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Le trajet retour paraît toujours plus court que l’aller et la science sait désormais pourquoi
©Reuters

Réalité accélérée

Les scientifiques ont attesté de la véracité d'une légende urbaine : les retours qui vous paraissent plus courts que les allers. Si ce phénomène paraît scientifiquement discutable, il n'en ai rien. Votre cerveau vous joue simplement des tours !

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Le "return trip effect" n'est pas un leurre mais un processus bien réel. Comment expliquer que le trajet retour nous paraissent toujours plus court le trajet aller ? Par quel processus mental ce phénomène devient-il réalité ? 

Stéphane Gayet : Quand il s'agit d'un voyage agréable, soit à destination d'un pays charmant dans le cadre de vacances pour se reposer, se dépayser, visiter des lieux pleins d'intérêt ou encore pratiquer une activité qui nous tient à cœur, le trajet aller est toute une expédition. Il y a d'abord la conception du séjour, son financement, son organisation, les formalités administratives (passeport, visa) et tout le travail de préparation des bagages avec la hantise d'oublier quelque chose tout en cherchant à réduire autant que possible le volume et le poids des valises et sacs. En particulier pour les personnes qui travaillent durement, la conduite d'un projet de vacances en un lieu éloigné commence très en amont : cela permet de rêver, d'apercevoir ce temps de bonheur escompté. Quand la date du départ se rapproche, on trouve le temps long, on est pressé que le jour J arrive enfin. Dans ce conditions, il n'est pas étonnant que le trajet paraisse long, parfois même interminable (attentes, escales, bouchons sur les autoroutes).

Et puis on arrive enfin en ce lieu nourrissant tant d'espoirs. Dormir, flâner, visiter, manger des mets exotiques et savoureux, nager, se promener, visiter ou tout simplement ne rien faire. Le farniente, c'est bien agréable. Cela permet d'évacuer le stress, de se régénérer. Mais la fin se profile à l'horizon, se rapproche, arrive hélas. Le trajet de retour n'est en général pas excitant : nostalgie des vacances, évocation de ce qui nous attend à l'arrivée. Il est dès lors logique que ce trajet nous paraisse court, très court, trop court. Le temps n'est linéaire qu'en physique, il ne l'est pas pour le cerveau de l'homme : certaines minutes nous paraissent interminables, certaines heures très brèves au contraire. En biologie d'une façon générale, la durée n'est pas la même que la durée en physique.

Ce phénomène peut également être vécu s'il s'agit d'un trajet que l'on a l'habitude de  faire. Comment l'expliquer dans ce cas précis, alors que l'on connaît très bien la durée réelle du trajet ? 

Nous l'avons dit, le temps n'est linéaire qu'en physique, pas en biologie ni en physiologie. Nous faisons cette expérience souvent dans notre existence, mais les plus rationnels d'entre nous affirment que c'est une illusion. Pourtant, nous n'avons pas tous le même besoin de sommeil en durée, nous n'avons pas tous les mêmes vitesses de réaction, la même fréquence cardiaque ou respiratoire et nous ne vieillissons pas tous à la même vitesse. Chacun de nous a son propre tempo de la même façon qu'il a ses propres biorythmes. L'une des richesses de l'être humain est que nous sommes tous différents les uns des autres et même de façon étonnante. Non seulement nous n'avons pas tous la même horloge biologique, mais la seconde, la minute, n'ont pas la même durée pour chacun. Et qui plus est, notre biorythme change d'une saison à l'autre. Nous ne sommes pas la même personne en février qu'en août.

A cela s'ajoutent les préoccupations de l'instant, l'état de fatigue ou de stress, ce qui fait que notre perception d'une durée donnée évolue selon le moment et les circonstances. Cette relativité de la durée perçue par l'esprit humain s'applique remarquablement aux trajets.

Prenons deux situations extrêmes. Dans la première, on effectue le trajet quotidien de retour du lieu de travail en fin de journée. La journée de travail s'est très bien passée, on a bien dormi la veille, on se sent en forme, les vacances approchent, on a des projets plein la tête, des choses drôles ou agréables à raconter à la maison, un bon repas nous attend… Le trajet nous parait long, car nous avons hâte d'être arrivés pour toutes ces raisons. Dans la seconde, on effectue également le trajet de retour. Mais on a des choses peu agréables à dire à notre retour, le repas qui nous attend n'est pas enthousiasmant ou inexistant, des tâches pénibles seront à réaliser le soir, il faudra mettre des choses au point assez pénibles… Nous ne sommes pas du tout pressés d'être arrivés et dans ce cas le trajet nous semble beaucoup trop court. L'empereur et philosophe Marc Aurèle disait lui-même : "Notre vie est ce que nos pensées en font". N'est-ce pas le cas ?

Parfois, le chemin aller et celui du retour ne seront pas les mêmes et pourtant le même phénomène sera ressenti. Est-ce seulement l'affaire d'une perception de temps aléatoire ? 

Ce qui compte, dans un trajet, c'est le point de départ et le point d'arrivée, bien plus que le parcours lui-même, du moins la plupart du temps. Évidemment, certains voyages sont plus agréables que d'autres… Il y a tout de même bien des facteurs qui interviennent dans notre perception du temps qui passe : l'heure de la journée, le temps qu'il fait, notre faim ou notre soif éventuelle, notre fatigue, nos préoccupations, nos souffrances physiques et psychiques quand elles existent… Nos déplacements marquent aujourd'hui plus qu'il y a quelques décennies notre existence. Car nous nous déplaçons à l'époque actuelle beaucoup, souvent et fréquemment. On peut dire que notre vie est rythmée par nos déplacements. Nous en connaissons la durée, les conditions et chaque déplacement est chargé de sens, de pensées et même d'émotions. Tous ces éléments qui remplissent nos trajets ont une incidence sur notre perception de leur durée. C'est quelque chose de physiologique. Cela échappe à la raison, à la rationalité. Nous sommes ainsi.

Ce phénomène marche-t-il uniquement avec un trajet en voiture ou peut-il être ressenti de la même façon en avion, vélo ou même en cas de marche à pied ? 

Lorsque nous sommes le moteur de notre déplacement, la durée de ce dernier est perçue par nous très différemment par rapport à la situation où nous sommes passifs. Ainsi, quand nous marchons, nous courrons, nous pédalons, nous nous déplaçons en trottinette ou avec un autre moyen de locomotion qui fonctionne avec notre énergie, nous avons une beaucoup plus juste notion du temps qui passe. Ceci est dû au fait que notre respiration, nos efforts musculaires, nos pas, nous indiquent assez justement la durée qui s'écoule. Nos efforts font en quelque sorte office d'appareil de mesure du temps. C'est comme lorsque nous faisons des longueurs de bassin en natation, nous avons une bonne perception du temps. Ainsi, l'être humain perçoit le temps qui s'écoule en fonction de ce qu'il fait, de ce qu'il pense, de ce qui l'émeut, de ce qui le préoccupe, mais aussi, il ne faut pas l'oublier, de son âge, de son état de santé, de sa condition physique, de son état de fatigue, de sa faim, de sa soif, de ses humeurs, etc. Il y a le temps physique et le temps biologique.

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