Le en-même-temps macroniste, ingrédient de la montée de la violence en politique ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron, président de la République.
Emmanuel Macron, président de la République.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

La faute à qui ?

Emmanuel Macron aime à se poser en rempart des extrêmes. Pourtant, si la négation du clivage droite gauche, le mépris des corps intermédiaires ou les contradictions permanentes du discours politique de la majorité sont loin d’être les seules causes de la dégradation du climat démocratique, elles y jouent un rôle bien spécifique.

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Jean-Luc Moudenc agressé, Zemmour pris à partie, des mouvements d’extrême gauche de plus en plus véhéments, la violence en politique semble s’intensifier. La responsabilité est évidemment ceux qui pratiquent la violence ou la justifient, mais n’y-a-t-il pas aussi une responsabilité secondaire à aller chercher de la part de la majorité et du gouvernement dans la création d’un contexte favorable à ces violences ?

Maxime Tandonnet : On peut aussi parler des agressions contre les maires et les députés, des destructions et incendies qui émaillent les manifestations, des exécutions en effigie. Cette violence reflète l’ensauvagement général de la société. Elle s’explique aussi par le comportement des dirigeants actuels. La démocratie et même la politique se sont affirmées au fil du temps comme un mode de résolution pacifique des conflits. La démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les autres comme disait Churchill. Elle repose sur le principe que dès lors que deux points de vue sont en opposition, la majorité obtient satisfaction et la minorité s’incline. Tel est le secret de la paix civile depuis plus de deux siècles. Or, nous voyons réunis tous les symptômes d’une crise dramatique de la démocratie. L’abstentionnisme a atteint de 54% aux dernières législatives. Les citoyens ont le sentiment que les politiques n’ont pas tenu compte de la victoire du Non à 54% au référendum sur la Constitution européenne en 2005 dès lors que le traité de Lisbonne, approuvé ensuite par voie parlementaire, reprenait une partie des dispositions de cette Constitution. Un sentiment s’est imposé dans le pays que voter ne servait à rien, que la démocratie était une fiction, qu’une caste dirigeante ayant la prétention de faire le bien du peuple contre lui-même ne tenait aucun compte de l’avis de ce même peuple. Alors évidemment, cette impression que voter ne sert plus à rien favorise la tentation de la violence. 

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Jean Petaux : La question de la responsabilité en matière de violence est le type même de question insoluble. Pour une double raison : celle de la légitimité de la violence qui est, par nature, subjective et idéologique et, seconde raison,  celle de la définition de la violence en elle-même…  Qu’est-ce qui est violent ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Au lieu donc de rentrer dans ce genre de discussion qui tient tout à la fois du débat sur le sexe des anges et de l’autre question aussi fondamentale qui est celle de savoir qui est premier entre la poule et l’œuf, posons-nous la question du « pourquoi la violence émerge-t-elle ou non ? ». La science politique, dans le temps contemporain, nous apporte un début de réponse. Lorsque les oppositions ne trouvent pas dans le débat démocratique institutionnalisé la possibilité de s’exprimer, ou lorsque ce même débat apparait comme purement formel, ritualisé et codifié à un point tel qu’il n’apparait que comme « formel », alors, dans la majorité des cas, se développe une ou des oppositions extra-institutionnelles ou extra-parlementaires qui se traduisent et s’expriment par une violence non encadrée non, souvent illégale. En tout état de cause cette « violence » est plutôt une « expression non conventionnelle » des opinions qui trouve sa concrétisation dans une « opposition par les faits ». 

On peut donc toujours considérer que « c’est d’la faute à Rousseau, (Jean-Jacques… pas Sandrine) si on est tombé dans l’eau, ou de celle de Voltaire si on est tombé par terre », mais cela n’a pas grand intérêt en réalité. On peut aussi considérer que « c’est d’la faute à Macron si une minorité de Français sont devenus aussi c… » , mais, là encore, ce genre d’appréciation est purement subjectif, idéologique et ne démontre rien.

Retenons plutôt que, du fait même de  notre fonctionnement sociétal, politique et institutionnel, les oppositions s’estiment désormais bafouées quand elles n’obtiennent pas satisfaction. Ce « ressenti » interroge davantage notre adhésion collective à la démocratie et surtout notre éducation au statut de minorité. Il faut bien constater que, de nos jours, la ou les minorités, n’acceptent pas d’être minoritaires, autrement dit « battues ». Ce refus s’accompagne donc de protestations diverses et variées qui traduisent plus une crise du rapport aux règles démocratiques (ou aux règles tout simplement) qu’une responsabilité gouvernementale à l’égard de telle ou telle décision légale.

Pour revenir à votre question, il ne faut pas mettre sur le même pied, l’agression que peut subir le maire d’une des grandes métropoles françaises, Toulouse, (Jean-Luc Moudenc), et celle qui touche un candidat à l’élection présidentielle qui n’a jamais été élu et qui n’a aucune légitimité électorale. Les deux cas de violence n’en demeurent pas moins totalement inexcusables et inacceptables. Que l’on apprécie ou pas les propos de Monsieur Zemmour, rien ne justifie qu’il soit molesté ou admonesté. Mais rendre responsable Monsieur Macron et ses lieutenants de cette violence est aussi stupide que de penser que la Vénus de Milo a été amputée parce qu’elle faisait des choses « interdites » avec ses doigts…  Il n’y a pas de responsabilité principale ou secondaire ici. Il y a, hélas, la marque d’une désaffiliation démocratique aigüe, d’une forme de sacrifice à l’immédiat et à la surface des choses et, surtout, une ignorance crasse de l’Histoire, de ses lois et de ses faits.

