Loukachenko, le génie politique qui jouait à l’idiot<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie.
Alexandre Loukachenko, président de la Biélorussie.
©ILYA PITALEV / SPUTNIK / AFP

Rébellion de Wagner

Dans le conflit Poutine - Prigozhin s'est distingué un troisième homme, Alexandre Loukachenko, le président biélorusse. Certains ne prêtent que peu de crédit à ce dernier, le percevant comme un homme faible, entièrement soumis à Vladimir Poutine et même un peu idiot, renvoyé à son côté "kolkhoznik".

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

Voir la bio »

Atlantico : Dans le conflit Poutine - Prigozhin s'est distingué un troisième homme, Alexandre Loukachenko, le président biélorusse. Certains ne prêtent que peu de crédit à ce dernier, le percevant comme un homme faible, entièrement soumis à Vladimir Poutine et même un peu idiot, renvoyé à son côté "kolkhoznik". Dans quelle mesure est-ce une erreur de le percevoir ainsi ?

Florent Parmentier : Il est vrai que Loukachenko a cultivé l’image d’un tractoriste, puisqu’après avoir quitté l’Armée, il est devenu vice-président d’un sovkhoze (ferme d’Etat) en 1982. Cette image de tractoriste l’a certainement conduit au succès : en 1994, il n’était pas favori face à Stanislaw Chouchkiewitch et Viatchaslaw Kiebitch, mais son mot d’ordre « vaincre la mafia » a su capter l’imaginaire populaire de l’époque troublé par les années de transition. Ses adversaires l’avaient, classiquement, sous-estimé : pour la conquête du pouvoir, Loukachenko a su faire un bon usage de son rôle de président du Comité anti-corruption du Parlement. 

Plusieurs fois considéré comme fini au cours de sa longue carrière, il parvient souvent à retourner des situations qui semblent compromises. C’est le cas à la suite de l’élection présidentielle du 9 août 2020, où l’opposition avait réussi une mobilisation sans précédent contre son régime. Sviatlana Tsikhanovskaïa a beau mépriser Loukachenko, elle n’est pas parvenu à le renverser. 

Dans la crise actuelle, Loukachenko a été en mesure d’être un interlocuteur recevable pour Poutine, Prigogine et Bortnikov, le chef du FSB. Il a su flairer une opportunité de rééquilibrer les relations entre la Russie et la Biélorussie, et de se positionner sur l’échiquier politique russe dans un rôle plus central.

À Lire Aussi

Le monde entier reste perplexe face aux événements en Russie, les propagandistes du Kremlin aussi…

A quel point a-t-il mis son intelligence politique au service de son maintien au pouvoir (depuis 1994) ?

Derrière son allure de dirigeant limité, il faut observer que Loukachenko fait en effet preuve d’un instinct de survie politique remarquable. Si l’on comprend l’intelligence politique comme une capacité de comprendre et de naviguer dans un environnement complexe et changeant, alors il faut reconnaître à Loukachenko une capacité d’adaptation hors pair sur une durée politique de près de trois décennies. 

Alexandre Loukachenko a réussi à rester au pouvoir pendant une longue période malgré les critiques et les oppositions internes et externes. Après tout, ce sont neuf Premiers ministres qui ont servi sous sa présidence ! Aussi, il a utilisé diverses tactiques pour consolider son pouvoir, contrôler les médias, réprimer l'opposition et manipuler les élections, rendant la tâche difficile, sinon impossible, pour l’opposition. 

Faut-il retenir sa ruse derrière l’apparente bonhomie, ou la violence du dictateur qui exerce une violente répression contre sa population civile ? Force est de constater que les deux ne s’opposent pas, mais peuvent se combiner. Accueillir Prigojine, c’est tirer une énorme épine du pied de Vladimir Poutine, mais c’est également l’opportunité d’entraîner son armée à l’aide de professionnels ayant l’expérience du feu. Le territoire biélorusse, d’où sont parties les attaques vers Kiev, sera peut-être à l’origine d’autres surprises. 

Dans quelle mesure Poutine est-il conscient de la stratégie de son "allié" Loukachenko ? A quel point la subit-il depuis des années et actuellement dans le contexte de guerre ?

Poutine a bien souvent également méprisé son homologue biélorusse, qui a souvent refusé ses avances sur le chemin de la fusion des deux Etats. Pire, après la présidentielle d’août 2020, après moult tergiversations, Poutine décide de le soutenir, après s’être demandé si le moment n’était pas venu de le lâcher après cinq mandats. 

La guerre en Ukraine a contribué à « vassaliser » la Biélorussie davantage, à la contraindre à ne devenir qu’un petit cap de la grande Russie. L’imposition d’un arsenal nucléaire sur le territoire de la Biélorussie contribue à sanctuariser le territoire biélorusse, mais ne le rend pas plus souverain pour autant, bien au contraire. 

Avec la crise engendrée par l’aventurisme de Prigojine, Poutine est maintenant redevable au président biélorusse qui a fait œuvre de médiation, ce qui rééquilibrera à la marge la relation. Encore une fois, Loukachenko a été sous-estimé et enterré avec la guerre en Ukraine, mais il a fait preuve d’une capacité de rebond et de repositionnement hors norme. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !