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Les dessous du plan de la Chine pour dominer le monde : la méfiance vis-à-vis des voisins asiatiques
©LUDOVIC MARIN / AFP

Diplomatie

Troisième volet d’une série en 5 articles. La Chine se méfie de certains de ses voisins et certains pays mènent une contre-offensive diplomatique.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Emmanuel Véron

Emmanuel Véron

Emmanuel Véron est géographe et spécialiste de la Chine contemporaine. Il a enseigné la géographie et la géopolitique de la Chine à l’INALCO de 2014 à 2018. Il est enseignant-chercheur associé à l'Ecole navale.

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Atlantico.fr : Quelles réponses les occidentaux, États-Unis d'un coté, Européens de l'autre, peuvent-ils apporter à l'offensive diplomatique chinoise ? 

Emmanuel Lincot : Par des contre-enquêtes entreprises par les Etats-Unis sur le nombre réel de victimes en Chine afin de confronter les autorités chinoises dans une guerre juridique qui est déjà engagée. Côté européen, la contre-offensive s’organise dans l’interdiction du déploiement des services de Huawei comme aux Etats-Unis, même si les Européens sont assez divisés sur la question. D’après le quotidien Le Monde, des pressions ont été exercées par la Chine sur Bruxelles pour atténuer la critique de la désinformation. C’est dans les pays les plus affaiblis – ceux de l’Est – en particulier dont les régimes illibéraux ne sont pas étrangers aux régimes russes et chinois que cette désinformation est la plus forte. Pourtant, certaines voix s’élèvent contre l’emprise chinoise. Le maire de Prague en particulier a clairement notifié aux autorités chinoises qu’il privilégierait Taïwan en considérant que Pékin n’était pas « un partenaire fiable ». Mais il est vrai que la Tchéquie a une longue tradition dans le domaine de la dissidence. C’est même Vaclav Havel, signataire de la charte 77, qui avait inspiré le militant chinois Liu Xiaobo dans la rédaction de sa propre charte 08. Nous n’en sommes qu’au début. Emmanuel Macron est le seul pour le moment à vouloir réunir les cinq membres du Conseil de Sécurité pour que la communauté internationale puisse s’organiser après la crise. C’est à mon avis aussi vain que prématuré. D’abord parce que Donald Trump est un farouche opposant aux initiatives multilatérales. D’autre part, parce que la priorité pour la France c’est l’Europe. C’est d’abord auprès de nos partenaires européens que nous devons nous réorganiser. C’est ensuite la coopération entre les Etats-Unis et l’Europe qui doit être renforcée. Après tout, c’est l’avenir de la famille occidentale, de ses valeurs qui se joue ici.

Emmanuel Véron : Les Etats-Unis comme l'Europe sont encore en situation de gestion de crise sanitaire, doublée d'une crise économique majeure, afin d'éviter le glissement vers une crise politique et une déstabilisation durable. A Washington comme à Bruxelles, Londres, Paris, Berlin ou encore Madrid, la voix des chefs de la diplomatie se sont manifestées pour signaler l'offensive chinoise, ses excès dans la communication et le dénigrement des régimes occidentaux. Aussi, les presses occidentales et divers médias se sont mobilisés (l'ampleur est aussi inédite) pour faire témoigner, demander des éclairages aux experts sur les mensonges du Parti-Etat et les dissimulations structurelles. En ce sens, la réponse par l'analyse accessible au grand public est une approche essentielle et très importante pour l'opinion aussi bien de ressortissants chinois que pour les peuples occidentaux. Ainsi, l'image du régime à Pékin est mieux comprise. D'ailleurs la mobilisation et la propagande de diplomates chinois résulte de ces analyses qui crispent beaucoup Pékin car vraies.

Sur le plan de la diplomatie, l'UE comme l'OTAN, respectivement désorganisée au début de la crise et déconnectée de ce type de crise, sont aujourd’hui dans une phase nouvelle de réflexion stratégique. Les échanges entre Mike Pompeo et Jean-Yves Le Drian en sont un exemple éloquent. L'OTAN qui depuis la fin de l'année 2019, lors de son dernier sommet à Londres via la voix de son secrétaire général, Jens Stoltenberg concluait sur le "défi" chinois. Aussi l'UE, revoit sa copie et évoque depuis le printemps 2019, un rival systémique. Les tendances se sont accélérées avec la crise du Covid-19, malgré l'affaiblissement de l'UE et l'unilatéralisme américain. La réponse apportée par ces deux structures étatiques sera dans une meilleure anticipation des risques stratégiques en lien avec la puissance chinoise, notamment dans les secteurs industriels (armements ou non) civils et militaires, dans l'énergie, les infrastructures critiques etc. Enfin, les logiques de relocalisations des chaînes de production industrielles, notamment pharmaceutique voire d'autres secteurs restent à organiser, tout autant que des class actions et autres plaintes contre le PCC pour demander réparations. Des enquêtes indépendantes, des sanctions économiques et douanières vont également se structurer.

Mercredi 29 avril, l'administration Trump a demandé à ses services secrets extérieurs de débusquer ceux qui auraient dissimulé des informations sur le Covid19. La Chine est, bien sûr, la première visée par ces opérations. La réponse sera donc également opérationnelle ? 

