Le Pakistan expulse des milliers de réfugiés afghans : autre crise migratoire en vue ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Des camions transportant des réfugiés afghans avec leurs biens sont vus le long d'une route vers la frontière pakistano-afghane de Torkham, le 3 novembre 2023.
Des camions transportant des réfugiés afghans avec leurs biens sont vus le long d'une route vers la frontière pakistano-afghane de Torkham, le 3 novembre 2023.
©Abdul MAJEED / AFP

Exode

Le gouvernement pakistanais exige le départ de 1,7 millions de ressortissants pakistanais sans statut ni papiers. Depuis le début du mois d’octobre, des milliers d’Afghans installés au Pakistan ont déjà pris la route du retour, direction leur pays d’origine.

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine

Jean-Luc Racine est directeur de recherche émérite au CNRS (CESAH-EHESS) et chercheur senior au think tank Asia Centre.

Voir la bio »

Atlantico : Le gouvernement pakistanais exige le départ de 1,7 millions d'afghans sans papiers. Pourquoi le Pakistan prend-il cette décision ? Quel est le contexte politique ?

Jean-Luc Racine : Les données officielles pakistanaises donnent 1 700 000 d'Afghans qui seraient non enregistrés pour 2 millions qui seraient enregistrés. Il convient de remarquer que cette décision a été prise par un gouvernement intérimaire puisque le mandat du gouvernement précédent s'est terminé en août dernier et les prochaines élections auront lieu en février prochain. 

Mais surtout, les personnes concernées ont eu un délai extrêmement bref pour quitter le Pakistan. L'ultimatum pour le départ a été lancé le 2 octobre pour prendre effet au 1ᵉʳ novembre. La vraie question est pourquoi ? Les analystes pakistanais suggèrent que derrière ce gouvernement intérimaire, ce sont l'armée et les services qui ont décidé d'envoyer un signal vis-à-vis du gouvernement taliban afghan, dans la mesure où le Pakistan pouvait espérer, lorsque les talibans sont revenus au pouvoir en août 2021, avoir une influence notable sur le pays. Cela ne sest pas passé comme prévu. Le renouveau des talibans pakistanais, qui avaient été largement réprimés en 2015, avait commencéà prendre corps et s'est amplifié essentiellement depuis le retour des talibans afghans à Kaboul. 

Ces derniers mois on a vu se multiplier des attentats suicides au Pakistan. Cela détériore les relations entre Islamabad et Kaboul. En effet, Islamabad accuse le régime des talibans afghans de laisser les mains libres aux talibans pakistanais basés en Afghanistan, ce que dément le régime de Kaboul. Toujours est-il que la situation est difficile. Cette décision d'expulsions massives est interprétée comme étant un moyen de pression sur Kaboul, qui lui-même proteste en réfutant toute justification à la position pakistanaise. Il met plutôt en avant le sort de ces millions de personnes. Pour le moment, nous savons quun certain nombre d'Afghans, autour de 150 000, sont rentrés en Afghanistan avant la date limite du 1ᵉʳ novembre. Mais il en reste énormément, même si le Pakistan a ouvert des postes-frontières supplémentaires ou des bureaux pour gérer cet afflux, cela pose un problème humanitaire sur lequel les instances onusiennes se sont manifestées, que ce soit le Commissariat pour les réfugiés, l'UNICEF ou l'Organisation internationale des Migrations. 

Du côté officiel pakistanais, on accuse les Afghans immigrés de tous les maux : trafics de drogue, assassinats, attaques terroristes. Or le cœur de la menace sur la sécurité pakistanaise, ce sont les talibans pakistanais. Les autorités instrumentalisent lopinion pour tenir un tel discours, afin de justifier leurs mesures, tandis que la communauté internationale, au-delà des organisations onusiennes, s'était réunie sur l'Afghanistan à Rome à la mi-octobre. Américains, Européens, Japonais, Canadiens et observateurs internationaux ont rédigé une déclaration conjointe sur la situation en Afghanistan vis-à-vis des violations des droits de l'homme ou encore du statut de la femme. Mais il y avait aussi un paragraphe dans la déclaration, sur l'ultimatum déjà formulé depuis 15 jours par le gouvernement pakistanais, et la communauté internationale affirmait que la solution n'était pas une expulsion de grande ampleur.

