Le macronisme ou le dernier exemple de la dépolitisation du corps social et de la démonétisation de l’activité politique<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président Emmanuel Macron s'exprime dans le cadre du sommet de la COP26 à Glasgow, en Écosse, le 1er novembre 2021.
Le président Emmanuel Macron s'exprime dans le cadre du sommet de la COP26 à Glasgow, en Écosse, le 1er novembre 2021.
©YVES HERMAN / POOL / AFP

Bonnes feuilles

Arnaud Benedetti publie « Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir » aux éditions du Cerf. La politique n'est plus ce qu'elle était. Impuissante et déclassée... Pourquoi assistons-nous au dépérissement de la politique ? Comment abdique-t-elle son devoir de décision face aux opinions instantanées et volatiles ? Et comment les trois derniers quinquennats ont-ils accéléré le mouvement ? Extrait 1/2.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Le principe d’un épiphénomène est de s’essayer à faire événement. Il en va ainsi avec le macronisme qui est bien plus une étape dans une décomposition qu’une rupture. On a montré ses racines, on a exploré son contenu, on a dessiné sa motricité. La politique, comme la nature dont Aristote nous a enseigné qu’elle en était l’une des formes, a horreur du vide, y compris quand elle semble en manifester l’approche. L’objet politique du moment dont Emmanuel Macron est l’expression remplit pour une part cette fonction. Il occupe l’espace du pouvoir et désigne l’horizon des affrontements en vue de sa conquête et de sa préservation. Trois propriétés le constituent : le désengagement, le déclassement, la communication.

Le désengagement en explique pour une part la conformation, pas seulement par l’abstention et le déclin des modes traditionnels de militantisme. Il dit autre chose des sociétés occidentales traversées par l’individualisme et le consumérisme. Le macronisme l’a emporté en 2017 en prenant le parti pris des évolutions qui inquiètent nombre de segments de la société qui ne s’y retrouvent pas, y voyant bien plus une menace qu’une opportunité. La politique, dans sa mission de vigie, y est bien moins soulignée que dans sa fonction d’accompagnement d’un changement dont on estime qu’il serait nécessairement heureux. Dans cette perspective, l’attitude du gouvernant consiste principalement bien plus à adapter la société à la force des événements, inéluctable, plutôt qu’à la maîtriser. Cette ingénierie périphérise le politique, et de facto, pourvoit à satisfaire prioritairement les besoins des individus au détriment de ces corps collectifs que constituent les communautés de citoyens. Sous une autre forme, se décline ainsi la distinction déjà citée, établie au XIXe siècle par Benjamin Constant entre « la liberté des anciens » et « la liberté des modernes ». Outil et non plus finalité, l’activité politique se démonétise au fur et à mesure qu’elle se mue en chambre d’enregistrement de ses propres renoncements. Bien des défections civiques en sont dès lors le produit, quand bien même faut-il aller plus loin dans leur élucidation que l’exposé d’un simple constat.

L’une des hypothèses forant cette « dépolitisation » du corps social consiste à l’appréhender comme un cycle. Les travaux de l’inclassable Albert Hirschman, tout à la fois économiste et sociologue ont, dans les années 1980, insisté sur l’alternance, depuis la révolution industrielle, entre périodes mobilisatrices et périodes de replis. Dans son désormais classique Bonheur privé, Action publique, Hirschman s’efforce de pénétrer les arcanes de l’engagement et du désengagement, appréhendant ces deux configurations comme les pôles constitutifs de l’histoire contemporaine des sociétés occidentales. Publié en 1980, au moment où le néo-libéralisme entame sa reconquête intellectuelle, son ouvrage séquence le « gène » de ce mouvement à deux temps, cyclique, scandant le rapport à la cité. Pour Hirschman, un état, ou un sentiment, doit être exploré afin de saisir ce qui se joue dans le retrait ou la prise de distance ; cet état n’est autre que la déception, une prédisposition où mécaniquement, voire naturellement s’instaure un processus de désengagement et de retour vers la seule sphère individuelle. Le phénomène déceptif a dès lors tout d’une « cause racine », mobilisant « l’économie psychique des individus », à l’instar des flux et reflux d’une marée. La déception organise le passage d’un état à l’autre, elle le régule : elle réintroduit tout autant l’aspiration à l’action publique qu’elle conduit à « cultiver son jardin ». Elle est le métronome qui distribue dans le temps nos comportements collectifs, déçus par notre relation existentielle au cercle de l’intime, nous réinvestissons les grands espaces de l’engagement ; désillusionnés par l’aventure collective, nous retournons à nos quêtes individuelles. Ce balancier peut être lu comme celui de nos inconstances, mais il offre une grille de lecture à laquelle Hirschman prête, par-delà l’acuité heuristique, une autre vertu : « Une vie sans déception, écrit-il, serait peut-être tout bonnement insupportable ». Les oscillations contemporaines trouveraient ainsi dans ce réduit d’une nature intrinsèquement humaine le courant sous-jacent qui les détermine.