Emmanuel Lincot : Il s’agit de percer l’énigme du P 4, ce laboratoire de Wuhan sur lequel pèse des soupçons de nature sécuritaire. Après tout, il existe des faits troublants. L’entreprise technip qui, dans le cahier des charges de l’aménagement de ce laboratoire franco-chinois, a été écartée. Pas une seule équipe française n’a pu y mettre les pieds. Et en cela, la Chine n’a pas respecté ses accords signés avec la France. Y expérimentait-elle des domaines sensibles relevant du secret militaire ? Que le major-général Chen Wei, spécialiste de guerre bactériologique ait été envoyée en première ligne à Wuhan par le Président Xi Jinping pose également question. Après tout, des bébés transgéniques ont été créés par des biologistes chinois. Pourquoi ne pas imaginer la fabrication à Wuhan d’une arme bactériologique dont l’expérience aurait mal tourné ? C’est ce que les Etats-Unis veulent savoir tout en se préparant à ce qui paraît de plus en plus inéluctable : la confrontation militaire à terme avec la Chine par une réactivation de tous ses canaux de renseignements qui, le moment venu, accompagneront des mesures stratégiques majeures à l’encontre de la Chine. Ce n’est pas le fait du hasard si, en pleine crise du Covid-19, les Etats-Unis renforçaient leur positionnement stratégique autour de l’axe et le projet Indo-Pacifique, concurrent à celui des Nouvelles Routes de la soie.

Emmanuel Véron : Rappelons que les Etats-Unis comptent 17 services de renseignement....Une note fin mars début avril "fuitant" dans la presse américaine évoquait le nombre de 70 000 victimes mortes du coronavirus en Chine. Ces diverses agences sont bien sûr mobilisées pour collecter du renseignement, penser la gestion de crise, l'après crise et un faisceau de réponses à apporter pour contrecarrer l'offensive chinoise, pas seulement sur la gestion de crise du coronavirus. Il est évident qu'une course est engagée dans la recherche d'un vaccin contre le virus, dans la recherche d'éléments sur l'origine du virus et sur les éléments de dissimulation par les autorités chinoises locales et centrales. Une mobilisation des membres de l'OTAN ainsi que ceux des Five Eyes est à analyser. Un des enjeux à court et moyen termes sera celui de l'adoption ou non des technologies 5G par ces différents membres, en particulier ceux du cercle "Five Eyes". C'est aujourd'hui une question plus que jamais clef dans la rivalité stratégico-militaire sino-américaine. Enfin, les Etats-Unis vont promouvoir le concept Indo-Pacifique et renforcer leur réseau d’alliance stratégique en Asie-Pacifique, jusqu’en Inde.

Européens et États-uniens mis à part, quelles cotre-offensives diplomatique, en Asie par exemple, peuvent gêner le développement chinois ? 

Emmanuel Lincot : Le projet Indo-Pacifique ainsi que le Quadrilateral Security Dialogue entre l’Inde, l’Australie, le Japon et les Etats-Unis vont être considérablement renforcés. Il n’est pas impossible, dans cette configuration, que le Japon se voit assurer d’une plus large autonomie en matière de défense vis-à-vis de la Chine. De même que les Etats-Unis peuvent décider un grand coup politique : la reconnaissance diplomatique de Taïwan. L’Inde va se remettre en selle contre le Pakistan, allié de la Chine, en réactivant les factions qu’elle soutient au Balouchistan comme au Cachemire voire en Afghanistan et renforcer son dispositif sécuritaire sur l’ensemble de l’arc himalayen. Des pays comme le Kazakhstan vont prendre du champ vis-à-vis de la Chine. Des formules datant de la guerre froide vont être réutilisées : « containement », « front countries »…Bref, nous empruntons les sentiers de la guerre.

Emmanuel Véron : En Asie, en lien avec les Etats-Unis d'abord et les pays européens tels que la France ou le Royaume-Uni, le concept Indo-Pacifique vise à contenir dans une certaine mesure les ambitions stratégiques chinoises dans le bassin Indo-Pacifique. Le Japon a déjà commencé à envisager la relocalisation industrielle. Taïwan avec à sa tête, la réélection de la présidente Tsai Ing-wen sort renforcé par cette crise face au régime de Pékin, notamment par le succès notable de sa gestion de crise. La Corée du Sud l'est également. Plusieurs opinions en Asie du Sud-Est (Thaïlande notamment, mais aussi au Vietnam, en Indonésie etc.) manifestent leur désapprobation face à la proximité de leurs gouvernements avec la Chine. D'autre part, la machine industrielle chinoise n'est pas encore pleinement opérationnelle, loin de là. Elle dépend des marchés américains, japonais, sud-coréen, européen etc. Ces derniers sont encore confinés. La machine économique chinoise de fait est encore pour partie paralyser. L'après crise (on ne sait pas quand ni comment exactement) pourrait bien être celui de la relocalisation de chaînes de production plus importantes en Asie du Sud-Est, en Inde, en Afrique etc. L'issue de la crise contrairement à ce qui est vanter par les autorités chinoises pour être celui d'une Chine plus affaiblie et une restructuration de la géoéconomie de l'Asie et de ses relations avec la Chine. Le Japon, l'Inde, l'Asie du Sud-Est, mais aussi Taïwan et la Corée du Sud vont revoir leur lien avec la Chine. Le XXIe siècle ne sera pas celui de la Chine mais plutôt celui de l'Asie.

Pour retrouver la première partie de l'analyse et de la série de décryptages d'Emmanuel Lincot et d'Emmanuel Véron sur la Chine, cliquez ICI

Pour retrouver la seconde partie de l'analyse et de la série de décryptages d'Emmanuel Lincot et d'Emmanuel Véron sur la Chine, sur l’offensive diplomatique, cliquez ICI

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