Menaces sur l’Ukraine : l’Europe est-elle le somnambule que décrit Boris Johnson face à la Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Premier Ministre britannique Boris Johnson lors d'une conférence de presse à Londres, 15 novembre 2021
Le Premier Ministre britannique Boris Johnson lors d'une conférence de presse à Londres, 15 novembre 2021
©LEON NEAL / GETTY IMAGES EUROPE / POOL / AFP

Menaces

Le premier ministre britannique a prévenu ce lundi les Européens, entre le soutien à l’Ukraine et le gazoduc Nord Stream 2, il ne sera pas possible de pratiquer longtemps le "En même temps"…

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Dans un discours prononcé lundi soir à Londres, Boris Johnson a averti l’Union européenne qu’elle devait faire un choix entre l’Ukraine et le pipeline Nord Stream 2. Sa ministre des Affaires étrangère a renchérit peu de temps après en exhortant « les amis de toute l’Europe » à se tenir ensemble pour s’opposer au pipeline car il « risque de saper la sécurité européenne en permettant à la Russie de resserrer son emprise sur les nations qui dépendent de son gaz ». La stratégie du « en-même temps » temps de l’Union européenne amène-t-elle une diplomatie endormie  ? 

Edouard Husson: Nous avons tous les jours la confirmation que la Grande-Bretagne sortie de l'Union Européenne est plus à même de déployer une politique de puissance que lorsqu'elle en était membre. Tous ceux qui prédisaient un effondrement britannique en sont pour leurs frais. La Grande-Bretagne a toujours eu un atout que les autres membres de l'UE ne voulaient pas voir: ce que Churchill appelait "le Grand Large" et Margaret Thatcher la communauté des nations de culture anglaise. Boris Johnson déploie le projet "Global Britain" à l'abri de l'alliance avec les Etats-Unis et l'Australie. Nous venons d'en faire les frais en perdant le contrat des sous-marins. Mais l'offensive britannique pour dézinguer Nord Stream 2 est une nouvelle illustration de la stratégie post-Brexit. Et le moment est parfaitement choisi puisque l'Allemagne n'a qu'un gouvernement de gestion des affaires courantes, en attendant la nouvelle coalition.  

L’Allemagne a suspendu, sans arrêter, la certification de Nord Stream 2 ce mardi. À l’inverse de l’Allemagne, dans le contexte actuel, l’Union européenne va-t-elle trouver une position claire face à la Russie ? 

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En fait nous arrivons potentiellement à une situation "gaullienne", où lnotre intérêt serait celui d'une Europe européenne, qui se rapproche de la Russie. Mais c'est peu probable, pour de nombreuses raisons. D'abord la France vient d'enchaîner deux quinquennats calamiteux en politique étrangère! Hollande puis Macron. François Hollande a initié les accords de Minsk mais n'a pas eu l'énergie d'obliger Angela Merkel à les respecter - l'Allemagne a soutenu unilatéralement l'Ukraine depuis 2013. Emmanuel Macron a eu des velléités de se rapprocher de la Russie mais l'actuel président français n'est guère plus qu'un beau parleur. Ensuite, la Pologne a les moyens de réunir autour d'elle une coalition anti-russe. Enfin, l'Allemagne cherchera à éviter les conflits. 

Face à une diplomatie russe de plus en plus offensive, l’Union européenne sera-t-elle forcée de réagir ? Sera-t-il trop tard ? 

Il ne faut pas inverser les facteurs. En Ukraine, depuis le départ, c'est l'Occident qui jette de l'huile sur le feu. L'idée de faire basculer l'Ukraine se trouve déjà dans "Le Grand Echiquier" de Brzezinski. La révolution orange a été une première tentative, qui a échoué. Alors l'Occident a financé le coupe de Maïdan. Pour les Russes une Ukraine OTANisée est inacceptable. L'Ukraine est le heartland de la doctrine géopolitique classique. Il est donc tout à fait compréhensible que Vladimir Poutine ait mis la main sur la Crimée et défendu l'Ukraine russophone. Il n'ira pas plus loin car il connaît l'histoire du XXè siècle: il a fallu quatre ans de très durs combats entre les troupes paramilitaires du NKVD et les nationalistes ukrainiens pour que l'Union Soviétique réaffirme son autorité sur la Galicie orientale (partie occidentale de l'Ujkraine). En fait, l'administration Biden est tellement affaiblie qu'elle espère retrouver du tonus dans l'opinion en montrant les muscles en Ukraine et en invoquant le danger de l'ours russe. Les Démocrates américains sont devenus un parti d'oligarques incapables de gouverner et qui s'accrochent, depuis leur défaite à la présidentielle de 2016, à la russophobie comme à une bouée de sauvetage. J'ai perdu beaucoup de mon estime pour Boris Johnson lorsqu'il a lâché Donald Trump après l'élection présidentielle de novembre 2020; mais il faut lui reconnaître qu'il exploite avec un cynisme consommé le besoin de soutien de l'administration Biden au service de la reconstruction de la puissance britannique. 

