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L’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, a entamé une visite d’Etat de deux jours en France.
L’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, a entamé une visite d’Etat de deux jours en France.
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Double casquette

Doha a donc cette double casquette, ils ont des relations avec les Frères musulmans, qui posent un problème sérieux en France, et ils ont cette habile politique de présence, de relations culturelles de politique d'affichage et non-belligérante.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Atlantico : L’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, a entamé une visite d’Etat de deux jours en France. Que faut-il attendre de la visite de l’émir du Qatar en France ?

Pierre Conesa : Le Qatar est un petit Etat du Conseil de coopération du Golfe. En 1975, une extraordinaire nappe de gaz naturel qu'il partage avec l'Iran a été découverte. En très peu d'années, le Qatar qui n'avait aucune image, aucune relation va se construire une politique de relations publiques et de diplomatie culturelle. Le Qatar va tout à coup apparaître comme un acteur intéressant. Doha a également mené des actions stratégiques comme l'achat du Paris-Saint-Germain ou bien encore le financement du département des arts islamiques au Louvre. Ce pays du Golfe a fait le choix de ne menacer personne. Ce pays n’est pas belliciste vis-à-vis de l'Iran puisqu’ils ont des intérêts communs qui sont l'exploitation de cette nappe de gaz. Le Qatar a donc été très habile, via la famille Al Thani, pour se faire une image de bons partenaires. Les Frères musulmans, après avoir été persécutés en Arabie Saoudite, se sont réfugiés au Qatar. Doha a donc cette double casquette, ils ont des relations avec les Frères musulmans, qui posent un problème sérieux en France, et ils ont cette habile politique de présence, de relations culturelles de politique d'affichage et non-belligérante. 

La France considère le Qatar comme un médiateur. Doha est notamment un partenaire de choix dans les négociations dans le cadre de la crise à Gaza entre le Hamas et Israël, pour la négociation des otages et pour un cessez-le-feu. Comme la France ne pèse plus grand chose dans les pays du Golfe, le fait d’avoir ce partenaire représente un réel atout. Il n'aurait pas été possible de faire la même chose avec l'Arabie saoudite. 

La relation avec le Qatar et cette visite d’Etat représentent un avantage diplomatique pour la France. Emmanuel Macron considère que Doha est un partenaire qu'il n’est plus possible aujourd'hui d’écarter. Le Koweït et les Émirats arabes unis, avec lesquels la France avait d'excellentes relations, ne pèsent pas autant. Il est aussi difficile de considérer que l'Arabie Saoudite, après l’assassinat de Jamal Khashoggi, est une puissance de paix et modératrice. L’originalité du Qatar est donc un véritable atout. 

Cette visite pourrait-elle relancer le processus de création d’un Etat palestinien et faire réellement bouger les lignes dans le cadre de la libération des otages à Gaza ?

La crise à Gaza est le théâtre de l’opposition entre deux radicalismes face à face : celui du Hamas et du gouvernement israélien. Le Hamas a capté la légitimité électorale dans la bande de Gaza et a ensuite tout fait pour garder le pouvoir. Ce radicalisme continue à prétendre que l'objectif final est la disparition d'Israël. Mais face au Hamas, Netanyahou est aussi dans une forme de jusqu’au-boutisme, de radicalité. 

Il est soutenu par les Juifs radicaux qui continuent à coloniser la Cisjordanie avec des routes protégées par l'armée israélienne. Netanyahou, qui était déjà opposé aux accords de Camp David, nie l'existence de la possibilité de deux Etats. Les frappes menées à Gaza font beaucoup de victimes civiles. Les frappes d'Israël ont été provoquées par la brutalité aveugle du Hamas. Face à cette situation, le Qatar est un acteur clé. Beaucoup de pays comptent sur le Qatar pour tenter d’obtenir des solutions dans le cadre du conflit entre le Hamas et Israël. Le Qatar est la seule puissance qui a la possibilité à la fois de dialoguer avec le Hamas et en même temps de bénéficier de l'appui des Occidentaux pour faire pression sur Israël. Les espoirs de conciliations restent minces au regard de l’intensité de la crise.

Dans le cadre de la libération des otages, Israël avait posé comme condition le fait que les Palestiniens libérés de prison n’aient pas de sang sur les mains.

Les Occidentaux, avec l'aide du Qatar, tentent de se mettre dans une position médiane via une solution d'avenir, celle de deux Etats, qui se respectent. Il s’agit d’une ligne de crête et il n'y a pas beaucoup de partenaires qui peuvent tenir cette ligne. La France se met donc dans la roue du Qatar sur le plan diplomatique pour tenter d’apporter des solutions à la crise.

Quelle pourrait être la répercussion de cette visite au Moyen Orient ? Cela permettra-t-il à la France de regagner en crédibilité sur le plan géopolitique ?

L’influence française reste un terme assez évanescent. L'influence française et son atout au Moyen-Orient est de pouvoir parler avec tout le monde. La seule véritable originalité de la politique française a été le refus de Jacques Chirac de se rendre en Irak. Il s’agissait d’un acte diplomatique dans le monde arabo-musulman. La France s'est ensuite alignée sur les positions américaines. Notre diplomatie a du mal à revenir sur une ligne gaullienne. Emmanuel Macron essaye de renouer avec cette tradition. Ce n'est pas évident car il faut des représentants politiques à la hauteur pour cela. Il faut une certaine épaisseur et de la personnalité. 

