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Les trois erreurs fatales de Theresa May
©EITAN ABRAMOVICH / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

Disraeli Scanner

Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Mon cher ami, 

Voici le parti conservateur au bord de la rupture et Theresa May est en train de perdre toute autorité. Vous aurez remarqué que je vous racontais en tête-à-tête, depuis deux ans, certains des débats internes au Cabinet et au Parti mais je ne vous écrivais rien que j’aurais dû vous demander de censurer, ensuite, puisque le journal Atlantico a l’amabilité de trouver mes courriers dignes de publication. Je ne pouvais pas révéler publiquement des tractations internes au Cabinet tant que je travaillais auprès de David Davis. A présent que le Secrétaire au Brexit a démissionné, je suis délié de tout engagement de confidentialité. Et je vais même, à ses côtés, mener le combat pour ramener le Parti au bon sens. 

Oui, mon cher ami, vous le savez mais je peux maintenant le révéler à mes lecteurs français, j’ai vécu de l’intérieur l’odyssée du gouvernement de Madame May, depuis sa constitution au lendemain du référendum jusqu’au psychodrame de Chequers, la semaine dernière, en passant par le fiasco électoral de juin 2017.  Avec David, nous faisions partie de ceux qui avaient recommandé à Theresa May de dissoudre le Parlement dès après son installation, afin de disposer d’une majorité solide pour mener le Brexit, ensuite, dans des délais rapides. Au lieu de cela, le Premier ministre a dissous à contretemps, perdu la majorité absolue du parti conservateur et elle en est aujourd’hui, deux ans après son arrivée au 10 Downing Street, à passer en mode de survie politique. Juste au moment où je vous écris, Boris Johnson vient de présenter à son tour sa démission. Vous savez que j’ai peu d’estime pour le très bouffon ancien maire de Londres. Néanmoins, étant donné que, tel Matamore, il bouge quand il est sûr que le danger est inexistant, c’est mauvais signe pour Madame May qu’elle n’ait pas su le retenir. 

Nous allons souvent reparler de ce qui se passe. Permettez-moi, ce soir, d’identifier trois erreurs fatales de notre Premier ministre. 

1. Theresa May a eu peur d’être une vraie conservatrice

J’ai d’abord pensé que le Premier ministre était un bon choix pour rassembler un parti conservateur qui avait besoin de revenir aux sources, disraëliennes, de son histoire moderne, après une génération de néolibéralisme. Il nous fallait un nouveau programme conservateur, préoccupé de la fracture sociale autant que de l’adaptation du pays à la modernité. Evidemment, je savais bien que Madame May avait voté en faveur du maintien dans l’Union Européenne. Comme elle avait la réputation d’être une modérée qui avait pu faire preuve de fermeté en matière d’immigration, elle avait paru plus à même, bien que Remainer, de rassembler le Parti qu’un Brexiter. Les premiers mois ont semblé donner raison à ceux qui avaient fait ce choix. Et son discours de Lancaster, début 2017, en faveur d’un Brexit sans concessions, a provisoirement rassuré les backbenchers

Mais, très rapidement, l’élection de Donald Trump a servi de révélateur. La séquence qui s’était produite lorsque l’élection de Ronald Reagan avait suivi l’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir (1979-1980) semblait se répéter. Mais le premier entretien de Madame May avec Donad Trump s’est mal passé. Et depuis lors, la carte américaine est rayée des perspectives stratégiques britanniques, ce qui handicape largement la Grande-Bretagne dans sa capacité de négociation avec l’Union Européenne.  

Evidemment, l’élection de Donald Trump à la tête des Républicains, c’était comme si Nigel Farage avait conquis le parti conservateur puis s’était installé au 10 Downing Street. Mais n’était-ce pas tout l’enjeu pour Madame May, absorber la force politique du populisme pour la civiliser et en tirer une politique conservatrice? La situation sociale des Etats américains ayant voté Trump n’était-elle pas très semblable à celle des régions, profondément atteintes par la désindustrialisation, ayant voté pour le Brexit?. Face à une Union européenne décidée à punir la Grande-Bretagne pour crime de lèse-Europe, n’était-il pas adéquat de revenir à la vieille idée churchilienne, ou thatcherienne, d’une union des pays anglophones? Plutôt que de s’obstiner à sauver l’union douanière des deux côités de la Manche, ne valait-il pas mieux jouer la carte d’une zone de libre-échange renforcé avec les Etats-Unis, marché de 300 millions d’habitants? N’était-il pas adéquat d’unir les forces de la City, plus encore qu’elles ne le sont, à celles de Wall Street? 

