Les coqs pourraient être capables de reconnaître leur reflet dans un miroir. Voilà pourquoi c’est une surprise pour les scientifiques <!-- --> | Atlantico.fr
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Les coqs seraient en mesure de reconnaître leur reflet dans un miroir et de l’identifier comme tel.
Les coqs seraient en mesure de reconnaître leur reflet dans un miroir et de l’identifier comme tel.
©RONNY HARTMANN / AFP

Conscience de soi

Selon des éthologues de l’Université de Bonn en Allemagne, les coqs seraient en mesure de reconnaître leur reflet dans un miroir et de l’identifier comme tel. Très peu d'animaux ont réussi le test d'auto-reconnaissance du miroir.

Jessica Serra

Titulaire d’un doctorat en éthologie, Jessica Serra est spécialiste de l’étude du comportement des mammifères. Elle s’est spécialisée dans l’étude de la cognition animale et a travaillé en tant que chercheuse pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de plusieurs essais scientifiques dont « Dans la tête d’un chat », « La bête en nous » ainsi que d’autres ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle dirige la collection d’essais scientifiques « Mondes Animaux » qui regroupe des chercheurs en éthologie et propose à travers des livres accessibles au grand public de nous projeter dans les univers sensoriels et cognitifs des non-humains en évitant l’écueil de l’anthropomorphisme : « Et si, au lieu de regarder les animaux avec nos yeux, nous les regardions avec les leurs ? ».” Retrouvez son site internet : www.jessica-serra.com

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Atlantico : Très peu d'animaux ont réussi le test d'auto-reconnaissance du miroir. De quoi s'agit-il, exactement ?

Jessica Serra : Le « test du miroir », aussi appelé « test de Gallup », a été inventé par le psychologue américain Gordon Gallup en 1970. L’idée était qu’un animal capable de se reconnaître dans le reflet d’un miroir, à l’instar de l’Homme, faisait la distinction entre son « moi » et l’environnement extérieur et qu’il avait donc une conscience de lui-même. Les premiers sujets testés furent des chimpanzés. 

Une marque colorée fut déposée à leur insu sur leur corps, dans une zone impossible à voir sans l’aide d’un miroir. Confrontés à leur reflet pour la première fois, les chimpanzés ont d’abord exprimé de l’agressivité envers l’image dans le miroir, comme s’ils avaient en face d’eux un autre chimpanzé. Durant cette première phase, ils ne prêtèrent pas attention à la tâche sur leur corps. Après quelques jours de familiarisation à l’objet magique, ces comportements diminuèrent, au profit de nouveaux. 

Les chimpanzés touchèrent alors systématiquement la marque ou l’observèrent avec attention à travers le miroir. D’autres utilisèrent carrément le miroir comme outil pour visualiser des zones de leur corps, inatteignables par vue directe, scrutant ainsi l’intérieur de leur bouche ou…leur postérieur ! Ils avaient donc compris que l’image observée dans le miroir n’était autre que leur propre image. La conclusion fut que les chimpanzés étaient capables de reconnaître leur « moi » et qu’ils avaient donc une conscience d’eux-mêmes.

Au regard de récentes études, les coqs seraient en mesure de reconnaître leur reflet dans un miroir et de l’identifier comme tel. Qu’est-ce que cela nous dit sur les coqs et sur leur intelligence et leur capacité de perception de l’environnement extérieur ? Qu’est-ce que ce test de la conscience de soi nous dit sur les animaux ?

Oui, des éthologues de l’Université de Bonn en Allemagne ont testé des coqs dans un test du miroir classique, en marquant leur corps avec une tâche de couleur. Ils ont échoué. Quand je dis « ils », je parle des chercheurs, pas des coqs ! Car si les coqs n’ont pas cherché à se débarrasser de la tâche de peinture sur leur corps, conclure qu’ils ne possédaient pas une conscience d’eux-mêmes était aller un peu vite en besogne. Comme le souligne très justement le sociologue Gérald Bronner, l’absence de preuve n’est pas la preuve de l’absence. 

