Le soja: de l'engouement au désamour, une histoire des modes dans l’alimentation<!-- --> | Atlantico.fr
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Le quinoa commence progressivement à remplacer le soja.
Le quinoa commence progressivement à remplacer le soja.
©Reuters

Mauvais pour la santé

Depuis une dizaine d'années, le soja colonise les rayons des supermarchés : lait de soja, pousses de soja, steak de soja, etc. Promus par les mouvements écologiques et les nutritionnistes, il est perçu comme le fleuron de l'alimentation saine. Cependant, de plus en plus de détracteurs pointent du doigt les dangers du soja.

Frédéric Denhez

Frédéric Denhez

Frédéric Denhez est titulaire d’un DESS d’Ingénierie de l’environnement. Il est à la fois journaliste, conférencier, auteur et directeur d’ouvrages scientifiques. Chroniqueur sur France Inter, il est l'auteur de Cessons de ruiner notre sol (Flammarion).

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Atlantico: L'huile de soja rendrait obèse, le soja est sur-consommateur en eau… Quelles sont aujourd'hui les principales accusations qui pèsent sur le soja?

Frédéric Denhez: de même que le soja a été encensé, il fait l'objet aujourd'hui de critiques qui ne sont pas toujours justifiées. Par exemple, on accuse le soja d'être un gros consommateur en eau, ce qui n'est vrai que lorsque les champs de soja doivent être irrigués en raison de la sécheresse du terrain. Au Brésil, qui concentre les plus grandes plantations de soja, l'humidité du territoire ne permet pas de reprendre cette critique. En revanche, il est tout à fait évident que la consommation excessive de soja a des effets néfastes, surtout pour des populations qui n'ont pas, comme les populations asiatiques qui en consomment régulièrement depuis des millénaires, le métabolisme pour bien l'absorber. On sait notamment que le soja est un dérégulateur endocrinien, comme peut l'être la pilule, en raison de son fort taux de phytoestrogène. De plus, dans les sauces soja proposées pour accompagner sushis et brochette par exemple, on trouve une forte proportion de glutanate, un exhausteur de goût qui a pour effet de relever le goût d'un aliment plutôt fade, mais qui a les désavantages d'être addictif d'une part, et ensuite de tuer la subtilité du goût, apanage de la malbouffe.

Quant à l'obésité, il faut considérer la question du métabolisme: si l'on prend l'exemple des populations islaises, comme les Tahitiens par exemple, qui ont un métabolisme lié à la famine, on constate que leur exposition à la nourriture occidentale a engendré une explosion de l'obésité: en effet, les calories de la nourriture grasse occidentale ne sont pas traitées de la même manière par des populations qui jusque-là mangeaient un tout autre type d'aliment. Il en est de même pour le soja dans les sociétés occidentales: notre métabolisme ne sait pas traiter cet aliment et cela peut, dans le cas d'une consommation excessive, créer des problèmes de poids.

Jusqu'à récemment, on encensait les produits à base de soja comme alternative à la viande et autres huiles de palme : comment a été découverte cette plante et qui a été promoteur de son succès ?

Le soja est connu et utilisé depuis des millénaires en Asie où il est consommé sous toutes ses formes. Riche en protéines, il est pauvre en mauvaises graisses et a des qualités certaines, notamment ses possibles voies de consommation. Alors qu'on voit un réel souci environnemental suscité par l'élevage bovin, qui menace l'équilibre écologique de la planète, mais aussi par l'intensification de la production de l'huile de palme, dévastatrice pour les pays producteurs et les consommateurs, on s'est de plus en plus tourné vers une nourriture alternative. Le soja, facile à produire et peu cher a en plus l'avantage d'être cultivé sans abîmer les sols. Cependant, cette culture, imposée au Brésil, a créé une déforestation sans précédent de la forêt amazonienne, a fait l'objet d'usage massif de pesticides et d'herbicides et est réputé pour ses OGM. La culture du soja a vraiment connu des excès qui rendent tout retour en arrière difficilement réalisable.

Comment le soja a réussi à, peu à peu, prendre sa place dans les rayons de tous les supermarchés ? Est-ce par lobbying ou réel engouement du public, qui de plus en plus volatile, se désintéresserait aujourd'hui ?

