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Méga-succès pour Avengers Endgame : première véritable brèche pour le soft power américain dans la grande muraille culturelle de l’Empire du Milieu
©FRED DUFOUR / AFP

Pas que du cinéma

Le film est d’ores et déjà le plus grand succès étranger en Chine deux semaines après sa sortie, marquant l’empreinte d'Hollywood sur le territoire du nouveau rival de Washington.

Jean-Yves Heurtebise

Jean-Yves Heurtebise

Jean-Yves Heurtebise est docteur en philosophie et maître de conférences à l'Université Catholique FuJen (Taipei, Taiwan). Il est aussi membre du CEFC (Centre d'études français sur la Chine contemporaine, Hong Kong). 

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Atlantico : Le succès colossal du dernier opus de la saga Avengers, Endgame, a également été partagé en Chine. Le film étant d’ores et déjà le plus grand succès étranger dans le pays, deux semaines après sa sortie, marquant l’empreinte d'Hollywood sur le territoire du nouveau rival de Washington. Comment mesurer l’impact culturel de la production américaine en Chine ?

Jean-Yves Heurtebise : Vos questions et cette interview tombent assez bien puisqu’à Monde Chinois Nouvelle Asie dont je suis le co-rédacteur en chef avec Emmanuel Dubois de Prisque nous venons de finaliser un numéro spécial sur le « cinéma sinophone après 1980 » et nous sommes en train de préparer pour la fin de l’année un numéro spécial sur le « soft power chinois ». Le succès d’Avengers : End Game en Chine pose en effet le problème du cinéma comme moyen du soft power d’une nation ou d’une « aire civilisationnelle ». Tout film est susceptible d’une double analyse selon sa nature : œuvre de cinéma d’un auteur ou production de l’industrie médiatico-culturelle. L’œuvre de cinéma pose des questions esthétiques et philosophiques qui interrogent l’humanité en son ensemble ; les productions cinématographiques posent des questions socio-politiques en tant qu’elles expriment quelque chose d’un milieu et d’une époque. Certains films peuvent se situer à la frontière entre les deux genres et demander une double analyse. Avengers : End Game se prête plutôt au second type d’analyse : que traduit-il, par son succès, d’un certain état du monde ?

Vous parlez de succès « colossal » ; des données chiffrées permettent de mieux mesurer le phénomène. Rappelons tout d’abord qu’Avengers : End Game est le 22ème film de l’univers des super-héros de Marvel (Iron Man, Thor, Hulk, etc.) et constitue la fin du cycle des « gemmes infinies » ouvert en 2008. Avengers : End Game pourrait devenir l’un des plus grand succès de l’histoire du cinéma. Après deux semaines d’exploitation, le film a généré des recettes de deux milliards trois cents millions de dollars dans le monde dont plus de 600 millions aux États-Unis et au Canada et presque 600 millions en Chine où le film a battu : le record de prévente, de premières, de ventes sur une journée et sur une semaine (386 millions). Tout cela pour un film de 356 millions auxquels s’ajoutent 200 millions dépensés pour le marketing. La Chine à elle seule a rendu le film rentable – intéressant pour un film dont un des principaux héros s’appelle « Captain America ».

Alors que la Chine s’est également engagée dans la voie des « blockbusters », dont le dernier épisode notable est Wandering Earth, comment mesurer la bataille culturelle que se livrent les deux pays sur grand écran ?

Pour l’instant le plus grand succès du box-office chinois est le film nationaliste ou du moins fortement patriotique Wolf Warrior 2 avec plus de 700 millions de dollars de bénéfice. Le film met en scène d’anciens militaires chinois sauvant les ressortissants chinois d’une usine locale mais aussi les employés africains en combattant des mercenaires européens. C’est la suite de Wolf Warrior où des membres de l’unité d’élite de l’Armée de libération chinoise (PLA) pourchasse un criminel protégé par d’anciens Navy SEALs. Avengers : End Game est actuellement « à la lutte » sur le marché chinois avec The Wandering Earth : dans ce film, vaguement basé sur une nouvelle de Liu Cixin, un ensemble d’astronautes chinois sauvent la Terre d’une catastrophe galactique (notamment grâce à une bouteille de vodka introduite clandestinement par un cosmonaute russe).