Ces réfugiés afghans vont-ils chercher à fuir vers l'Europe ?

Comme vous le savez, pour venir en Europe, il faut l'entremise des passeurs, qui coûtent cher. Or, ces personnes sont parties quasiment les mains vides. Chacun sait par ailleurs que le renforcement des mesures aux frontières de l'Europe complique les passages. Il est donc beaucoup trop tôt pour savoir sil peut y avoir des répercussions vers l'Ouest, d'autant plus que la situation des migrants partis en Iran ou en Turquie n'est pas particulièrement réjouissante. Cela ne devrait pas inciter à aller vers lOuest pour le moment.

Lessentiel des Afghans qui sont partis au Pakistan sont des Pachtounes qui se sont établis dans les provinces pachtounes. Ces gens se sont installés au Pakistan parce qu'ils restaient dans une zone linguistiquement homogène. Et où les relations ont toujours été trèétroites en dépit d'une frontière décidée par les Anglais à la fin du XIXᵉ siècle. 

Que vont devenir ces gens ? Vont-ils être renvoyés vers leur pays d'origine comme le demande le Pakistan ?

Il faut bien se rendre compte que parmi ces gens, environ 600 000 ou un peu plus, ont fui l'Afghanistan après le retour des Talibans. Évidemment, la question de leur sort au retour dans leur pays se pose. Mais il ne faut pas oublier que le Pakistan est le pays qui a reçu le plus de réfugiés afghans depuis l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan en 1979. Parmi les réfugiés afghans au Pakistan, certains sont arrivés enfants avec leurs parents et ne connaissent finalement pas l'Afghanistan. Ils sont arrivés à cinq ou six ans et ils ont 50 ans aujourd'hui, ils ont passé l'essentiel de leur vie au Pakistan. On peut penser qu'un certain nombre d'entre eux ont été dûment enregistrés, mais quelques enquêtes de journalistes suggèrent que, par exemple, des gens munis dun permis de résider qui venait à expiration, n'ont pu le renouveler et pouvaient donc être expulsés. La situation de ces gens est extrêmement précaire. 

Quelles routes vont emprunter ceux qui sont expulsés ?

Deux grands postes-frontières ont été complètement engorgés et l'administration pakistanaise elle-même était dépassée début octobre, daprès des interviews anonymes dans la presse. Si la gestion seffectue par les deux principaux postes-frontières, des camps ont été dressés par le gouvernement pakistanais depuis plusieurs jours. Ces camps de transit se sont multipliés, et ces migrants vont se retrouver ensuite dans dautres camps sur le territoire afghan en attendant lexamen de leur situation.

Pour le moment, l'estimation est de 150 000 environ, mais il reste beaucoup de monde à expulser. Si les délais correspondent aux discours durcis des autorités pakistanaises, la situation sera très compliquée. Des postes-frontières secondaires ont ainsi été ouverts, mais cest insuffisant. Il sagit de gérer les populations qui, daprès les photos, sont dans des camions en famille. Il y a des enfants, malades pour certains dentre eux, mais aussi des femmes enceintes. La plupart du temps, ils nont presque aucun effet personnel, comme souvent. Ce contexte de flux de populations considérables est très compliqué.

À votre avis, que va-t-il se passer ?

C'est beaucoup trop tôt pour le dire, parce qu'il faut savoir, dabord, combien d'Afghans vont être contraints de quitter le Pakistan et ensuite quelle va être la politique d'accueil du régime taliban afghan. Il y a une certaine ambiguïtéà cet égard car dune part, les Talibans afghans n'apprécient pas tellement l’émigration causée par leur retour au pouvoir, mais dautre part, le régime taliban a multiplié les appels pour que les Afghans qualifiés qui ont quitté le pays reviennent. En effet, ils ont besoin de gens compétents pour faire tourner la machine économique, administrative, bureaucratique, etc. Donc les paramètres sont multiples et la situation actuelle reste complexe et nébuleuse.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !