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Les 10 (lourdes) questions qui planent sur le Royaume-Uni en cas de Brexit sans deal
©Andrew Milligan / POOL / AFP

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Semaine cruciale pour Boris Johnson après la démission de la ministre du Travail qui explique pourquoi la Grande Bretagne ne peut pas quitter l’Union européenne sans deal.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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« Je ne veux pas être associée à la responsabilité d’un Brexit sans deal comme le prépare Boris Johnson », voilà la déclaration de la ministre du Travail démissionnaire Amber Rudd. Après avoir perdu la majorité au Parlement qui lui aurait permis d’organiser la sortie de l’Union européenne avant le 31 octobre comme il l’avait promis, Boris Johnson se retrouve bien seul, d’autant que les membres de son gouvernement commencent eux aussi à prendre du recul. 

Le système politique britannique, qui autrefois a servi de modèle de démocratie représentative au monde entier, se retrouve complètement bloqué. Le Parlement et le gouvernement se retrouvent incapables de mettre en musique une décision issue d’un referendum populaire. Pour une raison très simple : la grande majorité des représentants du peuple, une grande partie des classes moyennes et du monde du business s’aperçoivent que le Brexit tel qu’il avait été présenté et « vendu » lors du référendum, est inapplicable ou alors au prix d’une catastropheéconomique et sociale que les Anglais paieraient très cher

Le Brexit, tel qu’il est défendu par Boris Johnson et la partie de ses soutiens les plus radicaux, appartient aux décisions les plus absurdes que l’histoire a malheureusement prises dans le passé et dont les peuples ont du mal à se remettre, parce que ce sont les peuples qui trinquent, rarement les élites.

Lors du referendum, il est évident que la question à laquelle il fallait répondre a été mal posée, qu‘elle n’a pas été expliquée dans ses conséquences et ses perspectives ou alors sur la base d’analyses incomplètes ou fausses. Y-a-t-il manipulation et diffusion de fake news ? Par qui et au profit de quel groupe social ? L’histoire, sans doute, nous le dira.

Toujours est-il que le projet de Boris Johnson est si peu clair, que la procédure qu’il veut mettre en place est si peu préparée, peu expliquée et peu comprise, à la fois par les consommateurs, les salariés et les chefs d’entreprises, travaillistes ou conservateurs, que le Premier ministre est devenu inaudible. Il ne suffit pas de dire qu’après le Brexit, la Grande Bretagne sera en meilleur état qu’auparavant, encore faut-il expliquer pourquoi et comment ça va se passer. C’est un exercice où tous les candidats Brexiters peinent à convaincre leurs électeurs. L’électorat britannique ne se contente plus de grands discours à la télévision par les ténors du populisme. Ils veulent des chiffres et des démonstrations qui tiennent compte de la réalité. C’est la vraie raison de la démission de la ministre du Travail qui a des connexions fortes dans les syndicats et qui réclamait de son Premier ministre autre chose que des injonctions ou des prédictions autoréalisatrices. La ministre du Travail a dit tout haut ce que les représentants au Parlement entendent de leurs électeurs. Dix questions reviennent en permanence sur les effets et les modalités du Brexit. 

1ère  question sur la sécurité d’approvisionnement en biens de consommation. Plus de 50 % des biens consommés en Grande-Bretagne, et notamment les produits frais, les fruits et légumes mais pas seulement, sont importés du continent en provenance du sud de l’Europe ou de la Méditerranée. Ces produits transitent via l’eurotunnel ou via les ferries en provenance de Bretagne. Ces produits circulent parce qu’ils répondent aux normes sanitaires établies en Europe. Que va-t-il se passer dès que le lien avec l’Union européenne sera coupé ?  Il faudra renégocier des accords avec tous les fournisseurs, combien de temps et à quel prix ?  

2e question, les droits de douane seront rétablis pour quel produits et qui les paiera ?  Il va falloir renégocier au cas pas cas pour chaque pays fournisseur. Cela va se traduire l’application de droits de douane qui seront payés, comme toujours, par le client. D’où une perte de pouvoir d’achat. Habituellement, les droits de douane, quand ils existent, représentent entre 10 et 25% du prix du produit. Parfois beaucoup plus.

3e question, les chaines de production sont désormais tellement éclatées qu’il va falloir réviser tous les contrats qui relient les clients à leurs fournisseurs. Une voiture vendue en Grande Bretagne est montée avec des pièces et des composants qui viennent d’une dizaine de pays. D’où l’inquiétude ou la prudence des industriels étrangers qui ne vont pas s’engager avant de connaître précisément les procédures et les valeurs d’échange. Le cas le plus urgent qu’il va falloir régler va être celui des médicaments. La Grande-Bretagne est très importatrice de médicaments en provenance de l’Europe. En attendant, les Anglais stockent tout ce qu’ils peuvent stocker pour compenser les risques de pénurie.

