Le Festival de Cannes, un véritable championnat du monde des films soumis à la dure loi de la critique <!-- --> | Atlantico.fr
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Le réalisateur Jacques Audiard pose avec l'actrice Kalieaswari Srinivasan et l'acteur Jesuthasan Antonythasan après avoir reçu la Palme d'Or pour son film "Dheepan" lors du 68e Festival de Cannes, le 24 mai 2015.
Le réalisateur Jacques Audiard pose avec l'actrice Kalieaswari Srinivasan et l'acteur Jesuthasan Antonythasan après avoir reçu la Palme d'Or pour son film "Dheepan" lors du 68e Festival de Cannes, le 24 mai 2015.
©BERTRAND LANGLOIS / AFP

Bonnes feuilles

Xavier Monnier publie « Cannes Confidentiel, Sexe, drogues et cinéma » aux éditions Robert Laffont. Tapis rouge, montée des marches, Palme d'Or : du festival de Cannes, le monde connaît la légende qui, chaque année, fait converger vers cette petite station balnéaire de la Côte d'Azur le gotha du 7e art. C'est la réalité derrière les paillettes que Xavier Monnier explore dans ce livre. Extrait 1/2.

Xavier Monnier

Xavier Monnier

Ancien rédacteur en chef du site d'investigation en ligne Bakchich, Xavier Monnier est désormais journaliste indépendant. Il travaille principalement pour l'émission « Vox Pop » (Arte), collabore à diverses publications (GQL'Équipe MagazineCapital). Il est l'auteur de deux livres sur sa ville de naissance, Marseille, ma ville (Les Arènes) et Les Nouveaux Parrains de Marseille (Fayard), et d'un documentaire, Marseille, le jeu du clientélisme. Il a publié Cannes confidentiel, Sexe, drogues et cinéma aux éditions Robert Laffont. 

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Des rires, des téléphones en prise avec les réseaux sociaux, des sonneries, parfois même des huées, ou de bruyants départs quand l’écran est encore loin d’être éteint, de longs râles laissant entendre qu’un spectateur s’est assoupi. Durant les projections cannoises, le public vit. Et les reporters, dans le confort de leurs séances réservées, s’en donnent à cœur joie. «Ça ressemble parfois à une ambiance de corrida », se rappelle Thomas Gastaldi. Cinéphile plus que journaliste, ce professionnel de la programmation culturelle s’est enamouré de Cannes au début des années 2000, au point de lui consacrer un site, Wask, proposant, outre l’intégralité de la programmation cannoise, des listes annonçant les films en concurrence pour la sélection officielle avant même qu’elle soit annoncée. Et ses prédictions tombent au plus juste. «Les gens sifflent, applaudissent, quittent la salle. Je me rappelle les fous rires pour le film de Sean Penn ou les huées pour Lars von Trier en 2011, avant même la projection de son film. Tout est disproportionné, à Cannes.» Les comptes rendus s’en ressentent. D’une acidité et d’une violence sans égales. Dans les autres festivals, Berlin, Venise, Locarno ou Toronto, la plume se veut plus légère, quand le ton cannois prend souvent des accents péremptoires.

«Hormis le jury, tout le monde a le droit de s’exprimer, et les journalistes vivent le cinéma. La salle à Cannes, c’est une immense rédaction, même au mépris de cinq ans de la vie d’un réalisateur, justifie avec tendresse Suzel Pietri. Pour certains, le Festival, le cinéma, c’est vital, c’est pourquoi les réactions sont aussi passionnées. »

«Cannes, c’est le championnat du monde des films. Ils ne partent pas de zéro, mais de −50, tant l’attente est énorme; les journalistes s’attendent à être impressionnés et éblouis», dépeint le délégué général Thierry Frémaux pour expliquer leur virulence. «Le degré d’exigence augmente, confirme en écho Philippe Rouyer, président du SFCC. On espère l’excellence, et le régime est tel qu’on oublie le niveau de la production mondiale, on perd du recul. On a parfois guetté plusieurs années le nouveau film d’un metteur en scène connu, et plus on attend, plus on a de risques d’être déçu.»

L’ambition de présenter la substantifique moelle du cinéma d’auteur mondial n’est cependant pas la seule explication à l’âpreté médiatique autour du Palais des Festivals. «Certains voient trois ou quatre films par jour, ce qui peut parasiter la réflexion», souligne Rouyer. Le lourd agenda pèse sur la lucidité et la tempérance des critiques ainsi que la fatigue inhérente à un événement pareil.

Une certaine émulation agit naturellement entre les milliers de journalistes présents. La saine concurrence peut néanmoins facilement basculer dans une logique mortifère de distinction à tout prix. La coterie journalistique anime l’un des brasiers les plus ardents du bûcher des vanités, particulièrement la presse française. « Un entre-soi souvent haineux où prospèrent tous ceux qui se la jouent d’importance, debout, les mains sur les hanches, se poussant du col et du men[1]ton, la bouche à l’envers de celui ou celle à qui on ne la fait pas », dépeint Gérard Lefort, l’un des animateurs du «Masque et la Plume », l’émission culturelle phare de France Inter. «C’est donc de-ci, de-là un feu d’artifice de vacheries, de piques vilenies, de plaisanteries pas très drôles et de saillies misérables. » Dès lors, on encense, on rabaisse, on moque plus que de raison, simplement par goût de l’excès, dans l’un des derniers lieux où l’avis de la critique a un poids. «La presse est très importante en nombre, mais, on le constate, elle n’est plus prescriptrice et n’est plus l’artisan du succès ou de la chute d’un film. Sauf à Cannes, où les critiques viennent retrouver une légitimité », analyse David Kessler, encore marqué par la curée subie par Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli, en 2015. «Douloureusement idiot, ridiculement naïf », pour Variety, « tellement embarrassant que ça en fait mal », selon le Guardian. Le film, une histoire d’amour incestueux, « transforme un tabou intemporel en une bluette tiède », cingle Le Monde. Il cumulera moins de 27 000 entrées au box-office français après sa présentation sur la Côte d’Azur.

Un phénomène qui irrite producteurs et distributeurs, agacés d’avoir vu certains de leurs films piétinés sur la Croisette. «La plus grande partie de la critique est dans l’aigreur, ils font un papier en début de Festival pour critiquer la sélection et un second pour critiquer le palmarès», tempête Jean Labadie.

Qualité des films, bonne tenue de la sélection, folie des soirées, la critique se couvre de l’hermine du juge suprême dont les sanctions ne sont pas susceptibles d’appel. Un magistère enivrant avec lequel le délégué général et ses équipes sont contraints de composer.

Extrait du livre de Xavier Monnier, « Cannes Confidentiel, Sexe, drogues et cinéma », publié aux éditions Robert Laffont.

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