En fait, non, le Premier ministre a montré, avec les mois qui passaient, qu’elle n’avait pas le courage de choisir dans une alliance avec Donald Trump ce qui servait les intérêts britanniques. En quoi aurait-il été scandaleux de préparer un accord douanier avec les Etats-Unis tout en marquant des distances avec la politique étrangère ou la politique intérieure du président américain? En fait, l’attitude politiquement correcte de Theresa May, tenant absolument à se démarquer de l’hôte de la Maison Blanche, s’est retrouvée dans l’incapacité du Premier ministre britannique à percevoir - sans qu’elle eût besoin d’y adhérer - que la montée du conservatisme au sein de l’Union Européenne affaiblissait cette dernière et permettait aux Britanniques d’arriver aux négociations en position de force. 

2. Theresa May a bien une idée de ce qu’il faudrait faire mais elle en reste à des demi-mesures. 

Si seulement le Premier ministre britannique, désireux de ne pas rompre trop vite avec le libéralisme des quarante dernières années, avait décidé de jouer cette carte franchement. D’une certaine façon, il fallait revenir à l’idée d’une politique libérale pour la seule Grande-Bretagne, marchepied d’une politique conservatrice. On décidait de jouer le maintien de l’attractivité de la City en pratiquant un dumping fiscal. On continuait à penser dans le cadre du libre-échange mais en choissant de nouveaux partenaires commerciaux, à commencer par les USA. On mettait en place une politique d’immigration choisie en fonction des compétences. La Grande-Bretagne faisait le choix de l’éducation et de l’investissement dans les secteurs clés de la quatrième révolution industrielle. 

Mais lorsque l’on regarde, pour ne prendre que ces exemples, les documents officiels du gouvernement de Madame May sur la réindustrialisation de la Grande-Bretagne et sur le libre-échange, on voit bien que le gouvernement conservateur a fait dans la demi-mesure.  On affirme vouloir faire de la Grande-Bretagne une puissance motrice de la Quatrième Révolution Industrielle. Mais la part du PIB consacrée à la recherche (publique et privée) en 2025 ne monte qu’à 2,7% quand la Corée du Sud ou ISraël sont d’ores et déjà au-dessud de 4%. La Grande-Bretagne, dotée d’une industrie de la défense qui tient la route, d’une solide alliance militaire avec les Etats-Unis et des meilleures universités d’Europe, aurait tout intérêt, à calquer sa stratégie sur des pays sans fort marché intérieur: investir massivement dans la matière grise, l’innovation et l’exportation de la technologie de ses start-ups. Au lieu de cela, on continue à compter sur un mélange de libre-échangisme néo-libéral et d’adaptation progressive, trop prudente, à la modernisation par l’intelligence artificielle, les données, les nano- et les biotechnologies. 

D’une manière générale, en étant un brin ironique, vous conviendrez avec moi que Theresa May a été en quelque sorte précurseur du “en même temps” macronien. Mais cela ne lui a pas réussi. On ne peut pas vouloir le Brexit et en même temps garder les conditions du Remain. On ne peut pas parler, avec un certain brio de la réindustrialisation de la Grande-Bretagne et en même temps faire comme si le libre-échangisme pouvait rester l’attitude officielle de la Grande-Bretagne. On ne peut pas dire au peuple britannique que l’on a entendu les message sur l’immigration exprimés dans le vote de juin 2016 et en même temps vouloir maintenir l’essentiel de la libre-circulation entre l’Union Européenne et le Royaume-Uni. On ne peut pas être en même temps Leaver et Remainer

3. Theresa May est entrée dans la logique de négociation de l’UE au lieu d’affirmer une position britannique

Ne voulant pas assumer le fait d’être conservatrice; faisant dans la demi-mesure en matière de réorientation de la politique britannique, Theresa May ne s’est pas donné les moyens d’affirmer une position britannique ferme, qui oblige l’UE à négocier, qui joue sur les réelles divisions qui traversent l’Europe continentale et qui permette à la Grande-Bretagne de mener les négociations au rytme qu’elle souhaitait. 

