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Macron/Philippe : pour qui l’année 2018 a-t-elle été la plus dure
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Elysée ou Matignon ?

Et le grand gagnant est...

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Si l'on doit faire la rétrospective de l'année 2018, qui, entre le chef de l'Etat et le chef du gouvernement a passé l'année la plus difficile ? 

Chloé Morin : Si l’on observe leurs courbes de popularité respectives, la première chose que l’on constate est l’ampleur de la chute de popularité du couple exécutif : de 40% en janvier dernier, Emmanuel Macron a chuté à 20%. Quant à Edouard Philippe, il est passé de 35% à 22% (données issues du baromètre politique IPSOS-Le Point). Le second élément qui est frappant, est que quelques brèves périodes mises à part, leurs courbes de popularité évoluent de concert. En octobre, Edouard Philippe a connu une hausse de popularité alors qu’Emmanuel Macron stagnait - 31% de popularité pour le premier, contre 26% pour le second - et l’on a alors cru à un découplage de leurs popularités, le Premier ministre parvenant à affirmer son propre style aux dépends du Président. Mais depuis novembre, l’impopularité a rattrapé les deux de la même manière. De ce point de vue, il n’est pas possible de dire que l’un aurait connu une meilleure année que l’autre. 
Si l’on considère en revanche leurs images respectives dans l’opinion, il est clair qu’Emmanuel Macron fait l’objet d’un rejet sans doute beaucoup plus marqué qu’Edouard Philippe, dont la personnalité reste moins affirmée et moins clivante. Cette différence tient cependant en grande partie à la nature de nos institutions, où la légitimité du Premier ministre est nécessairement moins forte aux yeux de l’opinion, et où par conséquent celui qui est rendu responsable de tout, et que l’on blâme lorsque les choses ne vont pas, est le Président de la République qui a été élu au suffrage universel. 
Mais il y a une troisième manière d’analyser les choses, en s’attachant non pas à la popularité, mais à la capacité du gouvernement à tenir les promesses faites à ses électeurs. Or, quoi que l’on en dise, une bonne partie de la feuille de route gouvernementale, fixée par Emmanuel Macron pendant sa campagne, semble avoir été mise en place. Pendant longtemps, le fait que le gouvernement tenait ses promesses et appliquait à la lettre son programme a fait partie d’une des principales raisons de sa popularité, ou du moins de la résignation plus ou moins optimiste avec laquelle une partie des Français observaient son action. Aujourd’hui, par un retournement de situation, la fidélité aux promesses faites, hier louée, est devenue aux yeux de beaucoup une rigidité teintée de mépris pour les classes populaires et moyennes. Cela ne doit pas nous faire oublier qu’il y a encore peu, beaucoup appréciaient la capacité du Président à tenir le cap, conserver sa feuille de route, réformer malgré l’impopularité… ce sont d’ailleurs des qualités qu’il essaie de préserver dans la tempête, et que lui reconnait encore son coeur de cible électorale.

Cela a-t-il toujours été en ce sens ? 

Le Président est devenu un paratonnerre, le bouc émissaire tout désigné des erreurs politiques, des promesses non tenues, ou des aspirations déçues. Compte tenu de la configuration institutionnelle actuelle, il semble que cela soit devenu le « new normal ». Ce fut déjà le cas avec Hollande ou Sarkozy. Le rejet dont le Président est l’objet est à la hauteur de la place qu’il occupe dans l’imaginaire - centrale, pour une opinion qui a une conception présidentialiste du pouvoir - ainsi que des espoirs que ses électeurs avaient pu placer en lui… Ou, en tout cas, des espoirs qu’ils pensent a posteriori avoir placé en lui, car il convient de se souvenir que les deux tiers des électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour avaient déclaré avoir voté pour lui « par défaut », et n’en espéraient donc sans doute pas à ce moment là la Révolution promise (pour reprendre le titre de son livre).