Les chercheurs n’avaient peut-être pas posé la bonne question aux volatiles. Ils ont ainsi imaginé un autre test, plus subtile. De précédentes études avaient montré que les coqs, bien lotis en termes de facultés cognitives, avertissent les poulettes et les autres mâles d’un danger imminent en émettant des cris d’alarme. Un « cocorico » lancinant qu’ils produisent en présence de leurs congénères pour avertir de l’arrivée d’un prédateur aérien : « Attention, faucon en approche ! » 

Exploitant ce comportement naturel, les éthologues ont inventé un autre test pour évaluer l’existence d’une conscience de soi chez cet oiseau domestique. Ils ont évalué la réaction de coqs seuls, auxquels ils présentèrent une silhouette de faucon volant au-dessus d'eux, puis l’ont comparée à la réaction de coqs en présence d’un autre mâle ou d’un miroir. Si les coqs pensaient avoir affaire à un des leurs devant le miroir, ils auraient dû réagir de la même manière qu’en présence d’un autre coq, à coups de cocoricos alarmistes en voyant le faucon arriver… Ce ne fut pas le cas ! Les coqs émirent des cris d’alarme seulement en présence d’un autre individu, alors qu’ils restèrent muets s’ils étaient seuls ou face au miroir. Ils étaient donc capables de faire la différence entre leur propre reflet et la vue d’un congénère. 

Cela en dit long sur les facultés cognitives des oiseaux. Si leur cerveau est configuré de manière très différente de celui des mammifères, le secret de leur intelligence réside en un compactage de leurs neurones, autorisant une puissance cognitive remarquable. 

Ce test pourrait-il être passé et réussi par d’autres animaux ? Ce test peut-il ouvrir la voie à de nouvelles méthodes permettant de déterminer l’auto-reconnaissance chez d’autres espèces animales ?

Le test du miroir est parfaitement réussi par plusieurs grands singes comme les chimpanzés, les bonobos et les orangs-outans, mais aussi par les dauphins, les éléphants, les cochons, les corbeaux et les pies. Ces espèces ont en commun un cerveau très développé, un degré d’empathie développé, mais aussi une organisation sociale élaborée. Des résultats intermédiaires ont été trouvés chez les singes-araignées et les capucins mais aussi chez les diamants mandarins, et même les pigeons ! 

Plus surprenant encore, une étude récente menée par une équipe japonaise sur un petit poisson, le labre nettoyeur commun, a surpris la communauté scientifique. De la même manière que les chimpanzés, les dauphins ou les éléphants, ces petits poissons ont manifesté trois phases comportementales devant le miroir. Dans un premier temps, ils se sont montrés agressifs, comme s’ils avaient affaire à un congénère étranger. Dans un second temps, ils se sont familiarisés avec le miroir en se livrant à de petites danses, comme s’ils tentaient de savoir si l’image perçue était bien la leur. Lors de la dernière phase, ils ont utilisé le miroir pour se débarrasser de la marque de couleur que les chercheurs avaient laissée sur leur gorge (invisible sans l’aide du miroir). Dépourvus de mains ou de trompes, comment ont-ils procédé ? En se grattant frénétiquement sur un support !

Quelles sont les valeurs des études en question ? Ces tests sont-ils fiables ?

Le test du miroir tel que pensé par Gallup a l’immense mérite d’avoir entrouvert les portes de la conscience animale, portes qu’ont poussé les auteurs de la collection « Mondes Animaux » (Ed. HumenSciences) en réunissant les dernières découvertes sur le sujet.Mais comme bien des tests cognitifs en éthologie, il présente aussi d’importantes limites. 

D’abord, comme je le souligne dans mon livre « La bête en nous », échouer au test du miroir n’est pas synonyme d’absence de conscience de soi. La plupart des espèces engagent des processus de reconnaissance individuelle en utilisant bien d’autres signaux que les signaux visuels. Si nous inventions un test de miroir olfactif ou acoustique en fonction de la prévalence sensorielle de l’espèce considérée, nous serions probablement bluffés par le nombre d’animaux capables de reconnaître leur « moi ». 

A l’inverse, réussir le test du miroir n’est pas forcément gage de conscience de soi chez toutes les espèces testées. Elle pourrait, chez les espèces qui se familiarisent au miroir mais ne tentent pas de se débarrasser de la marque colorée, révéler la « simple » faculté de reconnaître un individu étranger se comportant bizarrement en les mimant. 

Enfin, la conscience de soi pourrait aussi exister à des degrés variés. Certains animaux auraient ainsi une conscience de soi limitée à la taille et la forme de leur corps, tandis que d’autres pourraient avoir une conscience plus sophistiquée, impliquant des processus cognitifs complexes. La fiabilité du test dépend donc de sa capacité à s’adapter à l’écologie de l’espèce. En cela, l’expérience menée chez les coqs est remarquable. Elle ne laisse guère planer le doute sur l’existence d’une conscience de soi chez les oiseaux ! 

Pour approfondir le sujet :

Le livre « La bête en nous » aux éditions HumenSciences

Le livre « Le grand livre de l’intelligence animale » aux éditions Larousse

Retrouvez son travail ici : www.jessica-serra.com

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