Menaces
Menaces sur l’Ukraine : l’Europe est-elle le somnambule que décrit Boris Johnson face à la Russie ?
Le premier ministre britannique a prévenu ce lundi les Européens, entre le soutien à l’Ukraine et le gazoduc Nord Stream 2, il ne sera pas possible de pratiquer longtemps le "En même temps"…
Alexandre Melnik
Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi.
Edouard Husson
Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli.
Dans un discours prononcé lundi soir à Londres, Boris Johnson a averti l’Union européenne qu’elle devait faire un choix entre l’Ukraine et le pipeline Nord Stream 2. Sa ministre des Affaires étrangère a renchérit peu de temps après en exhortant « les amis de toute l’Europe » à se tenir ensemble pour s’opposer au pipeline car il « risque de saper la sécurité européenne en permettant à la Russie de resserrer son emprise sur les nations qui dépendent de son gaz ». La stratégie du « en-même temps » temps de l’Union européenne amène-t-elle une diplomatie endormie ?
L’Allemagne a suspendu, sans arrêter, la certification de Nord Stream 2 ce mardi. À l’inverse de l’Allemagne, dans le contexte actuel, l’Union européenne va-t-elle trouver une position claire face à la Russie ?
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Alexandre Melnik: « En lançant ce pavé dans la mare, Boris Johnson pose un vrai problème de fond : l’Europe n’a aucune stratégie vis-à-vis de la Russie de Poutine, qui n’en finit pas de saper méthodiquement les fondamentaux de la reconstruction européenne après la Deuxième Guerre mondiale.
La Grande-Bretagne devait-elle passer par le Brexit pour constater une évidence : l’UE, dans sa forme actuelle, est frappée d’une incroyable cécité conceptuelle qui l’empêche de voir que dans cette crise migratoire, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, tous les chemins mènent, en dernier ressort, au Kremlin ?
C’est Poutine qui rédige le scénario, c’est lui le met en pratique, en poussant le président biélorusse, Loukachenko, son pion sur l’échiquier géopolitique, à utiliser les migrants comme chair à canon pour se venger de l’UE.
C’est aussi lui qui contraint le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, réduits en l’occurrence au rôle de ses « idiots utiles », à dialoguer avec lui, en se plaçant ainsi en dernier recours dans une crise qui s’envenime.
Dans ce contexte, quand le Premier ministre britannique exhorte l’Europe à sortir du ventre mou du « en même temps » et de choisir entre l’Ukraine et le Nord Stream 2, il ne fait que défendre les valeurs européennes, incarnées par la révolution du Maïdan en 2014, lorsque les Ukrainiens ont rompu avec un régime corrompu pro-russe et clairement opté pour la démocratie, la liberté et l’Etat de droit. Le paradoxe est que cette déclaration, une simple piqure de rappel des fondamentaux européens, émane du dirigeant du pays qui a quitté l’UE !
Cependant, l’arrêt du Nord Stream 2, sous la pression de l’actualité, ne me semble pas la meilleure solution, et ce, pour deux raisons essentielles.
D’abord, c’est trop tard : ce gazoduc est déjà quasiment finalisé. Comme d’habitude, Poutine a eu un coup d’avance, et l’Europe, aboulique, s’est laissée endormir au moment où elle pouvait encore réagir. Le coup est parti. Maintenant, il ne reste qu’à en assumer les conséquences, en essayant de limiter les dégâts.
Et même – c’est la deuxième raison - si l’on se place dans l’hypothèse du blocage du Nord Stream 2, brandie notamment les Verts d’outre-Rhin, membres de la future coalition gouvernementale, cette décision serait mal digérée par l’opinion allemande et celle des autres pays européens, confrontés au spectre d’une crise énergétique, à l’approche de l’hiver.
Mais si le désir de « se sevrer du gaz russe » dans l’immédiat s’apparente à un vœu pieux, il devient de plus en plus urgent d’ouvrir, enfin, les yeux sur la guerre hybride, de plus en plus sophistiquée et agressive, que Vladimir Poutine mène contre une Union européenne, empêtrée dans ses dissensions internes, noyée dans les méandres bureaucratiques et désarmée, tel un herbivore face à l’attaque d’un carnivore. Les exemples de cette nouvelle attaque russe se multiplient ses derniers jours à une vitesse grandissante : après l’usage des migrants comme une arme de pression aux portes de l’Europe, l’exacerbation des tensions à la frontière ukrainienne et le tir de missile antisatellite, un nouveau pas dans la militarisation de l’espace.
La fermeté de l’Europe face à l’expansionnisme russe s’impose aujourd’hui comme solution de survie de l’UE qui doit sortir de son logiciel bureaucratique d’un autre temps. Cette solution doit passer, à mon avis, par la revitalisation de l’union occidentale, comprenant la Grande-Bretagne et avec l’implication de l’OTAN, le seul détenteur du « hard power » sur le continent européen.
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