Pour ces trois films, les revenus générés le sont à plus de 95% au niveau national. Pour l’instant le problème n’est donc pas celui d’une compétition pour le box-office mondial : la « bataille » culturelle se joue d’abord en Chine. Le terme « bataille » est d’ailleurs peut-être impropre : dans une bataille, les soldats doivent appartenir à l’une ou l’autre armée, ici, les spectateurs des deux films sont en grande majorité les mêmes. En outre, pour essayer de nuancer l’impression de d’un monde culturellement bipolaire, il faut noter que ce mois-ci deux autres films étrangers ont brillé au box-office chinois et dépassé les attentes des analystes : Capharnaüm, film américano-franco-libanais de Nadine Labaki et Shoplifters, film japonais de Hirokazu Kore-eda.

En dévoilant leur programmation pour les prochaines années, les studios Disney annoncent que les films « Marvel » continueront de sortir à un rythme biannuel au moins jusqu’en 2027. Comment anticiper les effets de ces productions sur le public chinois en considérant que le succès continue d’être au rendez-vous ?

Avengers : End Game est comme son nom l’indique le dernier de la série – donc si l’univers persiste l’arc narratif devra être renouvelé. Devant le succès de ces films, la Chine pourrait être encline à contrôler encore plus le marché. Déjà elle utilise un système de black-out quasi complet des films étrangers pendant une période de l’année, depuis plusieurs années durant l’été, où seuls les films chinois sont visibles dans les salles : levée en 2016, la mesure fut réintroduite en 2017 et a fortement contribué au succès de Wolf Warrior 2 sorti pendant l’été.

Le succès d’Avengers est-il une anomalie ou le signe d'une vraie puissance culturelle américaine vis-à-vis de la Chine ? A quel point estimez-vous que le soft power américain a un réel impact en Chine aujourd’hui ?

Pour répondre à cette question, il faut revenir à la notion même de soft-power. Le terme de soft power se définit par ce à quoi il s’oppose : le hard power, c’est-à-dire l’ensemble des instruments militaires et économiques par lesquels un gouvernement impose sa volonté aux autres ; à l’inverse, le soft power, c’est l’ensemble des moyens médiatiques et culturels par lesquels une société incite les autres à adopter ses propres valeurs. Il faut aussi distinguer le soft-power de la propagande : la propagande est la mise en forme d’un message culturel par un État ; le soft-power est une projection culturelle plus ou moins indépendante du politique. Hollywood n’est pas Washington (et cela n’a jamais été plus vrai que sous la présidence Trump). C’est ce qui nourrit en grande partie son soft-power. Classiquement Hollywood met en scène le héros solitaire qui s’oppose à la veulerie du collectif et à la pesanteur de l’État pour révéler la vérité et sauver l’humanité. Les films Avengers proposent une variation intéressante en mettant en scène un héros collectif, une puissance de groupe basée sur la diversité. Le succès, notamment en Chine, montrent bien la puissance du soft-power « américain » par le contenu et par la méthode : diffuser des valeurs n’est pas imposer un message. Mais l’erreur serait de croire que le soft-power américain est synonyme de puissance des États-Unis. Le soft power consiste à dissocier la projection de valeurs avec la forme étatique qui l’abrite : l’Amérique (celle de Thoreau, Melville et Walt Whitman) ne sont pas les États-Unis (de Carter, Obama, Bush ou Trump). Le succès d’Avengers traduit un réel impact « américain » mais celui-ci n’est pas directement soluble dans une influence des États-Unis comme tels.

Si des Chinois peuvent aimer en masse Avengers : End Game, ce n’est pas, comme pourrait aussi le craindre le Parti, parce qu’ils deviendraient tous pro-US mais parce qu’ils puisent dans cette idée de l’individu en lutte contre un environnement hostile une source personnelle d’inspiration (qui ne va pas d’ailleurs nécessairement dans le sens d’une émancipation collective).

Plus que l’opposition, ce qui frappe, c’est d’ailleurs le mimétisme : pour combattre Hollywood, la Chine a développé un cinéma de plus en plus… hollywoodien. Tandis que, à l’inverse, Hollywood, pour gagner des parts de marché en Chine, produit des films « sino-compatibles » – comme dans Seul sur Mars où l’agence spatiale chinoise sauve Matt Damon et la mission de la NASA en offrant une technologie plus avancée. Soft-power américain mais qui intègre donc des éléments étrangers : dans le fait qu’aujourd’hui même le super-héros américain doive la jouer collectif ne pourrait-on pas y voir aussi une influence « asiatique » (succès mondial des Girl Group coréens) ?

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