Que ce soit par la négation du clivage droite gauche, le mépris des corps intermédiaires ou les contradictions permanentes du discours politique, Emmanuel Macron a-t-il crée les conditions d’installation et de développement d’une violence ? Comment cela s’est-il produit ? Quelles ont été les étapes les plus délétères ?

Maxime Tandonnet : La démocratie directe ou référendaire a été abandonnée depuis la victoire du Non au référendum de 2005 et la démocratie parlementaire fait naufrage dans le chaos. La disparition du clivage structurant droite-gauche ou majorité/opposition a ouvert la voie à un modèle politique fragmenté, dominé par des oppositions radicalisées. Entre Renaissance, la Nupes, le RN et LR, on est entré dans un système chaotique qui fonctionne par des combinaisons et des compromissions ponctuelles dans un contexte instable et dominé par des haines intestines, une montée aux extrêmes. Bref, ce climat de chahut permanent et de cour de récréation donne le sentiment qu’aucune alternance n’est envisageable. En outre, le président Jupitérien s’est donné un style autocratique en confrontation permanente avec le peuple. Après les Gilets Jaunes en 2018 et 2019, la réforme des retraites a été un moment fort de cette confrontation. Le passage en force des 64 ans contre l’avis d’au moins huit-dixièmes des travailleurs sans débat et sans vote de l’Assemblée nationale, a été le déclencheur d’une crise sociale de trois mois. L’impression de mépris, d’arrogance, d’intouchabilité en l’absence de possibilité de sanction du pouvoir est ravageuse pour la paix civile. 

Jean Petaux : Vous avez parfaitement raison, dans votre question, d’évoquer « le recours permanent au « En même temps » de la part d’Emmanuel Macron et des siens. Ce « running gag » qui ne se veut pas comme tel mais qui entend bien constituer l’ossature d’une doctrine politique, a montré, depuis plus de six années son caractère vain et insoluble dans une vie parlementaire apaisée. Le macronisme souffre d’une maladie infantile. Celle qu’a contracté son fondateur, en dépit de ses efforts récurrents et permanents : celle de croire qu’en s’affichant comme « de droite et de gauche... en même temps », il était possible de transcender les rapports de force politique. Pure chimère de la part des macronistes. En face de cette ligne politique tenant plus de l’aporie (contradiction indépassable) que d’un corps de doctrine, les opposants à Emmanuel Macron ont eu tôt fait de voir en cette histoire la preuve que le macronisme était l’antichambre de la dictature. Ce qui est évidemment inepte et infondé. Ce que l’on peut noter, simplement, c’est une lente dégradation de la confiance populaire vis-à-vis du gouvernement et du chef de l’Etat. Dégradation qui rend complexe la moindre des réformes…

A quel point ce sont idéologiquement et sociologiquement les racines du macronisme qui sont en cause ? 

Maxime Tandonnet : Idéologiquement, la macronisme est un étrange pot-pourri, vulgarisé sous les formules « en même temps » ou « ni droite ni gauche ». De fait, il emprunte d’une part le pire d’une mauvaise gauche (esprit bureaucratique et négation des libertés notamment pendant le covid19, gabegie financière insensée, nivellement scolaire, surfiscalité, laxisme sécuritaire et migratoire, dérive écologiste dans la fermeture de Fessenheim) et d’autre part le pire d'une mauvaise droite: mépris des gens, délaissement des services publics comme la santé, déstabilisation de l’Etat, culte du chef, argent roi, autoritarisme stérile, élitisme arrogant. Le tout est empaqueté dans une débauche de communication narcissique, de provocations et de mystification (par exemple sur le chômage). Il donne le sentiment d’un entre-soi hors sol, déconnecté du monde des réalités. Il se veut intouchable, invulnérable, à l’image de cette déferlante d’affaires politico-financières qui ne font l’objet d’aucune sanction en interne. Sociologiquement le macronisme est au croisement d’une partie du CAC 40, des retraités cossus et de la gauche caviar (ou bobo). Tout l’oppose au peuple, aux classes moyennes et populaires. Cette scission est évidemment une source de violence potentielle considérable. 

Si le macronisme s’attelait à recrédibiliser la parole publique, revitaliser la démocratie parlementaire, etc. pourrait-il permettre une désescalade dans les violences observées ? Le peut-il ?

Maxime Tandonnet : Le macronisme a peu de chance de sortir de son image d’arrogance mais aussi d’impuissance à régler les problèmes de la France et des Français. Il stagne à moins d’un tiers de satisfaction et de confiance. Curieusement, il bénéficie d’une indulgence médiatique globale qui lui permet d’échapper à l’effondrement. Toutefois une image aussi dégradée peut difficilement se rétablir en temps normal. Il faudrait des faits dramatiques pour provoquer un effet légitimiste autour du président Macron. Mais en dehors d’une situation exceptionnelle, on ne voit pas de perspective d’un retour à une politique apaisée. Améliorer le fonctionnement de la démocratie par le référendum ou une dissolution qui serait suivie d’une Assemblée plus gouvernable, n’est pas dans l’esprit du macronisme. Ce dernier repose tout entier sur une défiance envers le peuple. Non, il ne le peut pas. Mais le salut ne viendra jamais non plus ni du RN ou autre parti nationaliste ni de la Nupes qui ont une image beaucoup trop clivante dans le pays pour créer un sursaut national. La droite LR quant à elle est allée beaucoup trop loin dans la compromission avec le macronisme contre le peuple, son adversaire privilégié, pendant la réforme des retraites.  Tout peut changer très vite évidemment à la faveur d’événements imprévisibles, mais en ce moment, on ne voit aucun signe nulle part d’une possibilité de renouveau démocratique.

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