Les chercheurs s’intéressent désormais aux interactions entre les animaux et la Tech <!-- --> | Atlantico.fr
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Un Border Collie participe à une expérience sur un écran tactile à l'Université de médecine vétérinaire de Vienne.
Un Border Collie participe à une expérience sur un écran tactile à l'Université de médecine vétérinaire de Vienne.
©ALEX HALADA / AFP

Écrans pour tous

Les nouvelles technologies sont de plus en plus présentes et en contact avec les animaux.

Jessica Serra

Titulaire d’un doctorat en éthologie, Jessica Serra est spécialiste de l’étude du comportement des mammifères. Elle s’est spécialisée dans l’étude de la cognition animale et a travaillé en tant que chercheuse pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de plusieurs essais scientifiques dont « Dans la tête d’un chat », « La bête en nous » ainsi que d’autres ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle dirige la collection d’essais scientifiques « Mondes Animaux » qui regroupe des chercheurs en éthologie et propose à travers des livres accessibles au grand public de nous projeter dans les univers sensoriels et cognitifs des non-humains en évitant l’écueil de l’anthropomorphisme : « Et si, au lieu de regarder les animaux avec nos yeux, nous les regardions avec les leurs ? ».” Retrouvez son site internet : www.jessica-serra.com

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Atlantico : Dans nos maisons, la technologie est de plus en plus présente et en contact avec les animaux. Les chiens sont équipés d'une puce électronique, surveillés par des robots de sécurité domestique et entraînés à ne pas aboyer avec des colliers « autonomes ». Pourquoi les chercheurs commencent à s'intéresser de plus près aux interactions des animaux avec les nouvelles technologies ?

Jessica Serra : Je me suis intéressée à l’utilisation des nouvelles technologies il y a plusieurs années, pour suivre les rythmes d’activités et les déplacements de chats 24h sur 24, à l’extérieur comme à l’intérieur. Afin d’enregistrer les déplacements des chats en intérieur, nous avons adapté une technologie « Ultra-wideband », initialement employée par les militaires. Nous suivions également les déplacements de chats en extérieur à l’aide de traceurs GPS. L’engouement pour ces travaux fut tel qu’ils donnèrent lieu à l’émission « La vie secrète des chats » et à un livre « dans la tête d’un chat » dans lequel je raconte ces découvertes. Ce type de technologies nous a permis d’accroître de manière fulgurante les connaissances sur le comportement du chat, mais aussi de satisfaire la curiosité des propriétaires qui souhaitaient percer les mystères de leur félin !

Par la suite, les nouvelles technologies liées aux animaux de compagnie ont connu un essor sans précédent. Les propriétaires de chiens et de chats, soucieux de leur bien-être, sont attentifs à ces avancées technologiques. Le marché de la « PetTech » a littéralement explosé ! On peut aujourd’hui facilement se procurer des colliers GPS pour chiens et chats, garder un œil sur eux via des robots de sécurité et leur parler à distance, contrôler le type et la quantité d’aliments à délivrer grâce à des balances intelligentes, s’affranchir de la corvée de nettoyage grâce à des litières autonettoyantes, favoriser l’exercice de son animal à travers un lanceur automatique de balles, proposer des jeux vidéo à son chat…Ces objets connectés ont pour objectif de faciliter la vie du maître mais aussi d’améliorer la santé de l’animal tout en veillant à le stimuler mentalement. 

Que peuvent apporter les travaux des chercheurs dans le domaine relativement nouveau de l’interaction animal-machine ? Et pourquoi ce domaine mériterait bien plus d’attention qu’il n’en reçoit ?

Au-delà des outils intelligents dédiés aux chiens et aux chats, les interactions de l’animal et de la machine intéressent grandement la communauté scientifique. Dès les années 70, l’éthologue Susan Savage-Rumbaugh eut l’ingénieuse idée de communiquer avec des bonobos en utilisant des claviers sonores présentant différents symboles associés à un objet ou une idée (les lexigrammes). Dans une étude que je menais en collaboration avec le Clever Dog Lab en Autriche, sur la base de renforcements positifs, nous utilisions des écrans avec lesquels interagissaient des chiens pour évaluer leurs capacités de catégorisation et de mémorisation. Des dispositifs similaires sont aujourd’hui employés pour tester les capacités cognitives de pigeons, de primates, et bien d’autres…Les brebis, par exemple, peuvent reconnaître plus de cinquante visages différents de brebis présentés sur des écrans, mais aussi des visages humains, notamment celui d’Obama ou d’Emma Watson.  Ces interactions animal-machine, respectueuses des animaux, méritent notre attention car elles permettent d’évaluer leurs facultés cognitives de manière novatrice et de mettre à jour des compétences insoupçonnées. 

D’autres études ambitionnant d’augmenter les facultés de l’animal lui-même, en créant des animaux cyborg ou hybrides, sont en cours. Le transanimalisme, qui bouleverse la condition animale, soulève toutefois de nombreux questionnements éthiques. 

Comment les nouvelles technologies et certains objets ou innovations high-tech pourraient mieux aider les animaux au quotidien, notamment pour leur santé ou leurs comportements à risques ?