Encore faut-il moduler l’interprétation d’Hirschman, laquelle peut offrir une certaine pertinence pour comprendre son siècle, mais se heurte désormais à l’irréductibilité de notre propre présent. Ce dernier est-il redevable de cette thèse ? L’adhésion aux processus électoraux ne saurait épuiser la question de l’engagement. Elle en souligne néanmoins la naturalisation du politique dans son acception démocratique. Celle-ci a intensifié historiquement le rapport à la cité, faisant de chaque individu un citoyen co-responsable de la vie collective. Par le vote, nous n’opérons pas exclusivement un choix mais nous actons notre appartenance à une même communauté, au corps politique, comme si chaque bulletin déposé dans l’urne procédait d’une forme d’eucharistie où chacun portant une part infinitésimale de la volonté générale contribuait à la symboliser dans sa totalité. L’abstention indique une montée d’athéisme civique, une perte de foi dans ce que la démocratie a sans doute néanmoins fait de mieux ou de plus abouti dans l’histoire récente, à savoir la démocratie libérale. En France, l’ampleur du phénomène s’est encore aggravée sous l’impact de la crise sanitaire. La pandémie a renforcé les tendances à l’individualisation sur fond de retour en catastrophe de l’Etat mais d’un Etat devenu hyper-tutélaire, voire intrusif. Le surgissement du virus a ainsi révélé deux béances : convertie au management comptable, la puissance publique est passée, comme malgré elle, aux aveux de son impuissance, comme si obsédée durant des années par la normativité budgétaire elle avait trahi sa mission fondatrice ; en retour, le flagrant délit de sa négligence l’a entraînée, sous l’effet de la pandémie et de l’imprévisibilité permanente de l’événement, à développer des mécanismes de gouvernance des conduites individuelles particulièrement contraignants, voire infantilisants, dans le but de contenir et de limiter les conséquences de la flambée épidémique. Plus il se montrait contraint dans son action macro-politique, plus l’Etat se réfugiait dans une gestion bureaucratique et micro-managériale des vies privées, trahissant de la sorte une panique existentielle dont la conséquence principale a été que l’Etat s’est immiscé souvent jusque dans le détail de l’organisation de nos existences. A ce vide où l’impuissance s’est compensée par un surcroît de surveillance des comportements, dans un pays comme la France où historiquement le contrat entre le peuple et l’Etat consiste à accepter un Etat collectivement fort mais scrupuleusement contenu dans son droit de regard sur la sphère domestique, a répondu en écho le repli sur soi et l’accélération du désappariement institutionnel. Massive, l’abstention aux élections régionales et départementales de juin 2021 a confirmé cette tendance. Ce sécessionnisme civique, mélange d’indifférence individualiste et d’objection de conscience, n’a pas rencontré son offre politique : il dérive, paquebot à l’abandon, sur un océan incertain qui dans l’immédiat nourrit néanmoins le ventre des forces minoritaires qui ont su s’organiser pour conquérir et se maintenir au pouvoir. La politique de démobilisation, encore une fois, sert la mobilisation des plus politisés. Le néo-pouvoir qu’incarne Emmanuel Macron se gage sur cet effacement du plus grand nombre, installé dans la désillusion ou la colère personnelle sans recherche de débouchés collectifs. Ce désenchantement, conscient ou inconscient, est une lame. Son message a tout du prosaïsme victorieux de la brutalité technicienne pour laquelle dans le fond la politique est une affaire qui aurait fait son temps.          

Arnaud Benedetti publie « Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir » aux éditions du Cerf

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