Maroc, Pologne : les échecs diplomatiques d'Emmanuel Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le roi du Maroc Mohammed VI.
Emmanuel Macron et le roi du Maroc Mohammed VI.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / PISCINE / AFP

Tensions

Il est temps pour l’Elysée de faire son autocritique avant que notre pays ne soit durablement déconsidéré.

Gabriel Robin

Gabriel Robin

Gabriel Robin est journaliste et essayiste ("Le Non Du Peuple", éditions du Cerf 2019).

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Que s’est-il passé depuis quelques années pour que le « french bashing » soit désormais aussi intense qu’au plus fort de la crise franco-américaine quand Dominique de Villepin déclarait à l’ONU que la France s’opposerait à l’invasion de l’Irak ? Partout où le président de la République se déplace, hors de l’Europe de l’Ouest, il doit essuyer des critiques de plus en plus vives. En Afrique subsaharienne, le travail d’influence de la Russie et de la Turquie dans les anciennes colonies a été à juste titre dénoncé, mais il serait faux de s’en tenir à cette seule lecture. 

Notre machine diplomatique est usée et manque d’imagination. La France ne fait par ailleurs plus « rêver » dans un monde connecté où les distances se sont réduites à mesure que les espaces dématérialisés du numérique rapprochaient les expériences de vie et les représentations culturelles. Il est temps pour l’Elysée de faire son autocritique avant que notre pays ne soit durablement déconsidéré.

Les tensions récentes avec les pays traditionnellement alliés de la France que sont le Maroc et la Pologne en sont les exemples les plus emblématiques. Avec ces deux puissances régionales en plein développement, la France n’a pas su établir de partenariats stables et se retrouve même au cœur de difficultés relationnelles inédites alors même que d’importantes diasporas marocaines et polonaises sont installées de longue date chez nous. L’autre parallèle est que ce sont deux pays traditionnels qui font face à des voisins hostiles que nous avons longtemps cherché à nous concilier : la Russie et l’Algérie.

Maroc et Pologne : quand l’Union européenne aggrave une situation déjà tendue

Pour ce qui concerne la Pologne, rare pays européen avec lequel nous n’avons jamais été en guerre et pilier catholique à l’est du continent, l’action de Clément Beaune lorsqu’il était secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes a joué un rôle particulièrement négatif. En mars 2021, lors d’une visite en Pologne, il a ainsi prétendu qu’il avait été interdit d’accès de la ville de Krasnic, municipalité qui s’est déclarée « zone libre de l’idéologie LGBT ».  Un mauvais calcul, puisque dans la foulée le vice-ministre polonais des affaires étrangères Szymon Szynkowski vel Sęk avait rejeté officiellement ces accusations, affirmant qu’aucune des autorités polonaises n’avait interdit ni privé Clément Beaune de la possibilité de visiter Krasnic... 

Cette diplomatie de la morale, souvent à double vitesse, n’est pas que la conséquence des visées de l’Union européenne. Malheureusement, la France est souvent au-devant de ces considérations. À Varsovie, la concomitance entre la polémique Beaune et la condamnation, quelques mois plus tard en octobre 2021, de la Pologne à une astreinte d’un million d’euros par jour en raison d’un supposé non-respect d’un arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE) qui avait ordonné la cessation immédiate des activités de la chambre disciplinaire de la Cour suprême polonaise, n’est pas passée inaperçue alors même que le pays est en première ligne du combat contre l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Le gouvernement de droite du PIS considère être traité d’une manière injuste, estimant subir un « deux poids deux mesures » contraire même aux intérêts les plus immédiats du continent. C’est précisément le reproche qui est aussi formulé par le Maroc, furieux de l’ingérence du Parlement européen dans une procédure pénale après le vote de la résolution le visant en janvier dernier autour du cas du journaliste Omar Radi, condamné pour viol par la justice marocaine. Alors que les députés de la majorité socialiste espagnole ont refusé de voter la résolution symbolique, le groupe des eurodéputés Renaissance emmené par Stéphane Séjourné l’a votée. 

Emmanuel Macron a ensuite tenté de rattraper, déclarant que la justice marocaine était souveraine, mais ile mal était fait et la parole présidentielle inaudible. Avec ces deux pays, les sources de conflits sont multiples et le Parlement européen ne nous facilite pas la tâche. La France est accusé de ne pas prendre parti comme elle le devrait, de se montrer trop faible face aux Russes à l’est et face aux manœuvres algériennes en méditerranée, y privilégiant des intérêts de court terme au détriment d’alliances historiques et stratégiques majeures.

Maroc et Pologne : des puissances régionales incontournables

Pologne et Maroc sont pourtant des partenaires économiques d’envergure pour la France. La Pologne est présentement le pays avec lequel nous avons le plus d’échanges économiques en Europe centrale. Forte de 38 millions d’habitants, elle affiche une croissance 4 % tous les ans depuis le début des années 2000, affirmant des ambitions militaires et infrastructurelles d’envergure – comme nous l’a montrée la question des centrales nucléaires, perdue pour nos champions nationaux -. Nous avons de fait trop longtemps subi la stratégie allemande, Berlin faisant de l’est son pré-carré naturel tout en se mariant à la Russie dont elle était dépendante du gaz à bas coût pour son industrie. Une fenêtre qui tient à la fois de l’opportunité et de la nécessité s’est ouverte avec la guerre d’Ukraine, nous commandant de repenser notre stratégie dans le sens d’un couple franco-polonais seul en capacité de réduire l’influence allemande et de maintenir la pression sur Moscou.

La dépendance allemande au gaz russe a eu de funestes conséquences sur l’Europe, pourquoi donc prendre le même chemin avec l’Algérie ? C’est pourtant ce que semble vouloir faire la France. Afin de ménager Alger, nous méprisons Rabat qui nous le fait payer. Fin février, Emmanuel Macron a déclaré avoir une « relation amicale avec Mohammed VI ». La réponse d’un officiel marocain anonyme  rapportée par Jeune Afrique fut cinglante : « Les relations ne sont ni amicales ni bonnes, pas plus entre les deux gouvernements qu’entre le Palais royal et l’Élysée ». Présents tous deux au Gabon, les deux chefs d’Etats ne se sont pas rencontrés.

En cause, de nombreux dossiers non résolus, à commencer par le nœud du Sahara marocain qu’alimente Alger via le Front Polisario. Les accords d’Abraham sont aussi source de tensions. C’est d’ailleurs après la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara en 2020 par Donald Trump, depuis confirmée par Joe Biden, que ces accords historiques normalisant les rapports d’Israël avec le monde arabe ont pu être signés. On mesure bien le danger des irrédentismes et des séparatismes régionaux dans le monde contemporain à l’aune des différents conflits qui se sont déclenchés ces dernières années.

Des républiques séparatistes de l’est de l’Ukraine en passant par la Crimée, le plus pacifique cas catalan, ou encore les conflits irlandais et basques, ces enjeux territoriaux peuvent être explosifs. Du reste, ces tentations rebelles peuvent être exploitées par des puissances rivales. De la même manière que la Russie a manipulé l’opinion publique internationale avec le Donbass, l’Iran ou l’Algérie utilisent sans vergogne le Front Polisario pour tenter de défaire l’unité et la souveraineté marocaine, instrumentalisant les extrêmes-gauches européennes qui n’en demandent pas tant ; prêtes à boycotter un jour la Pologne sur la question LGBT, le lendemain Israël sur la question palestinienne, et peut-être demain le Maroc pour le Sahara qui est pourtant depuis des siècles son territoire et dont les troubles contemporains ont pour source … la décolonisation et le tracé des frontières.

La France aurait pourtant tout intérêt à se positionner clairement. D’abord, la relation avec l’Algérie ne dépend pas du Sahara. Prenons Alger au mot puisque son gouvernement a longtemps affirmé ne pas avoir de rapport direct avec ce sujet. Rejoindre les Etats-Unis et l’Espagne ne serait pas céder à un chantage, mais faire acte de bonne politique pour réchauffer des relations indispensables dans notre espace euro-méditerranéen. Idem pour la Pologne. N’écoutons pas les sirènes qui accusent Varsovie d’atlantisme forcené – ils le font d’ailleurs aussi pour le Maroc -. 

Emmanuel Macron a tout à gagner de sortir de l’ambiguïté et de cet « en même temps » diplomatique qui nous isole de plus en plus. La France n'aura plus les capacités d'être la puissance d'équilibre qu'elle souhaiterait être si elle présente une attitude déséquilibrée à l'égard de pays alliés.

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