Alexandre Melnik: « En lançant ce pavé dans la mare, Boris Johnson pose un vrai problème de fond : l’Europe n’a aucune stratégie vis-à-vis de la Russie de Poutine, qui n’en finit pas de saper méthodiquement les fondamentaux de la reconstruction européenne après la Deuxième Guerre mondiale. 

La Grande-Bretagne devait-elle passer par le Brexit pour constater une évidence : l’UE, dans sa forme actuelle, est frappée d’une incroyable cécité conceptuelle qui l’empêche de voir que dans cette crise migratoire, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, tous les chemins mènent, en dernier ressort, au Kremlin ?

C’est Poutine qui rédige le scénario, c’est lui le met en pratique, en poussant le président biélorusse, Loukachenko, son pion sur l’échiquier géopolitique, à utiliser les migrants comme chair à canon pour se venger de l’UE. 

C’est aussi lui qui contraint le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, réduits en l’occurrence au rôle de ses « idiots utiles », à dialoguer avec lui, en se plaçant ainsi en dernier recours dans une crise qui s’envenime.

Dans ce contexte, quand le Premier ministre britannique exhorte l’Europe à sortir du ventre mou du « en même temps » et de choisir entre l’Ukraine et le Nord Stream 2, il ne fait que défendre les valeurs européennes, incarnées par la révolution du Maïdan en 2014, lorsque les Ukrainiens ont rompu avec un régime corrompu pro-russe et clairement opté pour la démocratie, la liberté et l’Etat de droit.  Le paradoxe est que cette déclaration, une simple piqure de rappel des fondamentaux européens, émane du dirigeant du pays qui a quitté l’UE !

Cependant, l’arrêt du Nord Stream 2, sous la pression de l’actualité, ne me semble pas la meilleure solution, et ce, pour deux raisons essentielles. 

D’abord, c’est trop tard : ce gazoduc est déjà quasiment finalisé. Comme d’habitude, Poutine a eu un coup d’avance, et l’Europe, aboulique, s’est laissée endormir au moment où elle pouvait encore réagir. Le coup est parti. Maintenant, il ne reste qu’à en assumer les conséquences, en essayant de limiter les dégâts.

Et même – c’est la deuxième raison - si l’on se place dans l’hypothèse du blocage du Nord Stream 2, brandie notamment les Verts d’outre-Rhin, membres de la future coalition gouvernementale, cette décision serait mal digérée par l’opinion allemande et celle des autres pays européens, confrontés au spectre d’une crise énergétique, à l’approche de l’hiver. 

Mais si le désir de « se sevrer du gaz russe » dans l’immédiat s’apparente à un vœu pieux, il devient de plus en plus urgent d’ouvrir, enfin, les yeux sur la guerre hybride, de plus en plus sophistiquée et agressive, que Vladimir Poutine mène contre une Union européenne, empêtrée dans ses dissensions internes, noyée dans les méandres bureaucratiques et désarmée, tel un herbivore face à l’attaque d’un carnivore. Les exemples de cette nouvelle attaque russe se multiplient ses derniers jours à une vitesse grandissante : après l’usage des migrants comme une arme de pression aux portes de l’Europe, l’exacerbation des tensions à la frontière ukrainienne et le tir de missile antisatellite, un nouveau pas dans la militarisation de l’espace.

La fermeté de l’Europe face à l’expansionnisme russe s’impose aujourd’hui comme solution de survie de l’UE qui doit sortir de son logiciel bureaucratique d’un autre temps. Cette solution doit passer, à mon avis, par la revitalisation de l’union occidentale, comprenant la Grande-Bretagne et avec l’implication de l’OTAN, le seul détenteur du « hard power » sur le continent européen.



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