Qu’est-ce que cette visite d’Etat nous dit sur les relations entre la France et le Qatar ? Cela va-t-il permettre de pérenniser les relations entre Doha et l’Hexagone ?

Le Qatar est le seul des Etats arabes qui a aujourd'hui une réelle capacité d'influence sur les Frères musulmans, à qui ils ont offert l'asile politique lorsque les Saoudiens ont voulu les réprimer. Le seul moyen de les tempérer, en tout cas en France, est d'avoir le contact et de maintenir des échanges diplomatiques avec le Qatar. Ce n’est pas l'Arabie Saoudite qui va tempérer les Frères musulmans. Par contre, l'Arabie Saoudite pourrait tempérer les radicaux, les salafistes, mais ils ne sont pas du tout prêts à le faire.

Comment le Qatar vient-il à tempérer la question des Frères musulmans ?

Cela repose sur la diplomatie. Le Qatar est un point d’ancrage dans le monde arabo-musulman. Il n'y a pas d'autres pays qui ont offert l'asile aux Frères musulmans. Doha dispose de moyens de pression de nature diplomatique et dans le cadre des coopérations internationales. Le Qatar a la possibilité et agit pour tempérer les dénonciations et les actions que les Frères musulmans mènent contre la laïcité notamment. Le Qatar est le seul partenaire avec lequel il est possible de discuter de la question des Frères musulmans aujourd'hui.

Y a-t-il une forme de double jeu ou de double discours du Qatar par rapport au Hamas ?

Dans cette région, tout le monde a un double jeu, y compris les Occidentaux. Le fait d’avoir de bonnes relations avec l'Arabie saoudite est très critiquable au regard de l’affaire Jamal Khashoggi et de son influence sur le salafisme.

Le rôle de la diplomatie est de concilier des objectifs qui sont parfois contradictoires. Le Qatar est donc dans cette quête de respectabilité et a dans sa manche une carte qui est assez sulfureuse, la gestion des Frères musulmans. 

Les intérêts de puissance ne sont jamais des intérêts faciles à aborder. Cela amène à beaucoup de conciliations et peut conduire à renier certains de vos principes.

Le Qatar a-t-il réussi à obtenir quelque chose de concret des Frères musulmans pour la France ?

Ces avancées sont au coeur des négociations entre la France et le Qatar et ces négociations restent confidentielles pour le moment. Le Qatar ne va pas s’engager à domestiquer les Frères musulmans français. Mais Doha va conserver sa capacité d'influence même si cela ne va pas être communiqué de manière publique. Le Qatar gagne un statut international à travers son influence, ses pressions et ses exigences sur les Frères musulmans. Le Qatar a gagné un statut, une image et une capacité d’action sur le plan diplomatique. Le Qatar joue de sa petitesse et de ses moyens financiers aussi. Personne ne considère le Qatar comme une puissance menaçante.

Le fait d'être une puissance de négociation avec le Hamas, avec les Frères musulmans n’est-elle pas la grande force du Qatar ?

Effectivement, il s’agit de la force principale du Qatar. Doha occupe une position médiane et a une capacité à parler avec tout le monde. Ce pays a une stature internationale évidente. Tout le monde compte sur le Qatar pour faire de la médiation entre le Hamas et Israël. Très peu de pays peuvent le faire. Cette diplomatie est menée avec une grande intelligence. Les élites qataries se sont formées en majorité en Occident et donc savent comment fonctionnent les deux mondes.

Le Qatar expliquait qu'il avait les moyens d'agir contre l’influence des Frères musulmans. Concrètement, qu'est-ce qu’a fait Doha dans ce domaine depuis une quinzaine d'années ? Quels sont les résultats concrets face aux Frères musulmans ?

Tout a commencé avec l'expulsion par l'Arabie saoudite des Frères musulmans. Ils ont été ensuite accueillis au Qatar. Des négociations secrètes ont été menées et ont eu lieu entre le Qatar et les Frères musulmans. Par principe, une diplomatie n’est pas faite pour être publique quand elle a vocation à générer de l'influence. 

Quels ont été les résultats concrets de l'influence du Qatar et des pressions exercées par le Qatar sur les Frères musulmans ? Est-ce qu'il y a eu des exemples concrets de réussites et d’avancées dans ce domaine par le passé, notamment pour la France par exemple ?

La négociation entre la France et le Qatar reposait sur le fait de demander de modérer les Frères musulmans dans leur leur positionnement en France, dans leurs revendications, dans leur ligne politique. Ces négociations sont restées secrètes et devraient être au coeur de cette visite d’Etat du Qatar en France.

Qu'est-ce qui pourrait nous laisser penser que la situation peut être différente grâce à cette visite d'Etat, notamment au regard de critiques qui révèlent que certains hommes politiques auraient été sous l’influence du Qatar ?

Tout le monde s'intéresse au Qatar et dénonce son attitude mais cela ne signifie pas que le Qatar est l'acteur le plus actif. L'Arabie saoudite, par exemple, a une politique qui est beaucoup plus importante financièrement.

Le Qatar joue une politique assez intelligente de présence discrète, d'intercession pour le cas des Frères musulmans. Ce n’est pas une politique publique.

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