Mais pourquoi l’inflation a-t-elle tué les hausses de salaires réels en Europe alors qu’ils ont continué de croître vigoureusement aux États-Unis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le patron de la Réserve fédérale, Jerome Powell, à Washington (Etats-Unis), le 22 mars 2023.
Le patron de la Réserve fédérale, Jerome Powell, à Washington (Etats-Unis), le 22 mars 2023.
©ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Erreur majeure de politique économique

Pour la deuxième fois depuis le début du 21e siècle, deux crises économiques majeures se sont traduites par des conséquences opposées pour les salariés des deux côtés de l’Atlantique. Un hasard, vraiment ?

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu

Christian de Boissieu est économiste, spécialiste des questions monétaires et bancaires. Il est membre du conseil du collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers) depuis mai 2011 et ancien régulateur bancaire.

Professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, il a été président du Conseil d'analyse économique de 2003 à 2012.

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Atlantico : Selon un nouveau rapport du Trésor, la réponse budgétaire américaine, qui a donné la priorité à l’emploi et à des marchés du travail tendus, a permis de mieux protéger les salaires contre l’inflation aux Etats-Unis par rapport à l’Europe. Comment expliquer que l’inflation ait pu tuer les hausses de salaire réels en Europe alors qu’ils ont continué de croître aux États-Unis ? Comment expliquer ces conséquences opposées pour les salariés des deux côtés de l’Atlantique ? 

Christian de Boissieu : Plus que les politiques suivies, monétaires et budgétaires, c’est la situation de l’emploi qui explique pour une grande part la dynamique différente des salaires réels.

Lorsque le choc inflationniste mondial a commencé au second semestre de 2021, donc avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les Etats-Unis étaient déjà au plein emploi. Ils le sont encore aujourd’hui, avec un taux de chômage de 3,7% en novembre , l’un des plus bas des pays de l’OCDE. Dans un tel contexte, dans tous les secteurs et pas seulement dans les métiers en tension, les difficultés d’embauche se traduisent par des augmentations de salaires supérieures à l’inflation. Retour vers la bonne courbe de Phillips, rangée un peu vite au rang des curiosités historiques, qui résume justement le lien entre le taux de chômage et la progression des salaires et des prix. L’augmentation des salaires réels alimente à son tour l’inflation : la boucle prix-salaires intervient, elle contribue à installer l’inflation dans le système. Il n’est donc pas étonnant que la désinflation soit plus lente aux Etats-Unis que dans la zone euro. En novembre sur 12 mois, l’inflation était encore de 3,1% outre-Atlantique, contre 2,4% en moyenne dans la zone euro.

La situation du marché du travail est très diverse dans les pays européens. En France, nous sommes loin du plein emploi , estimé un peu arbitrairement à 5% de chômage, et le taux de chômage qui a déjà augmenté pour atteindre 7,4% devrait augmenter dans les prochains trimestres vu la faiblesse de la croissance. La courbe de Phillips permet de comprendre pourquoi , en 2021 et 2022, les salaires en moyenne ont crû moins vite que l’inflation, provoquant des pertes de pouvoir d’achat. Sauf pour les métiers en tension. En 2023 et 2024, compte tenu des accords salariaux passés et de l’amorce de la désinflation, le pouvoir d’achat des salaires devrait en moyenne monter, alimentant plus de consommation. Si l’on tient compte des primes et autres compléments (cf. ci-dessous), la situation de certains s’améliorerait un peu plus…

Dans cette affaire, la politique monétaire et la politique budgétaire jouent un rôle, en modulant la demande et l’offre globales. Mais, dans la dynamique des salaires nominaux et réels, c’est la situation différente du marché du travail des deux côtés de l’Atlantique qui prédomine.

Les politiques monétaires sont-elles au cœur de ces disparités entre les Etats-Unis et l’Europe sur l’inflation et les salaires ? La politique et les décisions de la BCE ont-elles contribué au ralentissement de la situation économique de l’Europe et à la crise inflationniste ?

