Mais comment expliquer l’effondrement de la natalité dans les pays développés ?<!-- --> | Atlantico.fr
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En 2022, la population japonaise s’est par exemple réduite de 800 000 personnes poussant le Premier ministre Fumio Kishida à lancer en janvier un avertissement selon lequel le Japon est "sur le point de ne plus pouvoir assurer ses fonctions sociales".
En 2022, la population japonaise s’est par exemple réduite de 800 000 personnes poussant le Premier ministre Fumio Kishida à lancer en janvier un avertissement selon lequel le Japon est "sur le point de ne plus pouvoir assurer ses fonctions sociales".
©Philip FONG / AFP

Chérie, j’ai rétréci le pays

En 2022, la population japonaise s’est par exemple réduite de 800 000 personnes poussant le Premier ministre Fumio Kishida à lancer en janvier un avertissement selon lequel le Japon est "sur le point de ne plus pouvoir assurer ses fonctions sociales".

Alain Parant

Alain Parant

Alain Parant est démographe, ancien chercheur de l’Ined, conseiller scientifique de Futuribles International et membre du comité de rédaction de la revue Futuribles.

 

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Atlantico : La population du Japon s’est réduite de 800 000 personnes en 2022. À travers le monde et bien que de cultures très différentes, d’autres pays, principalement parmi les plus développés, connaissent une diminution de leur population (Chine, Taïwan, Corée du Sud, Allemagne, Espagne, Italie, …) ou un ralentissement très marqué de leur croissance démographique naturelle (États-Unis d’Amérique, France, …). Comment expliquer cette tendance ?

Alain Parant : Les populations aujourd’hui concernées par un déclin ou une progression très ralentie de leur croissance naturelle (solde des naissances et des décès) se caractérisent par une très basse fécondité (propension à donner naissance) et une mortalité tardive. Alors que les naissances (produit de la fécondité par l’effectif de femmes en âge de procréer) diminuent, les décès au contraire augmentent, la trendance ancienne à l’allongement progressif des durées de vie multipliant le nombre des personnes âgées, celles qui sont les plus exposées au risque de décéder.

À l’instar de l’allongement des durées de vie, la baisse de la fécondité est une tendance qui vaut aujourd’hui partout dans le monde mais, dans les régions les plus développées, par les niveaux qu’elle atteint et ses effets étant désormais souvent amplifiés par la baisse des effectifs de femmes en âge de procréer, elle devient un objet de préoccupation première. D’autant que, du fait de l’élévation des âges moyens à la maternité, plus particulièrement des âges moyens des femmes à la naissance de leur premier enfant (29,1 ans en France, 29,8 ans en Suède, 31,6 ans en Espagne et en Italie), la fécondité pourrait encore mécaniquement baisser, les difficultés à concevoir augmentant avec l’âge et n’étant que très partiellement résolues par une aide médicale à la procréation dont l’efficacité décline rapidement quand l’âge des femmes s’élève. Maintenir demain plus longtemps en vie les individus ne constituera qu’un remède bien dérisoire à cette atonie démographique.

Comment expliquer que la crise de la natalité concerne des pays développés comme la France ou les pays scandinaves qui ont le plus fait pour l’égalité femmes/hommes, notamment sur les congés parentaux ou les crèches ?

Je me garderai de mettre sur un pied d’égalité la France et un pays comme la Suède pour leur action en faveur de l’égalité femmes/hommes. À titre illustratif, la Suède a instauré dès 1974 un congé parental originellement rétribué à 90 % du revenu professionnel pendant 9 mois et 60 couronnes par jour pendant les trois derniers mois et pouvant être prolongé aux mêmes conditions dans le cas d’une nouvelle naissance survenant dans un délai de 24 mois après la précédente. La France est très en dessous avec un congé parental qui suspend totalement ou réduit au prorata du temps passé au travail le salaire et donne lieu à perception d’une allocation (PreParE) de 400 euros seulement par mois. Concernant l’accueil de la petite enfance, les communes suédoises ont toutes l’obligation d’accueillir tous les enfants âgés de 1 an à 5 ans dans un service de garde préscolaire et doivent garantir une place en classe préparatoire pour tous les enfants de 6 ans, l’entrée à l’école s’effectuant à 7 ans. En France, en 2019, la capacité d’accueil théorique de 100 enfants âgés de moins de trois ans par les assistantes maternelles, crèches, école pré-élémentaire et salariés employés à domicile s’élevait à peine à 60 %.  

S’agissant de la réalité de l’égalité femmes/hommes, il serait vain de nier les progrès accomplis en Suède comme en France ou dans d’autres pays socio-économiquement avancés. Mais les insistantes revendications des femmes en faveur d’une plus grande autonomie financière, professionnelle et sociale témoignent à l’évidence que le compte n’y est pas et que les multiples changements de valeurs, d’attitudes, de comportements et de normes intervenus au regard de la famille, de la sexualité et de la procréation sont loin d’avoir été collectivement intégrés. Y remédier au plus vite et au mieux ne mettrait peut-être pas un terme à la crise de la natalité mais ne contribuerait pas à l’amplifier.

L’explication souvent avancée d’un lien entre nombre d’enfants et difficulté à mener une carrière de front avec une famille est-elle recevable ?

Les politiques familiales ont longtemps été articulées sur le modèle de l’homme pourvoyeur premier de ressources du ménage et de l’épouse en charge, au foyer, de la garde et de l’éducation des jeunes enfants, le versement de prestations financières généreuses aux familles et la faculté ainsi donnée aux mères de se consacrer à temps plein à l’éducation de leurs enfants étant perçu comme le meilleur moyen d’assurer un bon niveau de fécondité. Limiter la place du modèle familial traditionnel au bénéfice de celui des deux parents qui travaillent par création d’un environnement à même de favoriser les libres choix de vie individuels professionnelle est une idée récente et loin d’être encore communément partagée. Si l’instauration de congés parentaux et le développement de structures d’accueil de la petite enfance en Suède, en France ou en Allemagne ont favorisé une montée de la participation des femmes au monde du travail, force est de reconnaître que celle-ci a plus souvent été à temps partiel qu’à temps plein et que la structure des populations bénéficiaires d’allocations parentales d’éducation est toujours très majoritairement féminine. Force est également d’admettre qu’indépendamment des moyens mis en oeuvre, les sursauts de la fécondité et de la natalité ne sont pas à la hauteur des attentes. En Allemagne, en dépit de la profonde mutation de la politique familiale intervenue depuis 2005, il s’avère que l’essentiel de la hausse incombe aux femmes immigrantes de nationalité étrangère, la fécondité des femmes de nationalité allemande s’étant maintenue aux environs de 1,4 enfant.

Sans doute les entraves à une conciliation satisfaisante entre vie de famille et carrière professionnelle des femmes sont ellles insuffisamment résorbées, mais que les progrès en la matière ne produisent aucun effet sur la fécondité et la natalité est un indice que la tendance au déclin est profonde. 

L’effondrement de la natalité dans les pays développés peut-il s’inverser ? Les gouvernements des nations concernées doivent-ils adopter certaines mesures pour endiguer cette crise démographique ? Quelles seraient les incitations ou les mesures à déployer pour tenter d’inverser cette tendance ?

La durée des études qui s’étend bien au-delà de l’âge d’instruction obligatoire, les difficultés d’insertion stable sur le marché de l’emploi, les obstacles à l’obtention d’un logement indépendant et adapté sont autant de facteurs qui ont pour effet de repousser dans le temps la formation des couples, de jouer contre la constitution de descendances nombreuses et, si celle-ci débute trop tardivement, de favoriser une montée de la stérilité physiologique. Mais la poussée de l’individualisme et du désir premier de réalisation de soi, la montée de l’éco-anxiété, la perception diffuse des difficultés auxquelles sont ou paraissent confrontées les personnes de l’entourage amical ou familial ayant des enfants, petits ou grands, sont également à considérer avec attention dans les sociétés où la contraception et l’avortement sont librement accessibles et dans lesquelles les projets de non descendance sont sans doute désormais plus faciles à réaliser que les projets de descendance effective, aussi réduits soient-ils.

Donner un nouveau souffle aux politiques familiales est une évidence de plus en plus largement partagée. Les axes à privilégier sont également validés : prestations financières, aménagement du temps et des conditions de travail, accueil de la petite enfance, accès des jeunes ménages à des logements de qualité, proportionnés à leur taille et localisés au plus près de leurs centres d’intérêt quotidiens. Un redressement durable et profond de la vitalité démographique n’en résultera sans doute pas, mais renoncer à une telle rénovation serait assurément une faute que les jeunes classes adultes actuellles, en manque si grand d’enchantement, ne pardonneraient pas.

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