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Mais pourquoi l’accès aux traitements préventifs vitaux du Covid se fait-il au compte-gouttes pour les personnes immuno-déprimées ?
©NIKOLAY DOYCHINOV / AFP

Difficultés d'approvisionnement

Certains patients immunodéprimés ont dénoncé dans une tribune au "Monde" les difficultés d'accès à un traitement préventif contre le Covid-19. Ce traitement, le Ronapreve, fait l'objet de multiples difficultés d'approvisionnement.

Atlantico : Vous avez cosigné une tribune parue dans Le Monde intitulée Patients vulnérables : « Combien de décès évités, sans compter les séquelles, parfois lourdes, subies par ceux qui survivent au Covid-19 ? » pour évoquer les difficultés d’accès à un traitement préventif du Covid à base d’anticorps monoclonaux qui pour eux est d’importance capitale. Pouvez-vous nous raconter quelle est la situation actuelle ?

Pierre Foucaud : Pour parler de la maladie que je connais le plus, la mucoviscidose, c’est une maladie sévère qui touche, en France, 7200 patients. Elle a notamment un effet sévère sur les poumons, ce qui fait que 900 des patients atteints de cette maladie ont reçu des greffes pulmonaires. Cette greffe, comme toute greffe, est viable grâce à la prise d’un traitement antirejet qui a pour effet secondaire d’affaiblir les défenses immunitaires des patients. Cela les rend fragiles face aux infections en général et tout particulièrement face au Covid. Les patients maîtrisent les gestes barrières car ils les pratiquent tout au long de leur vie. Ces patients ont été prioritaires pour la vaccination anti-Covid mais beaucoup d’entre eux n’étaient pas suffisamment réceptifs au schéma classique de deux doses. Tous ou presque ont dû passer par, a minima, une troisième dose. Pour autant, une majorité d’entre eux n’a pas atteint le seuil de protection de 260 bau/ml. Cette situation est particulièrement anxiogène et les force à poursuivre des gestes barrières très contraignants. Certains vivent aujourd’hui comme des reclus. Or, depuis le 4 août dernier, la Haute autorité de santé (HAS) a clairement recommandé un traitement de prévention, le Ronapreve, développé par le laboratoire Roche. Il consiste à administrer directement aux patients vulnérables les anticorps qu’ils ne peuvent fabriquer eux-mêmes. Ce médicament est la combinaison de deux anticorps monoclonaux ; l’administration est faite par intraveineuse ou sous cutanée et doit être répétée tous les mois.

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À quel point les difficultés et disparités d’accès sont-elles importantes pour l’administration de ce médicament ?

On a rapidement constaté un écart considérable sur le terrain entre la recommandation de la HAS et sa mise en œuvre. Dans un premier temps, les difficultés rapportées étaient dues à des stocks de Ronapreve insuffisamment livrés aux pharmacies hospitalières adéquates. Il y a eu une réunion avec la Direction générale de la santé et des associations de patients. La DGS a tenté de nous rassurer en nous indiquant qu’elle disposait des stocks nécessaires et allaient accélérer la distribution. Ça n’a pas été suivi d’effets. Les choses n’ont que peu bougé dans de nombreux centres car les procédures administratives sont extrêmement lourdes à déployer. Il faut également un test PCR négatif la veille de l’administration.

Qu’est ce qui explique cette lourdeur ?

Le médicament est sous procédure d’accès précoce et nous avons donc un faible recul. Il faut donc une surveillance stricte sur les réactions. Cela se solde par une charge administrative épouvantable tout en mobilisant fortement des ressources humaines. Cela réclame également une organisation en relai si on veut faire du traitement à domicile car il faut s’assurer que l’administration du médicament n'entraîne pas d’effets secondaires ou d’allergie. Pour ces raisons, ce n’est réservé qu’à un petit nombre de personnels à domicile.

