Marnes-la-Coquette : un petit morceau de France et un véritable aimant à personnalités<!-- --> | Atlantico.fr
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Des proches du chanteur Johnny Hallyday quittent la ville de Marnes-la-Coquette avant une cérémonie lors d'un "hommage populaire" au chanteur le 9 décembre 2017.
Des proches du chanteur Johnny Hallyday quittent la ville de Marnes-la-Coquette avant une cérémonie lors d'un "hommage populaire" au chanteur le 9 décembre 2017.
©CHRISTOPHE SIMON / AFP

Bonnes feuilles

Anne-Sophie Beauvais publie « Le Ghetto » aux éditions Kero. Marnes-la-Coquette. Le simple nom de cette petite commune évoque presque à lui seul toute la singularité de l’endroit : voici un lieu aussi charmant que protégé. Vivre là, c’est avoir le sentiment d’être à 500 kilomètres de Paris, alors même que moins de 10 kilomètres séparent ce village de la tour Eiffel. Raconter Marnes-la-Coquette, c’est évidemment parler d’argent puisque cette commune, d’après la direction générale des impôts, est la plus riche de France. Extrait 2/2.

Anne-Sophie Beauvais

Anne-Sophie Beauvais

Condisciple d'Emmanuel Macron à Sciences Po, Anne-Sophie Beauvais a aujourd'hui 39 ans. Ancienne conseillère en cabinet ministériel, elle connait bien le monde politique. En 2009, elle est appelée par Richard Descoings, l'ancien directeur de Sciences Po, pour diriger l'Association des anciens élèves de l'école. A ce poste, elle continue d'observer le monde politique et la trajectoire de tous ceux qui, diplômés de cette maison, y gravitent – et ils sont nombreux. 

Elle est également rédactrice en chef du magazine Emile, un trimestriel destiné aux Sciences Po, traitant de la chose politique.

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Avec cette cohabitation, dans la mémoire du lieu, de Napoléon  III et Pasteur, l’empereur transformateur et le scientifique révolutionnaire, Marnes-la-Coquette aurait pu être surnommée « Marnes-les-Conquêtes ». D’où cette question qui surgit lorsqu’on se promène dans cet endroit si tranquille : faut-il parfois s’isoler du monde pour mieux se consacrer aux autres ou aux grandes œuvres et manœuvres politiques ?

Car autant le dire sans retenue, puisque ce livre en fera largement état : ce village vit d’un repli sur lui-même parfaitement assumé. Les habitants ont bien compris qu’ils vivaient à la porte de Paris, dans un environnement très privilégié, et ils en deviennent les gardiens zélés, parfois trop zélés, conférant à cet endroit une mentalité un peu étrange, parfois quelque peu hostile. Comme en ce mois de décembre 2017, alors que les fans de Johnny et les journalistes des chaînes d’info en continu font le pied de grue dans le cœur du village. Ils ne sont pas autre chose, aux yeux des Marnois –  les habitants du village – que des allogènes, des envahisseurs que l’on ne désire pas.

Une mentalité qui n’est pas sans lien non plus avec une des caractéristiques « sociologiques » du lieu : Marnes-la-Coquette est, d’après la Direction générale des impôts, la commune la plus riche de France. Le label n’est pas usurpé puisque ses habitants ont, en effet, le revenu annuel moyen par foyer fiscal le plus élevé de notre pays : environ 125 000  €, soit quatre fois et demie la moyenne nationale. On imagine alors facilement – et on a raison de le faire – que le repli sur soi de ce village devient même, par la force des choses ou plutôt de l’argent, un véritable entre-soi.

Raconter Marnes-la-Coquette, c’est donc tenter de raconter un petit morceau de France, celui dont on parle peu finalement : cet îlot de l’archipel français qui est réservé aux nantis et qui fait contrepoids, à l’autre bout de l’échelle sociale, aux « banlieues » françaises, celles des quartiers difficiles. Voilà bien deux mondes qui ne sont pas très éloignés d’un point de vue géographique, mais que tout oppose.

Trappes, on le sait depuis l’édifiante et passionnante plongée dans « la Communauté », c’est Jamel Debbouze, Nicolas Anelka et Omar Sy. C’est aussi ces héros du quotidien que sont les profs, éducateurs, élus… Et c’est la mutation d’une cité ouvrière en un territoire conquis par les communautarismes, qui a vu plusieurs de ses enfants rejoindre le califat de l’État islamique.

Marnes-la-Coquette, à seulement quelques kilomètres de distance de Trappes, c’est, on l’a dit, Johnny Hallyday, Jacques Séguéla, Maurice Chevalier, Hugues Aufray, mais aussi ces riches familles du Golfe ou de Russie et ces banquiers ou entrepreneurs de la nouvelle économie qui sont devenus millionnaires. Et à l’instar de Trappes, c’est également l’histoire d’une mutation, celle d’un petit « village » de France, presque comme les autres, qui se transforme en une citadelle cachée, abritant confort, luxe et privilèges.

Comment en est-on arrivé là ? Roland Barthes a dit un jour qu’« une ville est comme un texte ». Selon lui, il y a un langage des villes, plus ou moins accessible, auquel nous sommes chacun plus ou moins réceptif. Les habitants de Marnes se sont-ils dit, un jour, « faisons sécession, gardons ici uniquement les catégories supérieures de la population pour être entre nous » ? Ou bien cette réalité sociale a-t-elle mis du temps à s’installer ? Quelles sont, finalement, les causes et les conséquences de ce « symptôme » lui aussi, d’une certaine façon, communautaire ? Ce livre invite donc à faire connaissance avec les différents personnages de ce « village de riches » aux abords de Paris. Avec son arborescence complexe, son histoire, son atmosphère et ses règles de vie uniques, parce que l’endroit l’est aussi.

Un avertissement m’a été donné, malgré tout, par un riche propriétaire de Marnes, qui a reçu très fraîchement cette idée de livre : « Mais personne ici n’a envie que vous parliez de Marnes ! Pourquoi vous lancez-vous là-dedans ? Tous les Marnois vous diront la même chose, croyez-moi ! En plus, je sais très bien ce que vous allez dire… la ville des riches ! Pire : le ghetto de riches ! Voilà, c’est forcé ! Et vous savez que si vous dites cela, ça va mal finir. Ça va finir par une révolution ! Vous savez ce qui se passe quand les pauvres réalisent combien les riches sont riches ? Eh bien, ils font la révolution. C’est ce qui s’est passé avec Louis  XVI… Ne parlez pas de la façon dont on vit ici ! »

Je ne sais pas, au moment même où j’écris ces lignes, si les braises de la révolution crépitent déjà… En ouvrant les portes des maisons de Marnes-la-Coquette, je veux simplement incarner, par des personnages bien réels, par l’histoire aussi d’un village ancré dans la géographie  française, ce que j’appellerai ce « grégarisme social » qui fait que les catégories les plus favorisées ont tendance, aujourd’hui, dans notre pays, à vivre entre elles, presque en vase clos, dans des citadelles protégées, et à développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance –  que certains qualifieraient même de mépris – vis-à-vis du reste du monde.

Mais Marnes-la-Coquette, et j’espère que ce livre lui rend aussi hommage, n’est coupable de rien. Car le village, que je connais bien pour y  avoir aussi vécu, est devenu bien malgré lui une citadelle.

A lire aussi : Marnes-la-Coquette : le village le plus riche de France

Extrait du livre de Anne-Sophie Beauvais, « Le Ghetto », publié aux éditions Kero

Lien vers la boutique : cliquez ICI et ICI

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