On souligne assez souvent combien Theresa May a peu d’expérience internationale et de compréhension des partenaires européens. Mais je pense que tout est possible quand l’on sait négocier. Or ce que j’ai vu depuis l’équipe du Secrétaire d’Etat au Brexit, c’est que le Premier Ministre britannique n’a jamais pris les moyens d’une vraie négociation.  Elle a d’emblée accepté la position de Bruxelles demandant de clarifier des préalables avant de commencer la négociation commerciale. Or, le B-A BA, de la négociation, c’est d’être intransigeant quand vous êtes en position de faiblesse. Madame May aurait dû refuser d’emblée le calendrier de négociations que la Commission Européenne voulait imposer; elle aurait dû ostensiblement préparer les mesures d’un Hard Brexit tout en mettant en place une politique économique favorable aux investissements nationaux et étrangers  Au lieu de cela, Madame May a accepté : i. que les Conseil Européen laisse la Commission gouverner à sa place; ii. que la Commission décide de l’ordre du jour; iii. que la négociation s’éternise au point de rendre la position de Londres intenable. Le plan de Chequers, qui est une véritable capitulation, avant même que la négociation finale ait commencé, est le résultat de la vélléité de Madame May. Il est normal que David Davies, Steve Baker et Boris Johnson aient décidé de démisionner. Et ceci est le préalable à une crise politique de grande ampleur. 

La position de Madame May est d’autant moins compréhensible que, plus les mois passent, plus l’Union Européenne apparaît fragile et divisée. Madame May a décidé de se rendre à Berlin avant se réunir son cabinet à Chequers.  Or jamais Angela Merkel n’a été plus fragile! La vérité c’est qu’il est impossible de dire laquelle des deux femmes chefs de gouvernement sera renversée la première! En tout cas, elles s’obstinent, au moment où leurs partis respectifs redeviennent franchement conservateurs, à suivre une politique néo-libérale. Je ne vous cacherai pas, mon cher ami, que mon sang n’a fait qu’un tour lorsque j’ai vu le Premier Ministre britannique aller chercher l’approbation de son plan de Brexit à Berlin avant de l’avoir présenté à son gouvernement. Je pense que l’incroyable soumission des intérêts britanniques que cela représente est pour beaucoup dans la décison de démissionner prise par David Davis. 

Le parti conservateur va-t-il perdre le pouvoir? 

Theresa May va-t-elle être à l’origine d’une impensable auto-destruction du parti conservateur au moment où il avait tout pour établir ce compromis entre les anywheres et les somewheres, entre les nomades et les sédentaires que réclame David Goodhart? Madame May ne semble pas se rendre compte qu’elle est en train de faire renaître UKIP. Et qu’elle est en train de créer les conditions d’une mise en minorité du gouvernement et de nouvelles élections, qui devraient voir le succès du Labour de Jeremy Corbyn. 

Nous autres Brexiters n’allons pas la laisser faire. Comme mon aîné, David Davis, j’ai été loyal au Premier ministre tant qu’elle semblait tenir, tant bien que mal, les engagements de son discours de Lancaster. A présent, comme beaucoup d’électeurs et de députés conservateurs, je me sens trahi. Et comme Benjamin l’Ancien dénonçant le libre-échangisme de Robert Peel comme contraire à l’esprit du parti, je vais m’opposer de toutes ces forces à ceux qui veulent vendre leur âme à un système moribond, contraire aux exigences de l’époque et qui ne tient que parce qu’une partie du monde dirigeant européen y croit encore. 

Vu l’état de tension extrême de notre parti, il est possible que je n’attende pas une semaine pour vous écrire à nouveau. 

Bien fidèlement à vous 

Benjamin Disraëli

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