4e question, quel sera l’avenir du passeport européen ? Ce passeport était accordé à des acteurs étrangers qui s’établissaient en Grande-Bretagne et qui pouvaient alors travailler dans l’ensemble de l’espace Schengen avec d’autres entreprises européennes. Il est évident que l'Union Européenne va revoir de fond en comble les conditions d’utilisation du passeport européen. Pas question de permettre à des pays tiers d'utiliser tous les avantages du grand marché dès lors que la Grande Bretagne sortirait de ce marché. Pas question de laisser entrer dans l’Union des produits ou des services qui n’auraient pas les agréments requis. 

5e question, que va-t-il se passer au niveau de la protection sociale pour les Britanniques résidant et travaillant en Europe ? Et à l’inverse, pour les Européens résidant et travaillant en Grande Bretagne ? Faute d’information, tout le monde a tendance à penser que les ponts seront coupés. C’est d’ailleurs plus inquiétant pour les Britanniques que pour les non-Britanniques dans la mesure où le modèle social en Europe est en moyenne beaucoup plus généreux que le modèle social appliqué aux Anglais de Grande Bretagne. Les régimes d’assurance maladie, d’assurance chômage et de retraites sont moins couteux en Grande Bretagne qu’en Europe, mais ils sont aussi plus fragiles et moins étendus. Pour les syndicats britanniques, le modèle européen leur servait de modèle à atteindre. 

5e question, que va-t-il se passer au niveau de la fiscalité ? Alors que toute la politique européenne a pour objectif d’harmoniser et de lisser les fiscalités pour éviter la concurrence déloyale, il paraît évident que la Grande-Bretagne des Brexiters aura intérêt à provoquer un choc de dérégulation fiscale de façon à attirer les investisseurs. Il paraît aussi évident que l'Union européenne n'acceptera pas d’avoir à ses portes de telles blanchisseries fiscales. Pour l’heure, les acteurs du système financier n’ont aucune idée de ce qui peut se passer, donc ils attendent et tout est figé.

6e question, quelle politique de défense et quelle politique spatiale va-t-on mettre en jeu ? Actuellement, la Grande Bretagne accepte une certaine mutualisation des efforts de défense nationale, d’armement et de recherche spatiale. Il va sans doute remettre tout à plat et reconstruire une coopération. 

7e question, comment continuer à mutualiser les conditions d’approvisionnement en énergie ? Pour le pétrole, le gaz et le charbon, le système se compose de clients et de fournisseurs physiques. Pour l’électricité, l'avenir se construisait sur les interconnexions au sein même de l'Union européenne dans lesquelles la Grande Bretagne avait un rôle non négligeable. Il va falloir, là aussi, remettre tout a plat. 

8e question, les problèmes environnementaux ne sont gérables qu’à l’échelle de la planète ou d’un continent. S’il y a un domaine où le multilatéralisme est utile et nécessaire et prévaut sur les accords bilatéraux, c’est bien le domaine de la transition écologique et de la lutte contre le réchauffement climatique. 

9e question, les problèmes de circulation sur les domaines maritimes et aériens vont devoir être reposés. Le système d'aiguillage du ciel pour les avions est commun à l’Europe toute entière. Théoriquement, en sortant de l’Union européenne, la Grande Bretagne sort aussi de ce système. Ce qui va être d’une complication inextricable.

10e question, il va falloir harmoniser tout ce qui concerne la vie quotidienne, les conditions d’octroi d’un permis de conduire par exemple, les échanges scolaires et l’accès à Erasmus, duquel les jeunes Anglais ont déjà demandé à ne pas être privés.  Les papiers d’identité, cartes, passeports, visas d’entrée et de sortie... Les administrations n‘ont pratiquement pas avancé. 

Finalement, beaucoup de questions que se posent les Anglais concernent leurs protections. Quid des systèmes de protection tous azimut ? L’appartenance à l’Union européenne a sans doute beaucoup d’inconvénients, compte tenu d’un fonctionnement opaque et lourd, mais une majorité d’Anglais considèrent que l'Europe leur servait aussi d’organisme de garantie en les protégeant de beaucoup de risques liés à la modernité. Les normes sociales et fiscales, les contraintes environnementales qui ont toutes été inventées par les Européens, étaient finalement très bien acceptées par les Anglais parce que les Anglais les utilisaient comme boucliers. 

Enfin, un dernier risque, géopolitique. L‘Irlande, l’Ecosse et les Malouines supportaient la tutelle de Londres dans la mesure où Londres adhérait à la charte européenne.  Si le contrat avec l’Union européenne est déchiré, les velléités d’indépendance à l’intérieur du royaume vont évidemment ressortir.

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