ont achevé de démontrer que personne n’est à l’abri. Après le 7 janvier, plusieurs spectacles ou expositions sont annulés ou reportés. L’humoriste Franck Dubosc avoue qu’il n’a « pas les couilles » de critiquer l’islam. Les rescapés de Charlie annoncent qu’ils renoncent à caricaturer le Prophète, suivant en cela les journalistes danois du Jyllands-Posten, ceux qui ont lancé l’affaire des caricatures de Mahomet en 2006. En comparaison, les affaires de censure qui ont émaillé l’histoire de France apparaissent comme des péripéties gentillettes : ni la monarchie absolue, ni le régime impérial, ni le régime de Vichy ne sont allés aussi loin dans la violence contre les artistes.

Mais dès le lendemain du 7 janvier, des voix se font entendre pour donner, sinon une justification, du moins une autre interprétation. La cause du drame ne doit pas être recherchée du côté des djihadistes, mais du côté des victimes. La société française est dénoncée pour son manque d’ouverture et de tolérance. La laïcité devient un point de polarisation. Jadis encensée par la gauche pour avoir permis de lutter contre l’Eglise catholique, elle est désormais vue comme une arme de guerre contre les faibles, comme une machine à dominer et à exclure. Inversement, la droite et une partie de l’extrême-droite trouvent des vertus à un principe qu’elles ont longtemps combattu. Le drame de Charlie contribue à recomposer les clivages idéologiques.

Serge Federbusch :
J'ai écrit un livre entier : "La Marche des Lemmings" pour dire ce que je pense de ce stupéfiant épisode qui marquera les esprits pour longtemps. Ce fut l'occasion d'une double manipulation de l'émotion populaire. Le pouvoir a habilement dissimulé la faillite des services de police et de renseignement dans cette affaire. Il s'est aussi et surtout employé, au nom du "pas d'amalgame" à éluder sa complaisance et sa faiblesse face aux tendances réactionnaires qui travaillent les musulmans français, terreau réel de la radicalisation de quelques milliers d'individus. En réalité, la nomenklatura veut à tout prix escamoter une réalité encore plus dérangeante : ce qui inquiète le plus les Français, ce ne sont pas les meurtres qui ont eu lieu, mais la prolifération des voiles dans les rues et une communautarisation croissante de l'espace public qui, dans des zones de plus en plus nombreuses, s'apparente, non à un apartheid, mais à une sécession rampante anti-républicaine. Mais chut ! Cela ne doit pas être dit !

La crise des migrants

Eric Verhaeghe : Les Français savent instinctivement que nos sociétés sont à un croisement des chemins. On ne peut pas d'un côté faire l'apologie du libre-échange pour les capitaux et les marchandises, et d'un autre interdire la libre circulation des personnes. Ceux qui pensent pouvoir cumuler ces contraires savent qu'ils veulent le beurre, l'argent du beurre, et le sourire de la crémière. Tôt ou tard, il faudra choisir. La situation de Calais est d'ailleurs très symbolique: des humains venus d'on ne sait où (souvent de pays en guerre) s'accrochent à des wagons de marchandise pour rejoindre la Grande-Bretagne. Mais quel esprit normalement constitué peut imaginer que les marchandises aient plus de droits que les hommes? Comment endiguer durablement des migrations humaines qui empruntent les mêmes voies que les objets que nous échangeons?

Vincent Tournier : Sous l’effet de la mondialisation et de l’ouverture des frontières, les flux migratoires ont considérablement augmenté dans le monde, soumettant les pays riches à des tensions importantes, comme on le voit aux Etats-Unis avec l’immigration mexicaine. Dans le cas européen, la situation est devenue encore plus tendue à la suite du Printemps arabe, qui a eu pour conséquence de pousser des populations entières à fuir leur pays en guerre ou en faillite, parfois dans des conditions dramatiques. Résultat : les demandes d’asile ont explosé. Alors qu’on avait une baisse des demandes au début des années 2000, pour tomber à de 200.000 en 2006, on est passé de 300.000 demandes en 2009-2010, puis à plus de 600.000 en 2014. Et rien ne permet de penser que cette tendance va se tarir à l’avenir, vu le contexte géopolitique.

Dans de telles circonstances, la distinction entre migrants et réfugiés devient caduque car la plupart des migrants tentent de jouer la carte de l’asile. Mais logiquement, une grande partie des demandeurs se trouve déboutée. Or, que faire de ces personnes ? Les administrations et les services d’hébergement sont débordés. Les Etats européens ne savent pas expulser en masse. En France, la Cour des comptes constate que la politique de l’asile est devenue coûteuse et ingérable.