Avant d’évoquer des différences, il faut parler de certaines convergences. Un point commun : la Fed, comme la BCE et d’autres banques centrales des pays avancés, en ont fini avec le resserrement monétaire justifié par l’inflation. Avec maintenant, en perspective, une décrue des taux directeurs de ces banques centrales. Comme souvent, la Fed est plus réactive, et même proactive, puisqu’elle évoque « trois ou quatre » baisses de taux pour 2024. La BCE, banque centrale plus jeune confrontée à la forte hétérogénéité des situations nationales en zone euro, est plus prudente. Wait and see…Car des événements géopolitiques peu prévisibles pourraient faire à nouveau flamber les prix de l’énergie ou les prix alimentaires.

Il est vrai que la BCE a tardé, en comparaison de la Fed, à relever ses taux face à l’inflation. Il faudrait éviter qu’elle soit trop en retard dans la décrue de ses taux face à la désinflation. Un retard qui pourrait avoir des conséquences sur le taux de change euro/dollar comme on le voit depuis quelques jours. Car ce décalage pourrait faire monter la devise européenne contre le dollar, ce qui serait certes favorable à notre désinflation, mais pas terrible pour notre compétitivité-prix.

Pour décider de leurs initiatives, les banques centrales doivent partout tenir compte des délais d’action de leurs mesures. Des délais qui expliquent par exemple pourquoi les effets de la politique restrictive de la Fed vont se faire sentir en 2024 (croissance américaine prévue de seulement 1,4%) plutôt qu’en 2023 (croissance anticipée de 2,6%). Dire que les politiques monétaires ont exercé depuis presque deux ans un impact restrictif sur l’activité et l’emploi, via la hausse des taux et le ralentissement des crédits bancaires (dans l’immobilier mais pas seulement), est parfaitement compatible avec la reconnaissance des délais d’action. Si l’Allemagne est en récession en 2023, cela tient au ralentissement chinois et mondial, mais aussi aux actions de  la BCE. Si l’Europe prise globalement est aujourd’hui au bord de la récession, alors que les politiques budgétaires et fiscales restent globalement expansives (il n’est jamais facile de réduire les déficits et la dette publique !), cela résulte des chocs géopolitiques et du contexte mondial, mais aussi de la politique de la BCE. Entre le trop et le pas assez, les banques centrales sont partout confrontées au difficile choix du dosage et à l’arbitrage qu’elles doivent opérer entre la lutte contre l’inflation et le soutien de l’activité et de l’emploi.

Selon la récente note de conjoncture de l’Insee, le pouvoir d’achat serait en légère hausse en 2023 (+0,8%). Or, les revenus d’activité ne contribueraient pratiquement pas à la hausse du pouvoir d’achat. Comment expliquer ce phénomène ? En quoi les revenus de la propriété expliquent, en grande partie, les modestes gains de pouvoir d’achat en 2023 ?

En 2023, les augmentations des salaires nominaux négociées en 2022 ont été grosso modo égales à une inflation qui a commencé à reculer, d’où la protection du pouvoir d’achat des revenus d’activité. Là où le pouvoir d’achat pris globalement progresse plus , c’est dans les secteurs et les entreprises où le jeu de la prime Macron, d’autres primes, de la participation ou de l’intéressement est venu améliorer les situations individuelles. Autant dire que ces compléments de revenus, à condition d’être des compléments et non des substituts à des augmentations salariales, sont les bienvenus mais sont très variables d’une entreprise à l’autre. Puisque les textes correspondants ont été adoptés, il faut accélérer la mise en place des schémas de participation et d’intéressement dans les PME et même dans la fraction des ETI qui ne les pratiquent pas, ou pas assez, aujourd’hui. Il n’y a pas en la matière de justification à des formules qui seraient avant tout l’apanage des  grandes entreprises.

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