Les Pays-Bas, ce pays fondateur de l’UE qui sera beaucoup plus difficile à ostraciser que les Hongrie, Pologne ou autres Slovaquie<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Le parti de Geert Wilders est arrivé en tête des législatives aux Pays-Bas.
Le parti de Geert Wilders est arrivé en tête des législatives aux Pays-Bas.
©PATRICIA DE MELO MOREIRA / AFP

Panique morale à Bruxelles

Bruxelles ne pourra pas marginaliser, comme il a pu le faire avec la Hongrie, un pays fondateur aussi puissant que les Pays-Bas, ne serait-ce que par son poids financier et commercial.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »

Atlantico : Geert Wilders en l'état n'a pas gagné, il est juste en tête. Personne ne veut faire de coalition avec lui. Est-ce qu'il peut vraiment parvenir à rassembler une majorité et devenir Premier ministre ? 

Christophe de Voogd : Bien entendu. Tout reste à faire pour Wilders dans un système intégralement proportionnel et de plus dans un paysage politique très émietté. La coalition est le mode normal de gouvernement aux Pays-Bas et elle est devenue plus en plus difficile à constituer car il faut intégrer plusieurs partis pour atteindre la majorité (76 sièges). La coalition sortante - et ce fut une des raisons de sa faiblesse- comprenait ainsi 4 partis. Ceci dit, sur le papier une coalition de droite tripartite est désormais disponible avec une majorité nette (81 sièges) : PVV de Wilders, VVD libéral de Yesilgöz NSC de Omzigt. A quoi s’ajoutera sans problème le parti paysan citoyen (BBB) de Caroline van der Plas qui a déjà fait connaître sa disponibilité. Car, pour le moment, personne à droite ne rejette a priori une coalition avec Wilders, contrairement à ce qu’on entend ici et là en France et qui ressemble beaucoup à du « wishful thinking ».

Nous entrons en fait dans des tractations complexes et secrètes qui commencent dès aujourd’hui avec la nomination d’un « explorateur » par le PVV pour sonder les autres partis. La large victoire de Wilders peut jouer de fait dans les deux sens: son hégémonie peut être crainte par les autres ; cette appréhension est très nette chez les libéraux traumatisés par leur fort recul de 2023 après 13 ans de règne ininterrompu et trois décennies comme parti charnière des coalitions néerlandaises ; et par ailleurs, l’on peut compter sur les médias et la gauche pour harceler tout candidat à une collaboration avec « le diable Wilders ». Mais, en même temps, la très forte avance du PVV (11 sièges de plus que la gauche unie) lui donne une légitimité démocratique et une centralité politique difficile à contourner, du moins dans un premier temps. ET il n’y a pas, à lire les programmes des uns et des autres, marqués par un gouffre entre droite et gauche, de solution alternative. Tout va dépendre de ce que Wilders est prêt à abandonner de maximalisme sur tous les sujets et de ses appétits gouvernementaux. C’est un politicien professionnel et rusé qui connait la vie parlementaire comme sa poche depuis 30 ans. Les observateurs les plus avisés de la vie politique néerlandaise pensent qu’il pourrait, comme il l’a fait dans sa campagne, laisser de côté sa rhétorique antimusulmane et se concentrer sur l’immigration et le pouvoir d’achat : ces deux sujets ont en effet été les deux principales motivations de  ses électeurs (80% et 75% respectivement). Nul doute qu’un autre nom que le sien, vu le totem qu’il représente, pour diriger le pays pourrait aussi grandement faciliter les choses : mais l’homme aime le pouvoir et le PVV ne brille pas par la multiplicité des talents disponibles. Bref, la situation est très ouverte et en toute hypothèse les négociations seront longues et réservent bien des coups de théâtre.

Les Pays-Bas, c'est un pays pro-UE et cofondateur de l'UE. Qu'est-ce que cet échec nous dit de l'opinion néerlandaise ? Quelles leçons les démocraties européennes doivent en tirer ?

Il ne faut pas trop surestimer le caractère pro-UE des Pays-Bas. Il est très largement fondé sur des considérations d’intérêts bien compris, avant tout économiques. N’oublions pas que ce pays a été, en 2004, l’autre pays du « non » au referendum sur la constitution européenne.

En raison de son poids économique (5e PIB européen, 2e commerce extérieur, 1er exportateur agricole) et diplomatique comme pays fondateur, dont l’actuel premier ministre Mark Rutte est très actif sur tous les grands sujets européens, le bouleversement politique à la Haye aura des conséquences directes sur le fonctionnement de l’Union, notamment pour tout ce qui relève de l’unanimité.

Mais le message essentiel est ailleurs : la raison profonde de la victoire du PVV (et ne l’oublions pas de la nouvelle formation du NSC de Omzigt passée de 0 à 20 sièges) démontre le divorce entre l’électorat majoritaire et la classe politique sur tous les grands sujets du moment : immigration, écologie, Europe, questions sociétales (le wokisme est hégémonique aux Pays-Bas dans le monde intellectuel et média-politique). A quoi s’ajoute un enjeu qui a été décisif à mes yeux dans la remontée spectaculaire du PVV en fin de campagne : la crise du Moyen Orient et ses répercussions en Europe. Face à des élites désormais, et contre la tradition nationale, clairement propalestiniennes (surtout à gauche, y compris social-démocrate), et face aux manifestations pro-Hamas dans les grandes villes, les Néerlandais « natifs » ont voté pour le parti le plus pro-israélien du spectre politique : le PVV dont le leader a vécu en Israël dans sa jeunesse et est un ami inconditionnel de ce pays (y compris dans sa version « Grand Israël »). Tout ce qui de près ou de loin relève de l’antisémitisme ne passe pas dans les profondeurs d’une société encore traumatisée par l’anéantissement de sa communauté juive pendant la Guerre. Ceci concerne, il est vrai, surtout les « boomers », les jeunes Néerlandais comme la plupart des jeunes Occidentaux ayant une connaissance vague de la Shoah. Mais, comme on le sait, ce sont les boomers qui votent le plus.

Si Geert Wilders arrive à devenir Premier ministre, quid de l'attitude de Bruxelles ? Va-t-elle se braquer ? Pourra-t-elle réagir de la même façon qu'avec Viktor Orban ? 

Comme sur bien des sujets, Wilders mettra de l’eau dans son vin. Mais encore une fois il restera intraitable sur l’immigration et probablement aussi sur l’écologie punitive, un de ses grands thèmes de campagne. Or l’on sait que l’Europe est très proactive sur ces deux sujets. Nul doute qu’il y aura donc de sérieuses difficultés. Mais Bruxelles ne pourra pas marginaliser, comme il a pu le faire avec la Hongrie, un pays fondateur aussi puissant que les Pays-Bas, ne serait-ce que par son poids financier et commercial. Orban ne s’y est d’ailleurs pas trompé : il a été le premier dirigeant à féliciter Wilders…

Mais surtout qu’en sera-t-il de l’Europe elle-même quand et si Wilders arrive au pouvoir, c’est-à-dire dans le contexte des élections européennes de juin prochain : car la vraie leçon de ces élections néerlandaises est la possibilité de profonds changements au Parlement européen, donc aussi dans la prochaine Commission ; autrement dit, dans l’orientations générale des politiques européennes suite aux bouleversements survenus dans différentes pays (Italie, Pays-Bas, bientôt Belgique ?) comme à Bruxelles. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !