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Les incertitudes de la géopolitique imposent un recadrage de la politique de réindustrialisation
©BERTRAND GUAY / AFP

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Alors que la Cour des comptes juge sévèrement le premier acte de la politique de relocalisation industrielle, Bercy prépare le lancement d'un nouveau plan beaucoup plus ambitieux afin de tenir compte des incertitudes de la géopolitique

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La Cour des comptes, comme souvent, ne se prive pas de critiquer les premiers résultats du premier plan de relocalisations industrielles lancé en septembre 2020 dans la foulée du Covid. Le ministre de l'économie indique que ce plan, qui a mobilisé plus de 831 millions d'euros pour instruire et lancer 531 projets industriels, permettra de rapatrier en France la production de 400 produits, dont 60 % en provenance d'Asie (et notamment de Chine). Ces produits appartiennent aux 5 secteurs qui ont été définis comme stratégiques (pharmacie, défense, haute technologie, électronique, agroalimentaire…). 

Pour Bercy, les appels à projets ont permis de préparer le lancement de France 2030, qui représente un total d'aides de 54 milliards d'euros. La Cour des comptes reproche au gouvernement d'avoir surtout répondu aux défis de l'actualité en venant au secours d'entreprises en difficulté tout en restaurant une souveraineté industrielle. Ce à quoi Bercy répond que l'objectif de sauver 60 000 emplois a été atteint. La question de maintenir en survie les entreprises touchées par le Covid s'est évidemment imposée en urgence pour des raisons politiques et sociales à partir du moment où la politique du "quoi qu'il en coûte" avait été levée.

L'objectif de relocalisations industrielles s'inscrit évidemment sur un plus long terme et doit viser à créer des emplois dans les régions et à préserver la souveraineté nationale, mais doit prendre en compte des contraintes nouvelles liées aux incertitudes politiques et aux mutations climatiques. Le Covid et plus encore la guerre en Ukraine et le conflit israélo-palestinien ont souligné les défaillances de la mondialisation développées depuis les années 2000.

Pour tous les pays développés, la réindustrialisation vise à accroître la part de l'industrie dans l'économie d'un pays. Cette ambition implique souvent une revitalisation du secteur manufacturier, avec des investissements dans de nouvelles technologies, des infrastructures et une augmentation de la production industrielle. 

Pour les Américains et les Européens, la réindustrialisation est vue comme une réponse aux défis liés au chômage, en particulier dans les secteurs où la délocalisation a entraîné la perte d'emplois. Mais cette relocalisation concerne aussi la stimulation de la croissance économique à long terme avec un objectif d'indépendance économique pour contribuer à la sécurité nationale. 

Cela dit, la multiplication des guerres sur la base de conflits de civilisation, ethniques, idéologiques ou religieux a introduit dans les choix d'investissement des considérations morales et politiques autour des droits de l'homme et du respect des libertés individuelles. 

La mondialisation effrénée depuis les années 2000, qui devait quasiment imposer la protection des libertés individuelles, a finalement permis à certains pays de s'exonérer d'un certain nombre de ces valeurs auxquelles l'Occident est très attaché. Le respect des droits de l'homme, le respect des accords commerciaux, de la transparence et l'élimination des habitudes de corruption. L'Occident a fait évidemment preuve de naïveté, de faiblesse ou de cynisme dans ses rapports commerciaux et financiers avec beaucoup de pays politiquement organisés en système autoritaire. La mondialisation "heureuse" a engendré des fractures et des conflictualités parfois violentes et porteuses de risques encore plus graves de guerre mondiale, comme c'est le cas aujourd'hui. 

En renforçant leur base industrielle, les pays développés peuvent améliorer leur compétitivité sur le marché mondial, impératif pour maintenir une position dominante dans l'économie mondiale. Mais ces pays doivent savoir sur le plan politique qu'ils vont devoir assumer une hausse des prix à la consommation. Parallèlement, cette mondialisation vigilante sur le terrain politique va devoir prendre en compte le prix de la transition écologique et particulièrement de la décarbonation : certains pays cherchent à associer la réindustrialisation à une transition vers des modes de production plus durables et respectueux de l'environnement, contribuant ainsi à la lutte contre le changement climatique. Cela étant, cette réindustrialisation moderne présente donc des défis avec des investissements importants, une compétition mondiale différente, et la contrainte environnementale. 

Dans ces conditions, les plans de réindustrialisation ne peuvent se déployer qu'à long terme. L'Amérique, avec son plan sur l'inflation acte, travaille sur les 30 prochaines années. Il est considérable en termes d'engagement financier. La France réfléchit aussi sur le long terme. 

Mais la France ou l'Allemagne ne peuvent rien faire seules. Pour résister à la puissance américaine, c'est évidemment à l'Europe toute entière de fixer les nouvelles règles du jeu. À la limite, c'est à l'Organisation des Nations Unies de bâtir une nouvelle architecture. Rien ne dit que les pays autoritaires resteront à l'écart d'un capitalisme occidental dont ils refusent les règles juridiques et morales mais dont ils ont besoin de la technologie, du dynamisme et des performances économiques.

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