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Les dessous du plan de la Chine pour dominer le monde : une propagande agressive pour déstabiliser les démocraties occidentales
©Greg Baker / AFP

Propagande

Quatrième volet d’une série en 5 articles. Comment la Chine utilise une propagande agressive dans le but de déstabiliser les démocraties occidentales

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico.fr : Quels sont les "fondamentaux" de la propagande chinoise, a-t-elle évolué ces derniers temps ?

Emmanuel Lincot : rappelons qu’en la matière, la Chine a une tradition régalienne forte. Toute initiative destinée à l’étranger émane des services de l’Etat. En cela, la France a une culture historique assez proche de celle de la Chine. Mais à une différence près : les structures de l’Etat chinois se confondent avec celles d’un parti unique, le parti communiste. Tout en découle. A l’époque de Mao Zedong, il s’agissait de glorifier la Révolution et son mentor. A l’époque de Deng Xiaoping, on mettait en avant les réalisations du pays sur le mode d’une « économie socialiste de marché ». L’hybridité du discours semblait concilier les contraires. C’est dans ce contexte que la Chine commence à s’ouvrir au tourisme occidental. On met en avant un patrimoine - ou ce qu’il en reste après la Révolution culturelle - multiséculaire puis, troisième phase que nous vivons encore, on exalte une « civilisation écologique » qu’incarne la Chine et son Président Xi Jinping. En interne, la Chine est associée au thème de la supériorité pour laquelle le régime use de toutes sortes de superlatifs. Comme dans n’importe quel régime autoritaire, la langue s’est considérablement appauvrie. Elle n’est que juxtaposition de slogans. Des centaines de millions d’individus les ânonnent quotidiennement soit pour bénéficier des points pour leur crédit social, soit pour être promus en entreprise ou, en tant qu’étudiant, pour passer ses examens. Lavage de cerveau et abrutissement collectif se traduisent par des comportements moutonniers. Les seuls actes transgressifs possibles se manifestent dans une boulimie compulsive d’achat. « Du pain et du cirque » : le régime l’a bien compris. Et c’est ce compromis qui depuis 1989, a été tacitement et chaque année, reconduit entre la « société d’en haut » et la « société d’en bas ». En externe, la propagande s’attache dans le cas du Covid-19 à exalter la remarquable gestion par le PCC de la crise liée au Covid-19. Cette propagande s’est toutefois radicalisée depuis ces dernières années. On raille les démocraties et leurs faiblesses. Récemment, l’ambassadeur chinois en poste en Australie a menacé le gouvernement de Canberra de sanctions économiques si les Australiens continuaient à critiquer la Chine sur sa gouvernance sanitaire. L’Ambassadeur de Chine à Paris s’en est pris quant à lui au gouvernement français pour critiquer ses carences. Evidemment, ces initiatives ne sont pas individuelles. Elles sont directement commanditées par l’exécutif chinois. 

Emmanuel Véron : La République populaire de Chine est par essence un régime hier totalitaire, aujourd'hui très autoritaire, conférant, parfois, selon les contextes (surveillance cyber de masse) à une dictature. Difficile de s'en rendre compte en Occident, en particulier avec le développement accéléré du pays qui brouille les grilles de lecture. Il semble impossible qu'un régime dur puisse se développer...et pourtant...Le contrôle du verbe, de l'image et des faits sont bien sûr une obsession pour le régime de Parti-Etat (à la tête du contrôle et de la gouvernance) mais est un des piliers de la Chine aujourd'hui. Propagande et information ne sont qu'un et ce depuis 1949. Outil majeur de mobilisation des masses, de contrôle et de puissance, la propagande en Chine est intimement liée aux traumas, aux mensonges d'Etat et à la projection de puissance (hier comme aujourd'hui). Le Département de l'information du Comité central du PCC (à noter le mot information dans la formulation officielle) est une branche interne du PCC en charge de l'application de la censure, de ce qui doit être communiqué ou non, ou qui pourrait entamer l'image du PCC ou de la RPC. Tous les médias, la presse doivent être loyaux au PCC. Les agences de presse et médias chinois (ou journalistes) à l'étranger sont aussi soumis au contrôle strict de l'information diffusée. Ce processus s'est accéléré, tendu et amplifié depuis plusieurs années, les dernières semaines en attestent. Le traitement médiatique de la crise du coronavirus s'est inscrit dans une forme de guerre de l'information et de la désinformation. Les diverses formes (réseaux sociaux, médias officiels, site web des chancelleries etc.) de communication à travers le monde (France, Etats-Unis, Canada, Allemagne, Italie, RU, Kazakhstan, Sri Lanka, etc.) sont coordonnées et incitées par Pékin. On retrouve la logique dite des « Loups guerriers », sortes de sentinelles déployées dans le monde pour « protéger la Chine et de la désinformation et des périls la menaçant »…

Quels sont les effets à redouter de cette propagande, peut-elle nous affecter autant que le fait la communication russe ? 

