Mais pourquoi la Chine fait-elle des stocks inhabituels de produits alimentaires ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des agriculteurs chinois en train de récolter un champ de blé à Zouping, dans la province du Shandong, dans le nord-est de la Chine.
Des agriculteurs chinois en train de récolter un champ de blé à Zouping, dans la province du Shandong, dans le nord-est de la Chine.
©AFP

Bruits de bottes ?

La Chine est obsédée par la sécurité alimentaire et dispose de stocks impressionnants (notamment 18 mois pour le blé). L’accumulation de réserves alimentaires par la Chine est-elle un indicateur précoce de la guerre à venir avec Taïwan ?

Nicholas Bequelin

Nicholas Bequelin

Nicholas Bequelin est directeur pour l'Asie de l'Est à Amnesty International, basé à Hong Kong. Ancien chercheur invité au China Center, Yale Law School, et auparavant à Human Rights Watch.

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Atlantico : À quel point est-ce qu’on observe de la part de la Chine une volonté d'engranger des stocks importants de produits alimentaires et notamment de matières premières alimentaires ?

Nicholas Bequelin : Depuis les années 2000, la dépendance alimentaire de la Chine s'est considérablement accrue, en particulier en ce qui concerne les céréales. Actuellement, elle dépend à près de 70 % des importations céréalières. Ce volume important d'importations et de stockage est caractéristique des 20 dernières années. Cette évolution est due à une augmentation croissante de la consommation de céréales en Chine, ce qui la contraint à importer davantage pour répondre à la demande. Cependant, cette dépendance envers les importations céréalières est considérée comme une faiblesse. Pour faire face à cette situation, la Chine cherche à constituer d'importants stocks afin d'exercer une influence sur les marchés internationaux, de stabiliser les prix et de garantir son approvisionnement domestique.

En tant que premier producteur céréalier mondial, la Chine est également le principal importateur. Malheureusement, cette réalité est davantage une faiblesse qu'une force. En effet, la Chine doit nourrir environ 17 à 18 % de la population mondiale avec seulement 8 % de surface arable disponible. Cette situation pose un défi majeur. D'autre part, la consommation de céréales a augmenté en raison de l'amélioration du niveau de vie de la population chinoise au cours des 50 dernières années, y compris ces 20 dernières années. Cette hausse de la consommation de viande entraîne une demande croissante pour l'alimentation du bétail, conduisant ainsi à une augmentation de la culture de céréales et de soja.

La Chine est donc confrontée à une course contre la montre, d'autant plus que les dérèglements climatiques annoncés pour l'avenir pèseront lourdement sur le pays, notamment en termes de ressources aquifères de plus en plus problématiques. Pour faire face à cette situation et atténuer les fluctuations des approvisionnements sur le marché et les productions domestiques, la Chine cherche naturellement à constituer des stocks de réserve.

A quel point y a-t-il une accélération du processus ?

Il y a une accélération, mais cela est compréhensible étant donné sa taille et son influence sur les marchés mondiaux. Toutefois, cela soulève des questions concernant les raisons pour lesquelles la Chine possède des stocks céréaliers aussi élevés par rapport à d'autres pays, sans justification évidente même sur le plan de la sécurité alimentaire nationale.

Cette forte dépendance aux importations céréalières est en partie due à des raisons historiques, notamment les grandes famines causées par le maoïsme, que la Chine cherche à éviter de reproduire. La pandémie de COVID-19 a également mis en évidence des problèmes d'approvisionnement, suscitant un mécontentement social que le gouvernement chinois veut éviter à l'avenir.

D'un point de vue stratégique, la Chine considère désormais la sécurité alimentaire comme faisant partie intégrante de sa sécurité nationale. Depuis son arrivée au pouvoir Xi Jinping a largement étendu les domaines qui relèvent de la sécurité nationale. Pour garantir son approvisionnement alimentaire à long terme, elle met en place diverses mesures allant de l'augmentation des rendements agricoles, la sauvegarde de l’eau, à des investissements technologiques. Il y a aussi des engagements internationaux, notamment par sa position de direction de la FAO. Un poste qu’elle a gagné en 2019, après une campagne très agressive. Par ailleurs, la Chine s'est engagée dans une politique diplomatico-agricole pour s'assurer de l'approvisionnement en céréales, cherchant à rendre certains pays du Sud dépendants de ses marchés.