L’industrie agricole s’intéresse de près aux technologies dernier cri, car les enjeux économiques sont considérables. Cela explique son engouement pour les capteurs embarqués. Disposés à différents endroits du corps, ils peuvent renseigner sur la température corporelle de l’animal, son activité physique, son statut reproducteur ou son rythme cardiaque.  En intégrant des accéléromètres dans les boucles d’oreilles de vaches laitières, une équipe de chercheurs propose un système de surveillance qui déclenche des alertes en temps réel lorsque des changements surviennent dans les habitudes d’activité ou de rumination. L’arrivée des chaleurs, l’emplacement de chaque vache et leur activité sont livrés en temps réel par un système d’intelligence artificielle. L’intérêt de ces technologies, pour l’éleveur, est de détecter précocement d’éventuels problèmes de santé ou comportementaux. 

D’autres technologies entrent en scène, notamment des techniques d’analyses d’images permettant de tracer le déplacement des animaux ou de s’assurer qu’ils ont tous accès à la mangeoire. La réalité augmentée, aussi, pénètre les étables. Face à des élevages de plus en plus grands, l’éleveur a la possibilité, grâce à un casque de réalité virtuelle, d’obtenir des informations personnalisées sur chacun de ses animaux. Ces innovations high-tech dédiées au suivi de la santé n’en sont qu’à leurs prémices, mais il y a fort à parier que dans quelques années, elles feront partie du quotidien des animaux d’élevage, de celui des animaux de compagnie et…du nôtre !

La technologie pourrait-elle permettre d’améliorer la survie des espèces ?

Pour favoriser la survie de différentes espèces, les méthodes de suivi des animaux sont d’une utilité certaine. Je pense aux colliers GPS ou aux balises Argos par exemple. Mais bien d’autres existent. Pour observer leurs comportements au plus près, certains, comme dans la série Spy in the Wild produite par la BBC, ont imaginé des robots espions, infiltrés au sein d’un groupe d’animaux. Les images obtenues sont renversantes ! 

Dans un autre registre, des chercheurs du Media Lab de l’Institut de technologie du Massachusetts ont travaillé sur un incubateur artificiel augmenté. Jusqu’ici les incubateurs privaient les oisillons (encore dans l’œuf) des sons émis par leurs parents, alors que différentes études éthologiques ont montré l’importance de ces interactions vocales pour les embryons. Une telle privation affecte le développement de l’oisillon, mais aussi son comportement postnatal. Conçu pour transmettre le son entre un oiseau et ses œufs, l’incubateur artificiel augmenté, baptisé « TamagoPhone » permet de recréer ces stimulations sensorielles prénatales. Son utilisation pour la reproduction d’oiseaux en voie de disparition est prometteuse. 

Les espèces menacées peuvent aussi être suivies en temps réel par des drones équipés de caméras thermiques ou des capteurs combinant GPS et connectivité IoT, développés par la fondation Sigfox. Ces technologies, aussi efficaces soient-elles, permettent de lutter contre le braconnage, mais ne peuvent sauver à elles-seules les espèces en danger d’extinction. Elles sont toutefois une aide précieuse aux méthodes de conservation.

Des prouesses sont-elles possibles grâce aux nouvelles technologies dans le cadre de la compréhension et des interactions entre les animaux et les humains via notamment l'amélioration de la communication entre les chiens-guides et leurs propriétaires ?

Ces technologies peuvent en effet directement agir sur nos interactions avec les animaux. Le développement d’un harnais connecté pour les chiens guides d’aveugles, appelé Gallidog, promet de modifier le quotidien des personnes non-voyantes. Ce harnais aidera le chien à s’orienter sur des trajectoires inconnues, qui recevra des vibrations sur le flanc droit ou gauche le renseignant sur la direction à emprunter. Une révolution en termes d’autonomie des personnes non voyantes !

D’autres technologies sont à l’étude, notamment pour décrypter le langage corporel des animaux, leurs expressions faciales ou leur langage vocal. Là encore, nous n’en sommes qu’aux balbutiements, mais quelques pistes sont encourageantes.

Le développement et la démocratisation des nouvelles technologies ou de certaines innovations pourraient-elles conduire à négliger les animaux, les humains s’occupant moins d’eux directement ?

Les risques sont nombreux : pour les animaux d’élevage, le risque premier est que l’éleveur, se faisant relayer par la machine, rompe tout lien avec l’animal, et ne le regarde plus que sous le prisme de sa rentabilité. Pour les animaux de compagnie, déléguer à des machines les interactions avec son chien ou son chat pourrait laisser penser qu’il a moins besoin que son maître s’occupe de lui. C’est une erreur. Ces outils sont un plus, mais ils ne peuvent aucunement se substituer à l’humain. Rappelons que les animaux sont des êtres sentients, doués d’intelligence et désireux de créer des liens. Rien ne parvient -encore- à remplacer un gentil mot, un moment de complicité ou le délice d’une caresse…

Retrouvez le site de Jessica Serra : cliquez ICI

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