Emmanuel Lincot : cette propagande était moins agressive avant l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Même si la canicule en France de 2003 avait été l’occasion pour la Chine de distiller des propos peu amènes à l’encontre d’une société française soupçonnée d’abandonner ses vieillards. Une antienne qui est censée s’inspirer d’une responsabilisation intergénérationnelle propre au confucianisme, à ses vertus auxquelles l’Occident barbare n’entendrait rien. Ce qui prête évidemment et tristement à sourire quand on sait l’état de délitement grandissant de la société chinoise dans ses grandes villes et des rapports que les jeunes entretiennent avec leurs aînés. Depuis peu, des sinologues en France même ont reçu des intimidations voire des menaces de mort. En cela, les méthodes chinoises ont brusquement changé et ne sont pas sans nous faire penser à celles employées par Moscou. Le stade ultime de cette stratégie est de mettre à exécution ces menaces tout en distillant des « fake news ». Dans ce cadre, on l’aura compris, la Chine ne fait pas du « Soft power » mais bien du « Sharp power ». C’est ce qui distingue, comme je l’ai développé dans mon dernier livre (« Chine, une nouvelle puissance culturelle ? ») les initiatives d’une démocratie comme la France et sa diplomatie culturelle de la Russie voire de la Chine dans la diffusion de leur propagande respective.

Emmanuel Véron : La désinformation est aujourd'hui (et la crise du Covid-19 le confirme avec beaucoup de lustre) une des modalités essentielles de la conflictualité ou de la guerre hybride. En empruntant les canaux de médias officiels/étatiques, les rumeurs, le complot, les contre-vérités sont dans chaque crise, systématiques et alimentent le "brouillard de la guerre". Si les éléments de communication russe se montrent efficaces en la matière, c'est bien parce qu'il y a une longue et solide tradition depuis Lénine puis après avec les organes soviétiques (sécurité, renseignement, désinformation, compromission). Aussi, notons-le, les Russes nous connaissent très bien, peut-être mieux que nous ne les connaissons...Ce qui distinguent les modalités venues de Chine. Une moindre connaissance (intime) corrélée aux impératifs diplomatiques et stratégiques discrets forgent l'influence chinoise et son soft power dans les années 1990 et début 2000. Après, en particulier depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le régime est de moins en moins complexé à utiliser ce que les Russes ou d'autres d'ailleurs, nous ont habitués à faire. Certains chercheurs parlent même de russification des méthodes chinoises. Dans les faits, la RPC nous connaît de mieux en mieux, a su se créer ses réseaux d'influences en Europe (ou plus largement en Occident) et n'hésite pas à employer des méthodes plus saillantes. 

A quoi faut-il s'attendre dans les prochaines années de la part de Pékin ? Une intensification de sa communication extérieure surtout à proximité de ses pôles commerciaux et stratégiques ?

Emmanuel Lincot : il faut s’attendre à beaucoup moins de subtilité dans le choix des discours élaborés par Pékin et ses représentants. La Chine d’aujourd’hui est dans ses choix de culture politique assurément plus proche de l’héritage d’un Joseph Staline que celle des grands poètes de la Cour impériale ! Fascisante dans la posture qu’adopte nombre de ses jeunes diplomates, elle sera tentée de faire sienne ce que Joseph Goebbels, chef de la propagande nazie, ne cessait d’asséner à ses administrés : « un mensonge cent fois répété devient une vérité ». Il faudra donc veiller à dénoncer le discours chinois qui sera de plus en plus hostile à notre encontre. A nous de nous protéger et de prendre les mesures appropriées (expulsions de diplomates et de ressortissants chinois si cela s’avère nécessaire) pour défendre nos intérêts, ceux de nos concitoyens, des dissidents chinois, ouïghours et tibétains que menace la Chine y compris sur notre propre territoire.

Emmanuel Véron : Il faut s'habituer à une Chine moins nuancée, qui rejettera la critique ou le débat contradictoire. Plus généralement, c'est une figure de l'impossible remise en question, ce qui participe à attiser les rapports de force et d'intimidation dans le système international. C'est à dire qu'il y a et il y aura une systématisation de la censure des sujets qui fâche la Chine, ils seront pour le moins contestés par les officiels du régime à l'étranger, sinon totalement évacués du débat. La guerre de l'information continuera d'être (avec force) une des règles en matière de guérilla. L'aspect contre-productif de l'offensive médiatique de désinformation ne sera pas totalement présent. En effet, cette offensive vise de plus en plus le clivage politique et de la représentation de l'ordre du monde par les opinions en Occident. L'image "positif" et "efficace" d'un régime dur, qui n'est pas "prisonnier" de son opinion versatile est probablement l'objectif premier de cette action de subversion. L'issue serait en montée en puissance des populismes, une déstabilisation des démocraties occidentales et une opinion devenue favorable aux méthodes chinoises de gouvernance. Il est évident que les officiels chinois ainsi que les décideurs à Pékin observent de près l'agenda politique et électoral des démocraties. En ce sens, la montée en puissance de la désinformation à l'approche de scrutin sera systématique.

Pour retrouver la première partie de l'analyse et de la série de décryptages d'Emmanuel Lincot et d'Emmanuel Véron sur la Chine, cliquez ICI

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