La pensée stratégique chinoise est dominée par l’idée d’une confontation avec l’Occident à terme. La question que se pose la Chine c’est : en cas de conflit à Taïwan ou ailleurs, d’embargo généralisé, etc. quelles seraient les répercussions pour la sécurité alimentaire de la Chine. Et la Chine se rend bien compte de sa grande dépendance aux importations céréalières.

Cette volonté de sécuriser l'approvisionnement en céréales explique l'augmentation des importations et la diversification des partenaires commerciaux, comme le renforcement des liens avec la Russie. Ces actions visent à démontrer la capacité de la Chine à varier ses approvisionnements en cas de conflit ou de sanctions, particulièrement dans les relations tendues avec l'Occident et les États-Unis.

Est-ce que ça peut être le signe du fait que la Chine envisage une action contre Taïwan?

La Chine estime qu’elle doit se préparer  à un conflit potentiel dans le détroit de Taïwan, qu’elle le souhaite ou pas. Les experts s'accordent plutôt sur le fait qu'une invasion de Taïwan n'est pas envisagée dans un avenir proche, compte tenu des risques et des conséquences. Néanmoins, la Chine examine différents scénarios et cherche à se préparer à toute éventualité.

En raison de son environnement géopolitique, avec des puissances rivales entourant le pays, notamment les États-Unis, la Corée du Sud, le Japon, Taïwan et les Philippines, la Chine se sent encerclée. Elle considère le détroit de Taïwan comme une zone sensible qui peut devenir un point de tension.

Pour se préparer à d'éventuelles tensions ou conflits, la Chine cherche à renforcer son économie en devenant plus autarcique, en réduisant sa dépendance vis-à-vis des importations dans certains domaines critiques, comme l'énergie. Actuellement, la Chine est extrêmement dépendante des importations d'énergie, ce qui la rend vulnérable en cas de conflit. Pour assurer une meilleure indépendance, la Chine travaille sur des stratégies de diversification, de stockage et d'amélioration technologique.

En ce qui concerne la sécurité alimentaire, la Chine examine comment devenir une puissance dominante sur les marchés céréaliers mondiaux, afin d'assurer un rôle central et réduire les risques liés aux approvisionnements. La Chine investit dans la recherche de nouveaux partenaires commerciaux, tout en cherchant à augmenter ses stocks alimentaires pour accroître sa stabilité en cas de crise. Mais c’est effectivement un élément à surveiller, et qu’elle-même surveille, pour sa capacité d’une intervention militaire.

Cependant, malgré ces efforts, la question fondamentale reste de savoir dans quelle mesure la Chine peut réellement devenir suffisamment puissante sans être dépendante. Les défis sont nombreux, et il faudrait des mesures encore plus importantes pour parvenir à une véritable indépendance alimentaire et énergétique.

Est-ce qu’il y a aussi un renforcement de la production interne ?

Il est évident que la Chine a clairement exprimé sa volonté de renforcer sa production alimentaire interne et de la considérer comme essentielle à sa sécurité nationale. Cependant, malgré cette affirmation, la réalité est que la Chine ne peut pas totalement subvenir à ses besoins céréaliers par sa propre production domestique, et cela deviendra encore plus difficile à l'avenir en raison des effets du changement climatique.

Ce problème s'inscrit dans le contexte plus large des problèmes géopolitiques et stratégiques mondiaux. Les pays se méfient de plus en plus les uns des autres, mais ils sont également conscients que les interdépendances économiques mondiales ne peuvent pas être inversées. La Chine souhaite être plus indépendante sur le plan alimentaire, mais la réalité structurelle lui impose des limites, notamment des marchés mondiaux plus efficaces pour répondre à certains besoins que de tenter d'augmenter massivement sa production domestique. De la même manière nous aimerions être moins dépendants de la Chine, pays autoritaire, mais ce n’est pas si simple.

La stratégie chinoise actuelle semble plus intelligente en adoptant une approche globale et diversifiée en jouant sur l’échiquier mondial. Elle cherche à sécuriser son approvisionnement alimentaire en exerçant une influence sur le système agricole mondial à travers des importations, des contrôles de marché, des normes internationales, et en investissant dans des améliorations technologiques. Cette stratégie reconnaît la complexité des dépendances croisées entre les pays.

Concernant les tensions avec Taïwan, une décision de s'engager dans un conflit aurait des répercussions importantes bien au-delà de l'aspect militaire, touchant des secteurs non militaires tels que l'économie, l'énergie et les semi-conducteurs. Les risques potentiels poussent la Chine à se préparer et à être dissuasive, mais il est peu probable qu'elle ait des plans concrets pour une invasion de Taïwan, étant donné les défis et les risques associés. 

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