La cinquième vague et la désorganisation progressive du système hospitalier ont entraîné un manque de lits, un déploiement des effectifs vers les filières Covid au détriment des autres. Et cela a contribué à désorganiser le processus. Tout est lourd à gérer dans cette période. Cela a entraîné des inégalités régionales flagrantes que nous avons dénoncées. Certaines équipes sont opérationnelles parce qu’elles ont mobilisé des ressources. Les pouvoirs publics qui seraient fondés à prendre la main sur cette logistique n’ont toujours rien fait. Ils font miroiter les avancées thérapeutiques à venir alors que nous demandons une solution immédiate. Les pouvoirs publics communiquent beaucoup sur le sujet. Nous demandons une mise en œuvre pratique, logistique, avec un soutien aux équipes hospitalières pour que ce médicament puisse être administré conformément aux recommandations.  

Votre tribune fait état d’un total de 57 000 patients relevant des indications de l’AHS…

57 000, c’est une estimation des malades concernés par un déficit immunitaire profond tel que listé dans les recommandations de l’HAS. Le compte n’y est pas, il y a eu seulement 3500 doses de Ronapreve utilisées.

Est-ce que les stocks sont suffisants pour tous ces patients ?

On sait désormais que ce n’est plus un problème de stock. La DGS nous dit que les stocks sont constitués et je leur fais confiance. Donc à l’évidence le frein relève de la lourdeur organisationnelle.

Les patients qui ont pu bénéficier de ces traitements ont-ils eu les effets escomptés ? 

L’effet escompté, c’est l’absence d’infection. Sur ce plan, le traitement a l’air de fonctionner. La tribune met en avant les décès évitables. Ils concernent majoritairement les greffés rénaux qui sont bien plus nombreux que les greffés pulmonaires. Chez les patients atteints de mucoviscidose, les décès ont surtout concerné des personnes qui n’avaient pas de schéma vaccinal complet. Du côté des greffés rénaux, ils estiment qu’une part importante des décès aurait pu être évitée par la prise d’anticorps monoclonaux. 

On a beaucoup parlé du fort coût du traitement. Cela pourrait-il jouer dans les réticences à l’administrer ?

L’opacité autour de la fixation du prix des médicaments est importante mais on a de bonnes raisons de penser que c’est effectivement un coût élevé. Mais cette donnée n’influence en rien les prescripteurs. Ils cherchent uniquement à rendre le meilleur service à leur patient. De toute manière, l’engagement budgétaire est fait puisque les stocks ont été constitués. Donc cette question, importante, n’est à mon sens pas à l’ordre du jour.

Qu’en est-il de la réalité de ces alternatives que le gouvernement évoque auprès de vous ?

On parle d’un traitement antiviral de première génération développé par Merck qui est à administrer dès l’apparition des premiers symptômes. Dans les cinq premiers jours et idéalement dans les deux premiers. C’est donc une solution curative alors que le bon sens prévaut, « il vaut mieux prévenir que guérir ». L’efficacité présumée était, selon le laboratoire, de réduire de 50% les hospitalisations.  Elle a depuis été revue à la baisse et est maintenant estimée autour de 30%. Donc on ne veut pas se laisser enfermer dans cette promesse de jours meilleurs alors que l’efficacité préventive du Ronapreve serait autour de 85%. L’autre traitement évoqué est une nouvelle formulation d’anticorps monoclonaux développée par Astra. Celle-ci serait bien plus intéressante car il suffirait d’une injection intra-musculaire pour avoir une protection de six mois, selon les données de phase 3. Mais ces données doivent être consolidées, rendues publiques et il faut que les anticorps monoclonaux en question soient accessibles. Mais, pour l’instant, il n’y a pas que le Ronapreve.

Comment faire pour concilier protection des patients et exigences de la pharmacovigilance ? 

C’est clairement un problème de logistique. Le jour où il faudra faire le bilan de la lutte contre la pandémie, ce sera l’un des points noirs. En attendant, les pouvoirs publics devraient se pencher sur cette question sensible car ces patients sont les plus fragiles. Il faut avoir une réflexion logistique pour permettre dans un nombre de sites à identifier de déployer les instruments pour traiter les patients. Si le gouvernement a pu organiser massivement la vaccination, il peut organiser des centres dédiés à cette prévention destinée aux patients les plus fragiles. Pour l’instant nous sommes entendus mais nous ne voyons pas de solutions arriver.

Propos recueillis par Guilhem Dedoyard

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