Les animaux ont-ils une conscience ? De nouveaux éléments scientifiques éclairent la réponse<!-- --> | Atlantico.fr
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Des pogonas, ou dragons barbus (Agamidae), sont photographiés à La Ferme Tropicale, un magasin et une boutique en ligne spécialisés dans la vente aux particuliers de reptiles et d'insectes, et de produits liés à leur détention, le 29 mars 2018 à Paris.
Des pogonas, ou dragons barbus (Agamidae), sont photographiés à La Ferme Tropicale, un magasin et une boutique en ligne spécialisés dans la vente aux particuliers de reptiles et d'insectes, et de produits liés à leur détention, le 29 mars 2018 à Paris.
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Complexe

Une déclaration signée par des dizaines de scientifiques affirme qu'il existe une "possibilité réaliste" d'éléments de conscience chez les reptiles, les insectes et les mollusques.

Jessica Serra

Titulaire d’un doctorat en éthologie, Jessica Serra est spécialiste de l’étude du comportement des mammifères. Elle s’est spécialisée dans l’étude de la cognition animale et a travaillé en tant que chercheuse pendant plus de 15 ans. Elle est l’auteure de plusieurs essais scientifiques dont « Dans la tête d’un chat », « La bête en nous » ainsi que d’autres ouvrages de vulgarisation scientifique. Elle dirige la collection d’essais scientifiques « Mondes Animaux » qui regroupe des chercheurs en éthologie et propose à travers des livres accessibles au grand public de nous projeter dans les univers sensoriels et cognitifs des non-humains en évitant l’écueil de l’anthropomorphisme : « Et si, au lieu de regarder les animaux avec nos yeux, nous les regardions avec les leurs ? ».” Retrouvez son site internet : www.jessica-serra.com

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Atlantico : Une déclaration signée par des dizaines de scientifiques affirme qu'il existe une "possibilité réaliste" d'éléments de conscience chez les reptiles, les insectes et les mollusques. La conscience se définit-elle de la même façon pour les animaux que pour les êtres humains ? Que savons-nous aujourd’hui ?

Jessica Serra : Cette déclaration, qui compte une quarantaine de signataires, affirme en effet qu'il existe une possibilité de certains types d'expériences conscientes chez différentes espèces animales, y compris des espèces très distinctes des humains. 

Définir la conscience est complexe. On utilise ce terme pour désigner notre capacité à savoir que nous existons, à se remémorer des souvenirs, à anticiper des évènements, à comprendre que l’autre que soi a des intentions ou des désirs. Bref, la conscience est un mot fourre-tout qui rend le concept difficile à investiguer chez l’animal d’un point de vue scientifique. Mais les éthologues et les psychologues sont ingénieux. Différents tests prouvent aujourd’hui que la plupart des animaux ont accès à différents niveaux de conscience. 

Un des pans de la conscience étudié est la conscience de soi. Pour savoir si les animaux peuvent se reconnaître eux-mêmes, le psychologue américain Gallup a créé le fameux test du miroir. L’idée est d’appliquer une marque colorée sur le corps d’un animal pendant son sommeil puis, à son réveil, de le placer devant un miroir. Si l’animal tente de se débarrasser de la tâche à l’aide du miroir, c’est qu’il reconnaît son reflet, et qu’il a donc conscience de lui-même. Les chimpanzés, les cochons ou les pies, pour n’en citer que quelques-uns, passent ce test haut la main ! Les chimpanzés en profitent même pour scruter des parties de leurs corps comme l’intérieur de leur bouche, inaccessibles visuellement sans le miroir. Mais tous les animaux ne réussissent pas ce test. Non qu’ils n’aient pas conscience d’eux-mêmes, c’est le test qui n’est pas adapté à eux ! Prenons l’exemple des chiens : ces derniers s’autoreconnaissent et reconnaissent leurs congénères d’abord sur des critères olfactifs. Le test de conscience de soi doit donc être repensé dans leur cas pour s’adapter à la prévalence sensorielle de l’olfaction.

Un autre pan de la conscience étudié par les chercheurs est la mémoire. Là encore, qu’il s’agisse de mémoire spatiale, de mémoire de travail, de mémoire épisodique (se rappeler du où ? quand ? comment ?) ou de voyage mental dans le passé et le futur, de nombreux animaux font preuve de capacités époustouflantes. Par exemple, les chimpanzés montrent une mémoire spatiale prodigieuse, dépassant de très loin celle des enfants humains.

Dans mon livre « La bête en nous », je rappelle que les éthologues sont allés encore plus loin dans l’évaluation de la conscience animale, en montrant que des animaux sont capables d’attribuer des intentions à leurs congénères, ce qu’on appelle « la théorie de l’esprit ». Certains sont aussi capables de comprendre les fausses croyances, en d’autres termes, de penser à leur façon « Je sais que tu te trompes ! », voire de mentir à leurs congénères, en les faisant se méprendre sur leurs intentions. Les corbeaux notamment, s’ils se savent observés, font semblant de cacher leur nourriture à un endroit. Une fois à l’abri des regards, ils déplacent la nourriture dans une autre cachette, pour éviter de se faire voler leur pitance. 

Quels seraient les éléments possibles qui pourraient aller dans le sens de cette déclaration scientifique ?

Si nous sommes enclins à concéder un certain niveau d’intelligence aux animaux qui nous ressemblent, nous considérons les autres avec dédain. Invertébrés, mollusques, reptiles souffrent de notre classification hiérarchisée du vivant. Dans nos sociétés occidentales anthropocentrées, tout ce qui s’éloigne de l’être humain nous parait moins intelligent. Cette vision simpliste n’est pas sans conséquences pour les espèces situées « en bas de l’échelle » : nous avons moins d’empathie envers les animaux miniatures (les insectes par exemple), ceux vivant dans des milieux différents (les poissons par exemple) ou ceux que nous considérons répugnants (les araignées par exemple). Pourtant, l’intelligence a emprunté des chemins évolutifs différents. Et les éléments en faveur de l’existence d’une conscience chez ces animaux sont nombreux !

Alors que nous les percevons comme des automates, les recherches sur les insectes bouleversent nos connaissances sur le sujet. Dans son livre « A quoi pensent les abeilles ? » (Ed. Humensciences), le chercheur Mathieu Lihoreau souligne que les abeilles ont une représentation interne de l’espace et du temps. Preuve en est elles communiquent entre elles, à l’aide d’une danse symbolique (la danse en huit), la position et la distance qui les sépare d’un lieu de nourrissage. Il ajoute que les bourdons ont probablement une conscience d’eux-mêmes, puisqu’en fonction de la taille de leur propre corps, ils anticipent les trajectoires à emprunter selon la nature des obstacles rencontrés. Et le chercheur de rappeler que les compétences de ces insectes ne s’arrêtent pas là : « les abeilles semblent capables de planifier la construction des cellules du nid aux contraintes physiques de l’espace disponible et tendent à abandonner une tâche quand les risques de se tromper sont trop élevés, laissant penser qu’elles peuvent apprécier les conséquences de leurs actions. » Selon certains scientifiques, « la conscience pourrait même se situer dans une zone du cerveau bien précise : le complexe central (l’équivalent de notre mésencéphale). Cette structure impliquée dans la navigation traite les informations provenant du corps et du monde extérieur, et permet probablement aux insectes de se construire une représentation du monde suffisante pour l’expérience subjective. » Par ailleurs, des recherches menées sur les mouches des fruits montrent qu’elles rêvent pendant leur sommeil, un nouvel indice en faveur de l’existence d’une conscience chez les insectes.

D’autres expériences ont montré que les poulpes, les homards et les crabes ressentent et évitent activement la douleur, ce qui, selon certains chercheurs, indique là encore une expérience consciente. Les poulpes font preuve de prouesses cognitives : ils sont capables d’anticiper et de réguler leur propre comportement alimentaire en fonction des conditions environnementales. Une étude récente tend même à démontrer qu’eux-aussi, rêvent ! Quant aux reptiles, réputés lents et stupides, ces derniers n’ont de cesse de nous surprendre. Les couleuvres rayées parviennent à distinguer leur propre signature chimique de celle d’autres membres de leur portée qui suivent le même régime alimentaire. Selon Gordon Burghardt, éthologue spécialiste des reptiles, il s’agirait là d’une forme de conscience de soi.

Que pourrait-on encore apprendre au sujet des animaux ?

Chaque jour, les éthologues en découvrent davantage sur les capacités mentales des animaux et balaient les préjugés à leur encontre. L’ensemble de ces découvertes montre que la conscience n’est pas l’apanage de l’Homme. Fruit de l’évolution, elle semble être apparue dans des taxons très différents sous des formes variées.

Nous vivons une révolution en termes de connaissances scientifiques sur l’intelligence et les émotions animales. Comme le rappelle Sophie Hild, la directrice de la Fondation Droit Animal Ethique et Science dans un article spécialement dédié à la conscience animale, la question aujourd’hui n’est pas tant de savoir si les animaux ont une conscience, mais « de quels niveaux et de quels contenus de conscience font-ils l’expérience ? »

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