Pour les Européens, cette situation est moralement éprouvante. La volonté de porter secours aux réfugiés qui partent sur des bateaux de fortune menace d’aggraver le problème en incitant davantage au départ, comme le pointent les Britanniques qui décident de retirer leurs bateaux. Certains évoquent également un chantage des djihadistes de daesh, qui menaceraient d’envoyer des bateaux de migrants pour déstabiliser le continent européen.

Par ailleurs, la réglementation européenne sur la gestion des flux migratoires s’avère inadaptée. Les textes renvoient aux Etats frontaliers la gestion des demandes d’asile. Mais cette règle a été adoptée à une époque où la situation internationale était très différente. Aujourd’hui, les pays d’accueil sont saturés, notamment l’Italie, qui demande aux autres Etats de lui venir en aide, ce qu’ils se gardent bien de faire. La Grèce est aussi en difficulté, même si on en parle moins en raison des difficultés économiques que connaît ce pays. La solution serait de créer des camps de réfugiés, mais aux yeux des Européens, une telle option est inenvisageable pour des raisons morales. La solution est-t-elle d’ériger des murs, comme entend le faire la Hongrie pour fermer sa frontière avec la Serbie ? Face à cette impuissance, les opinions publiques s’inquiètent. C’est toute la question de « l’insécurité culturelle » qui se trouve posée. Une partie des Européens craint de voir mis en cause cet art de vivre qui fait la force du continent européen. Des partis dits « populistes » engrangent des succès électoraux partout en Europe, y compris dans les pays réputés tolérants et favorables au multiculturalisme.

Serge Federbusch : Les Français ont bien compris que les réfugiés politiques qui tentent de sauver leurs vies sont une très faible minorité parmi les centaines de milliers de clandestins qui arrivent en Europe et les millions qui pourraient suivre. Le discours droit-de-l'hommiste est cruellement à côté de la plaque et les associations de bien pensants qui le portent sont nuisibles. Si rien d'efficace n'est rapidement entrepris, cette situation prendra des allures d'invasion dans quelques années, le tout alors que les populations immigrées ces dernières décennies, partout en Europe, sont déjà en proie à un repli religieux et à une tentation communautariste. Les ingrédients d'une guerre civile se mettent progressivement en place mais une fois encore : chut !

La crise grecque

Eric Verhaeghe : La crise grecque est là encore une crise du libre-échange et du multilatéralisme. Les Grecs veulent bénéficier du libre-échange mais ils veulent se soustraire à la discipline collective. Les Allemands veulent bien du libre-échange à condition qu'ils en profitent. La France, sur ce point, n'a plus guère de vision. Elle veut majoritairement que l'existant continue à exister, pour éviter de se remettre en cause. Dans la pratique, on a vu, à l'occasion de la crise grecque, se dessiner un conservatisme pro-européen et un progressisme souverainiste. D'un côté ceux qui veulent préserver une Europe dont les bénéfices sont de plus en plus minces et les inconvénients de plus en plus coûteux et nombreux. De l'autre, ceux qui veulent une rupture sans forcément maîtriser les conséquences à moyen et long terme de ce choix hasardeux. Dans la pratique, il faudra bien qu'on en sorte. L'euro ne pourra survivre en l'état qu'avec une intégration économique plus poussée. Et les peuples d'Europe préféreront majoritairement sacrifier la monnaie unique plutôt que leur souveraineté. 

Serge Federbusch : 
La crise grecque ? Une victoire à la Pyrrhus doublée d'un marché de dupes aussi bien pour les Grecs que pour les autres Européens. Là aussi, les Français sont sceptiques face au scénario écrit par les médias dominants. Les quelques mesures adoptées par Tsipras et le parlement grec pour redresser les comptes rapporteront au mieux cinq cents millions d'euros. En échange de quoi on effacerait pour une centaine de milliards de dettes en reportant les échéances de remboursement à des calendes qui eussent fait se tordre de rire le merveilleux Aristophane. Mais là n'est pas le plus inquiétant : après tout Draghi et sa bande de drilles francfortois ne sont plus à cent milliards d'euros de singe supplémentaires. Le problème est que la Grèce ne peut tout simplement pas s'en sortir avec un taux de change de l'euro aussi handicapant. Les déficits continueront donc à se creuser, le tonneau des Danaïdes à être rempli pour mieux se vider et le problème ressurgira. François Hollande redoutait qu'un Grexit ne mette en lumière, dans la foulée, le fait que la France est sur la même pente savonneuse. Il a donc fait ce qu'il pouvait pour promouvoir cette mascarade, toujours selon ses vieilles méthodes de tromperie. Mais cela coince de plus en plus à Berlin car rien ne garantit que cette folle équipée ne se terminera pas un jour par la volatilisation de l'épargne des citoyens européens, Allemands en tête.

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