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Les trois stratégies du négociateur professionnel : la coopération, la compétition ou la "coopétition"
©Reuters

Bonnes feuilles

Plongez dans l'univers fascinant de la négociation professionnelle, en suivant Marwan Mery et Laurent Combalbert. Confrontés à des situations hors du commun - kidnapping, extorsion, grève de la faim, gourou manipulateur, ransomware, prise d'otages... -, ils livrent leurs secrets et expliquent comment faire la différence en situation désespérée. Pour chaque cas raconté, le lecteur apprendra trois à cinq techniques de négociation. Un ouvrage unique et captivant. Extrait de "Dans la peau de deux négociateurs d'élite" de Marwan Mery et Laurent Combalbert aux éditions Eyrolles.

Laurent  Combalbert

Laurent Combalbert

Laurent Combalbert est consultant indépendant, formateur et conférencier, il forme de nombreux négociateurs et conseille des dirigeants d’entreprises et d’institutions dans la gestion de leurs situations complexes, le recrutement et la formation de leurs équipes et dans la mise en œuvre de leurs politiques de sûreté et de prévention des risques.

Laurent Combalbert a été pendant plusieurs années officier-négociateur au sein du RAID, le groupe d’intervention de la police française.

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Marwan Mery

Marwan Mery

Diplômé de la Sorbonne et expert en détection du mensonge, Marwan Mery a dirigé des équipes de négociateurs dans le monde des affaires et des relations sociales avant de consacrer sa carrière à la gestion et à la résolution de situations critiques.

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La confusion entre la stratégie et la tactique est commune, et pas seulement en négociation. La stratégie, c’est l’approche globale que l’on décide de mettre en œuvre. La tactique, c’est la manière d’appliquer la stratégie en fonction de la réalité du terrain. Le décideur s’occupe de choisir la stratégie, le négociateur se charge de la tactique. Dans le cas du kidnapping Aston, la coopération est la seule possibilité. Nous n’avons pas les moyens d’adopter une attitude compétitive ou agressive.

En matière de négociation, il existe trois stratégies majeures, desquelles peuvent découler des stratégies avancées : la coopération, la compétition et la coopétition.

La coopération est la stratégie que nous recherchons tous, mais elle ne représente que 10 % des négociations. C’est le ≪ win-win ≫, quand chaque partie prenante annonce des positions réalistes, que tout le monde veut aboutir à un accord qui va satisfaire tout le monde, et que les parties prenantes ont les moyens de satisfaire les demandes mutuelles. Sans pour autant la considérer comme utopique, cette stratégie reste rare dans la plupart des cas que nous devons traiter.

La compétition est malheureusement beaucoup plus classique : l’un veut gagner ce que l’autre peut perdre, et réciproquement.

On la retrouve dans 40 % des négociations. Peu importe que l’autre partie soit satisfaite tant que j’ai obtenu le maximum de ce que je peux tirer de la situation. Moins éthique que la précédente, la stratégie de compétition est plutôt court terme et ≪ one shot ≫.

Les 50 % des négociations qui restent relèvent de la coopetition, c’est-à-dire de la coopération issue d’une compétition initiale. Et c’est la tout l’enjeu du négociateur : passer de la compétition a la coopetition, en montrant qu’il existe un objectif commun partage et que chacun a quelque chose à gagner. C’est cette stratégie que je vais proposer à Javier.

A ce stade, aucune demande de rançon n’a été faite. Mais je sais d’expérience que les revendications, dans les affaires récentes du même type, tournent autour de quelques milliers d’euros. Je décide de mobiliser Eduardo, un de nos négociateurs locaux. Depuis le début d’ADN Group, nous avons préfère constituer un réseau de négociateurs locaux plutôt que d’envoyer des négociateurs français ou européens. La connaissance de la langue, de la culture locale, des réseaux sur place est irremplaçable, c’est un avantage puissant dans les affaires de kidnapping. Eduardo est par ailleurs un excellent négociateur.

Ancien avocat à Caracas, il a été oblige de changer de métier au début de la crise qui a frappé le pays. Il travaille comme traducteur pour une entreprise suisse, et je le fais, de temps en temps, intervenir sur des missions dans cette zone du monde.

J’arrive à joindre Eduardo rapidement. Il comprend immédiatement les tenants et les aboutissants de l’affaire, ce n’est pas le premier cas de ce genre sur lequel je le sollicite. Il saute dans le premier avion pour Buenos Aires afin d’aller aux cotes de madame Aston. L’idée est qu’il se fasse passer pour un ami de la famille.

Cellule de crise WindHope – 18 h 56, heure de Paris.

Eduardo est arrivé sur place il y a maintenant deux heures.

Madame Aston a l’air de tenir le coup, mais le stress est palpable dans son comportement, visiblement. Moins d’une heure après son arrivée, les ravisseurs appelaient. Nous allons pouvoir en savoir un peu plus sur leurs revendications, j’espère.

— Eduardo, tu as pu parler aux ravisseurs ? demande-je.

— Oui, je viens de raccrocher. Ca s’est bien passe, je pense.

— Alors, ta première analyse ?

— C’est assez classique. Ils sont calmes, ils parlent lentement, et ils se sont montres déterminés et précis. Je pense que ce sont des habitués.

— Des criminels, tu penses ?

— Oui, c’est sûr. Ils ont affirmé être des FARC 1, par contre.

Le gars a été kidnappe dans la région du Barinas, la présence des FARC est crédible.

— Mais tu viens de me dire que ce sont des criminels? Les FARC sont des politiques.

— Oui, tu as raison et je pense que nos kidnappeurs ne sont pas des FARC. Ils ont des accents vénézuéliens, bien marques, ce sont des locaux. Pas des Colombiens. Ils ont certainement voulu mettre la pression sur la famille, le nom des FARC fait peur.

Encore une preuve de la pertinence à utiliser des négociateurs locaux. Je parle bien espagnol, j’aurais pu négocier directement avec les ravisseurs, mais ma connaissance culturelle et linguistique aurait été insuffisante pour faire la différence entre un accent colombien et un accent vénézuélien.

Nous avons donc affaire a des criminels. C’est en fait une excellente nouvelle : des ravisseurs avec un objectif politique auraient pu vouloir faire durer la situation, mobiliser les medias. Avec des criminels, leur motivation est claire : de l’argent, et le plus rapidement possible. Tout cela va dans le sens de notre stratégie de coopetition.

Extrait de "Dans la peau de deux négociateurs d'élite" de Marwan Mery et Laurent Combalbert aux éditions Eyrolles

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