Le Premier ministre, quant à lui, a sans doute perdu une partie de sa raison d’être avec la réforme institutionnelle de 2008, et notamment l’alignement des calendriers électoraux des législatives et des Présidentielles et le passage au quinquennat. Il est certes le chef de la majorité, mais dès lors que cette majorité est élue dans la foulée de la Présidentielle, les députés qui la composent se sentent liés à la légitimité présidentielle, et beaucoup moins à un Premier ministre choisi par le Président. Tout remonte au Président, et le Premier ministre n’a qu’une autonomie très relative. Dès lors, il est normal que sa popularité soit calquée sur celle du Président. C’était déjà le cas du couple Ayrault-Hollande, puis Valls-Hollande - malgré une période de quelques mois où Manuel Valls, à son arrivée à Matignon, est resté significativement plus populaire que le Président. Il convient toutefois de noter une exception dans l’histoire récente : le couple Sarkozy-Fillon, ce dernier ayant achevé le quinquennat en étant nettement plus populaire que son Président. Cela tenait sans doute en partie à leurs différences de style très marquées, mais se distinguer du Président à son propre avantage est un tour de force que les successeurs de Fillon n’ont pas réussi à accomplir - Valls a terminé son mandat à Matignon en étant très impopulaire, malgré sa très nette différence de style par rapport à Hollande. Compte tenu des difficultés que tous les premiers ministres récents ont eu à définir leur place et leur rôle, les difficultés actuelles d'Edouard Philippe peuvent donc être relativisées… 

Pensez-vous que la tendance soit la même pour 2019 ? Y compris si un changement s'effectue à la tête du gouvernement ? 

Ce qui caractérise l’atmosphère politique actuelle est l’incertitude et la volatilité. Spéculer sur ce qui pourrait advenir dans 1, 3 ou 6 mois est donc sans doute encore plus hasardeux aujourd’hui qu’il y a quelques années… Tout juste pouvons nous dire que dès lors que le Président est jugé « responsable de tout », tout remaniement, quelle qu’en soit l’ampleur, ne peut avoir un impact que limité. Le sujet semble être moins « quelles têtes » (rappelons que beaucoup de membres importants du gouvernement restent méconnus d’une grande partie des Français) que « quelle politique? ». 
Mais dans votre question initiale, vous avez évoqué uniquement le couple exécutif… il me semble toutefois nécessaire de souligner que ce qui est remarquable dans la période, et permet en quelques sortes de relativiser les difficultés du Président et du Premier ministre, c’est l’extrême fragmentation du front des oppositions. Aucune opposition de semble, à ce stade, parvenir à s’imposer comme l’alternance à la fois souhaitée et crédible - les partis populistes s’imposent davantage comme des aiguillons, des lanceurs d’alerte, que comme des entités capables de fédérer demain une majorité sur un projet. 
Lorsqu’on observe les intentions de vote pour les Européennes ou les popularités des leaders ou des partis politiques d’opposition, on constate qu’ils sont également frappés d’une grande défiance. D’ailleurs, aucun n’a réussi à faire en sorte que les Gilets jaunes, dans leur diversité, se reconnaissent véritablement en eux. 
C’est donc une année difficile pour le gouvernement et le Président qui s’achève, mais elle n’a pas été beaucoup plus glorieuse pour le reste des responsables politiques. Et ceci nous ramène à un des éléments fondamentaux qui caractérisent notre système politique depuis des années : le rejet des « élites », le sentiment qu’ils « ne nous écoutent et ne nous représentent pas » , que le « système » fonctionne en vase clôt, à l’encontre des intérêts d’une bonne part des citoyens. 
Les convulsions politiques récentes témoignent de la difficulté croissante qu’ont nos institutions - Parlement, Syndicats, processus électoraux… - à s’emparer des aspirations et des colères, et à les traduire en solutions, en lois, en mesures tangibles. Si le mouvement des gilets jaunes a en quelques sortes réconcilié beaucoup de citoyens avec l’envie de s’emparer de leur destin pour le façonner à leur guise - et donc avec la Politique avec un grand P-, il nous place également face à un constat inquiétant : si de plus en plus de gens refusent de débattre dans le cadre de nos institutions, souhaitent des formes de démocratie directe, sans intermédiaires, jusqu’où la décomposition politique à l’oeuvre pourra-t-elle aller?

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