Lorsque le soja a été produit en grande quantité par le Brésil il y a une vingtaine d'années et qu'il a été pensé comme le moteur du développement économique du pays, les promoteurs d'une alimentation alternative et écologique y ont vu une opportunité formidable: il n'y a pas plus agro-écologique qu'un champ de soja: la culture sans labour et le semis direct permet de se préserver de l'érosion des sols et donc de protéger la fertilité des champs. De plus, la forte teneur en protéines permet de remplacer la viande, et sa transformation possible en produit laitier permettait aussi de considérer une réduction de la production bovine, objet de critiques. Enfin, le soja permet de garder la ligne et a donc été encensé par les magazines féminins pour les régimes de l'été. Le succès des restaurants japonais en occident a évidemment contribué à faire connaître et aimer le soja, même si vous aurez du mal à trouver au Japon des sushis assaisonnés de sauce soja! De plus, et il faut l'évoquer, le Brésil mais aussi les Etats-Unis se sont lancés dans la production intensive de ce produit qui est alors devenu un enjeu économique de poids: afin de mieux l'exporter, certains lobbys ont favorisé sa pénétration des marchés européens et occidentaux, en en diminuant le coût et en en faisant la base de l'alimentation du bétail.

Tous ces facteurs réunis ont favorisé l'émergence du soja, qu'on a alors retrouvé sous des formes tout à fait différentes: l'alimentation des bovins, le steak de soja, le lait de soja des Starbucks, la salade de soja etc. Il n'est pas étonnant, devant une telle abondance, de voir des consommateurs s'interroger et se lasser de voir ce produit à l'image écolo-friendly à chaque coin de rue.

Dans quelle quantité est-il raisonnable, pour l'homme et pour l'environnement, de consommer du soja ?

Pour l'environnement, il n'est pas inutile de rappeler qu'on ne peut pas forcer la nature à des cultures qui lui sont impropres: même si la culture sans labour et le semis direct sont des gros atouts dans la culture du soja, ce n'est pas une plante qui peut pousser facilement dans les environnements secs. De plus, l'intensification de la production a favorisé l'apparition d'OGM et l'utilisation d'engrais qui ont détériorés considérablement les sols. On sait que les agriculteurs exposés aux pesticides sont aussi victimes de cancers, du foie notamment, qui seraient directement liés à cette exposition.

De plus, pour l'alimentation, il est invraisemblable qu'aujourd'hui, alors qu'on connaît la concentration en phyto-œstrogènes du soja, il n'y ait pas d'alerte  des agences de santé concernant ce perturbateur endocrinien: à moins forte dose que la pilule certes, la consommation de soja peut créer des dérèglements hormonaux. Il devrait particulièrement être déconseillé aux femmes enceintes. De plus, je trouve qu'il est très dangereux d'exposer les enfants à des habitudes alimentaires qui ne correspondent pas à leur métabolisme: une alimentation végétarienne, sans gluten, concentrée autour du soja n'est pas à conseiller aux enfants qui ont besoin de tous les nutriments nécessaires à leur développement, selon les habitudes ancestrales qui ont façonnées leur corps.

On ne peut pas exactement définir les proportions dans lesquelles la consommation de soja se fait sans risque, mais la consommation quotidienne de soja me paraît excessive. Je ne suis pas contre l'introduction d'éléments diversifiés dans notre alimentation et la découverte de nouvelles saveurs, mais cela ne peut remplacer notre alimentation de base.

Quel produit est aujourd'hui mis en avant par les végétariens pour remplacer, et peut-on craindre de voir les mêmes excès se produire ?

On voit apparaître le retour des céréales anciennes, l'épeautre, le sarrasin, mais aussi d'autres céréales comme le quinoa et le boulghour qui semblent prendre le relai du soja. Comme pour tout aliment, ils ont des atouts, mais comme toujours c'est leur excès qui pourrait être dangereux. Le régime sans gluten, aujourd'hui prescripteur d'une alimentation à base de ces céréales me semble une aberration, issue d'un effet de mode qui ne durera pas plus de 10 ans. C'est à peu près la durée de vie qu'on donne à une mode alimentaire, avant de voir apparaître de nouvelles alternatives. Les nutritionnistes, les personnes d'influence aussi qui sont prescriptrices en alimentation sont souvent les premiers responsables de l'image d'un aliment dans l'opinion. Hier promoteurs du soja, ils sont aujourd'hui les premiers à le condamner. Je pense que le soja aura presque disparu de notre quotidien d'ici une dizaine d'années.

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