Les jouets ont-ils vraiment le pouvoir de rendre les enfants violents ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les jeux peuvent avoir de nombreuses influences, notamment éducatives.
Les jeux peuvent avoir de nombreuses influences, notamment éducatives.
©REUTERS/Radovan Stoklasa

Education

On pointe cependant souvent du doigt les jeux vidéo comme origine des phénomènes de violence exacerbée. Mais ne faudrait il pas plutôt être attentif au "monde réel" et à sa transformation?

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet

Aurélien Fouillet est chercheur au Centre d’Etudes sur l’Actuel et le Quotidien (Université Paris V René Descartes). Il est docteur en Sociologie. Sa thèse s’intitule : "L’esprit du jeu dans les sociétés post-modernes. Anomies et socialités : Bovarysme, mémoire et aventure." Il a également collaboré à l’ouvrage dirigé par Michel Maffesoli et Brice Perrier : L’homme postmoderne.

Ses thématiques de recherche sont : le jeu, le risque, la morale, les nouvelles technologies, la science fiction et la bande dessinée.

Il est membre de la rédaction des Cahiers Européens de l’Imaginaire et l’un des trois fondateurs de La Tête qui manque.

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Atlantico : Les enfants peuvent-ils devenir violents simplement à cause de jeux ?

Aurélien Fouillet : S’interroger sur la possibilité des jeux, ou des jouets, de rendre les enfants violents n’est peut-être pas la question adéquate. Les jeux et les jouets sont des représentations de la vie, des portes d’entrée sur la vie en société. Il s’agit donc plutôt de se demander si la vie dans le monde contemporain peut provoquer des comportements violents chez les enfants. D’une certaine manière, si l’on s’interroge de plus en plus sur la dangerosité des jeux et des jouets, jeux vidéos en tête, cela vient d’un phénomène sociétal de porosité. Les jeux et les loisirs ont été séparés de la vie quotidienne par le paradigme moderne qui s’exprime au travers des trois huit par exemple : 8 heures de travail (vie publique), 8 heures de repos (vie privée), 8 heures de loisirs (vie fantastique). Mais on observe de très nombreux phénomènes contemporains dans lesquels ces séparations n’ont plus cours. L’exemple des bureaux de Google dans lesquels on trouve des toboggans ou des baby-foot est ici représentatif. Les technologies contemporaines de communication (Internet, téléphones mobiles, etc.) renforcent également cette porosité. On reçoit ses mails professionnels hors des heures de travail, on joue sur le web lorsque l’on est au travail. Bref, les frontières entre les jeux et les autres dimensions de la vie ne sont plus hermétiques. On pointe cependant souvent du doigt les jeux vidéo comme origine des phénomènes de violence exacerbée. Mais ne faudrait il pas plutôt être attentif au "monde réel" et à sa transformation? Si le Prince Harry compare ses activités de militaire en Afghanistan avec un jeu vidéo doit-on l’imputer aux jeux vidéo, ou bien ne faut-il pas voir ici que la guerre elle-même reprend aujourd’hui les codes du jeu ? L’image, la représentation médiatique de la guerre, sa narration aseptisée ne participent-ils pas de cet esprit de mélange et de porosité de mondes jusqu’alors différenciés ? Les dernières campagnes de recrutement de l’armée de terre dont le slogan était "Devenez-vous même.com" reprenaient très clairement les codes des jeux vidéo. Un jeu, contemporain de cette campagne, reprenait d’ailleurs le slogan de l’armée et affichait "Devenez plus que vous même.com" sur les mêmes quais de métro. La question n’est donc pas de savoir si les jeux sont violents ou non, mais plutôt que la violence "réelle", effective, reprenne les codes fictionnels du jeu.

Comment faut-il protéger les enfants de ces dangers ?

Il ne s’agit donc pas de protéger les enfants des jeux violents ou non. Ici encore, permettons nous un petit détour théorique pour comprendre ce qui est en question. La société industrielle et rationalisée a produit, de bien des manières, de l’ennui. C’est ce que nous racontait déjà Flaubert dans Madame Bovary. De façon plus contemporaine, le site stopennui.com, est le symptôme de cela aussi. L’ennui, la mélancolie, la dépression sont les "névroses" de notre époque. La consommation d'antidépresseurs en France en témoigne. Comme nous l’indiquait Michel Foucault, les névroses d’une époque nous indiquent ce qui est en jeu dans celle-ci. L’ennui, invoque son contraire, l’aventure. Quelle forme prend donc cette aventure aujourd’hui ? Un peu à la manière d’Emma Bovary, notre aventure consiste à nous raconter des histoires, à narrer notre vie quotidienne. La timeline Facebook, les Tumblr, les Tweets, ou encore les forum du jeu Ogame, en témoignent. Lorsque l’on poste une photo de soi, d’un plat ou d’une fête sur un site quelconque, n’est-ce pas pour participer d’une histoire collective qui passerait par les commentaires, les like et les unlike de nos amis ? Les chaînes d’info en continu en sont un autre exemple. En continu, à chaque heure du jour et de la nuit, il faut raconter le monde, le mettre en scène. Face au vide de l’ennui, chacun cherche un sens, une histoire à se raconter. Comme l’a bien montré Lyotard dans La condition postmoderne, les discours qui donnaient du sens à la société moderne sont aujourd’hui saturés. Ce sont alors des micro-discours, des micro-récits, qui prennent le relais. Ainsi, l’aventure est alors recherchée, le jeu en est l’expression quotidienne, l’addiction la version exacerbée. Si le jeu prend une place aussi importante aujourd’hui c’est en parti parce qu’il correspond à ce besoin contemporain d’aventure. L’anomie destructrice de lien social qui s’exprime dans l’ennui produit par la rationalisation de la vie moderne, trouve son pendant dans une anomie créatrice qui est aujourd’hui celle du jeu et de son mode de narration, d’enromancement. La violence que l’on fait porter aux jeux n’est peut-être que l’expression de ce passage d’une société à l’autre, d’une anomie destructrice à une anomie créatrice ?

Quelles autres formes d'influence les jeux peuvent-ils avoir sur les enfants ?

Les jeux peuvent avoir de nombreuses influences, notamment éducatives. Mais il faut plutôt insister sur la capacité du jeu à proposer un espace dans lequel on expérimente et on teste des formes de vie en société. Dans un monde en transformation, les jeux proposent un espace d’expérimentation du monde à venir.

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