Le dérèglement climatique va-t-il avoir la peau du vin français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Si les températures augmentent de 2 à 3 degrés d'ici 2050, la date de récolte du raisin pourrait avancer.
Si les températures augmentent de 2 à 3 degrés d'ici 2050, la date de récolte du raisin pourrait avancer.
©Reuters

In vino veritas

Les changements de température attendus dans les décennies à venir peuvent-ils modifier les conditions de culture d'un des fleurons de la production française, le vin ?

Benjamin   Bois

Benjamin Bois

Benjamin BOIS est maître de conférences à l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin de l’Université de Bourgogne. Il réalise ses travaux de recherches sur les relations entre la viticulture et le climat au Centre de Recherches de Climatologie (laboratoire Biogéosciences). Il a récemment participé à une étude concernant l’impact du changement climatique sur la géographie des régions viticoles en Europe (Moriondo et al, 2013. Projected shifts of wine regions in response to climate change, Climatic Change, March 2013).

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Atlantico : Selon une récente étude publiée dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), en 2050, à cause du dérèglement climatique, les surfaces adaptées à la culture de la vigne en Europe auront diminué de 68%. Certaines vignes Italiennes ont par exemple dû être déplacées en altitude pour être soustraites à une trop forte chaleur. Quelles sont les prévisions climatiques concernant la France ? De quelle manière ses différentes régions viticoles seront-elles affectées ?

Benjamin Bois : On peut distinguer deux grandes zones : le sud et le nord de la France. Il faudrait même plutôt parler du nord de l’Europe, car la partie nord de la France est dans une zone de transition pour laquelle on manque d’information concernant les précipitations. Pour ce qui est des températures, d’ici 2050 on s’attend à une augmentation de l’ordre de 1 à 2 degrés sur l’intégralité du territoire.

Concernant les précipitations, on observera une baisse des cumuls de pluie autour du bassin méditerranéen, et une augmentation dans le nord de l’Europe. Le nord de la France étant en transition, la résolution spatiale des modèles ne permet pas aujourd’hui d’affirmer qu’il y aura effectivement une baisse des précipitations. Hausse ou baisse, on l’ignore encore.

Quelles seraient les implications pour la production viticole à moyen ou long terme ? Y a-t-il des raisons de s’inquiéter ?

Nous avons récemment observé l’impact des températures sur la phénologie en Bourgogne. On peut dire qu’à moyen terme (d’ici 2050) dans les parties septentrionales, la date de récolte va se maintenir ou avancer légèrement.

Y a-t-il des raisons de céder à une vision cataclysmique de l’avenir du secteur viticole ?

Cela dépend des zones. Les situations climatiques en France ne sont pas celles de régions viticoles comme l’Argentine par exemple, où les climats particulièrement arides obligent à irriguer de manière pratiquement obligatoire. La culture de la vigne non irriguée est en tout cas rendue très difficile. Ces situations extrêmes ne s’appliquent pas à la France à l’heure actuelle, même s’il est vrai qu’autour du bassin méditerranéen et dans les zones méridionales françaises, on peut s’attendre à des besoins croissants d’irrigation pour le maintien de niveaux de rendement satisfaisants.

Les vignerons du pourtour méditerranéen font face aujourd’hui à des degrés d’alcool un peu trop élevés, qu’il faut essayer de contrôler. La date de récolte est anticipée, mais la synchronisation de maturité en termes de composés astringents (que l’on appelle composés phénoliques) n’est pas toujours bonne. La maturation obtenue n’est donc pas forcément celle désirée.

De manière générale, on s’attend - et on l’observe déjà dans les endroits les plus chauds de France - à des degrés d’alcool assez importants  et à une baisse de l’acidité. Il faut savoir que la température affecte largement l’acidité des raisins qui, lorsqu'elle est élevée, limite le développement des micro-organismes. La baisse de cette acidité - donc l’augmentation du pH - implique de faire davantage attention à l’hygiène dans les chais. On se pose donc des questions par rapport au potentiel de garde.

Cela dit, en Languedoc-Roussillon par exemple, on cultive le Syrah, qui est un cépage moyennement précoce, et qui a besoin d’un niveau de chaleur intermédiaire. On le cultive dans toute la Vallée du Rhône, et on le retrouve aussi dans le sud de la France. Il peut rencontrer des problèmes de surmaturité s’il fait trop chaud. Toujours dans le Languedoc, on cultive des cépages de type espagnol, comme le Grenache ou la Mourvèdre, qui eux sont habitués à des climats assez chauds. Ils supporteraient donc mieux une chaleur plus importante et un manque d’eau plus élevé. Pour maintenir une qualité de produit élevée dans cette région,  on s’orientera donc peut-être vers des cépages plus méridionaux comme le Grenache ou la Mourvèdre.

On retrouve d’ailleurs aujourd’hui des cépages qui étaient jugés peu intéressants car trop peu productifs et qui avaient du mal à mûrir. C’est notamment le cas des vins issus des cépages Carignan. Ces derniers  sont devenus beaucoup plus intéressants car ils s’adaptent à des températures plus élevées.

Pour résumer, on peut se poser la question de la pertinence d’employer la ressource hydrique, qui risque d’être manquante dans le bassin méditerranéen, au profit de la vigne quand on a d’autres cultures vivrières qui peuvent aussi être demandeuses d’apports en eau. C’est une question qui reste en suspens et qu’il est légitime de se poser.

Dans les régions septentrionales, on se réjouit des changements climatiques, puisqu’on a de moins en moins à ajouter de sucre pour arriver à des degrés d’alcool satisfaisants. Il est aujourd’hui assez difficile de faire passer un message de prise de conscience d’un réchauffement élevé auprès de la profession : certains viticulteurs nourrissent peu d’inquiétudes, puisque pour l’instant ils se réjouissent du changement climatique actuel. Pour l’heure, la maturation des vins est assez bonne, même bien meilleure que ce que l’on pouvait observer dans les années 1970.

A moyen terme, on s’attend à peu de changements : les vignes plantées aujourd’hui et qui arriveront à maturité dans trente-quarante ans, c’est-à-dire à leur optimum de qualité de raisin, ne seront pas trop impactées par le changement climatique. Par contre, à la fin XXIe siècle, on risque de faire face aux limites d’adaptation des cépages français. En Bourgogne par exemple, où l’on n’emploie qu’un seul cépage (Pinot noir) pour faire du vin rouge, il faudra d’ici la fin du XXIe siècle se poser la question de l’adaptation de celui-ci,car remplacer le Pinot par d'autres variétés régionales comme le Gamay conduirait à bouleverser la typicité des vins bourguignons. Il faudra peut-être aller chercher des terroirs en altitude pour maintenir la culture du Pinot noir. Mais on a encore beaucoup de latitude sur cette question, puisque d’ici 2050 il ne devrait pas y avoir de changement climatique majeur.

Certaines régions du nord de l’Europe se réjouissent de voir leur production améliorée par l’augmentation des températures sous leurs latitudes. A l’échelle d’une vie humaine, est-il réaliste  d’envisager qu’un jour nous verrons des vins scandinaves ou écossais débarquer dans nos supermarchés ?

Pour ce qui est de l’émergence de nouveaux vignobles plus au nord, c’est déjà une réalité. Les voir débarquer dans nos rayons de supermarché, c’est une autre question, car cela dépend beaucoup du consommateur et des politiques d’importation européennes et des préférences des consommateurs français. Mais c’est une très bonne question, car aujourd’hui il on assiste à une émergence des vins pétillants en Angleterre. On arrive à avoir des productions de vin d’une qualité tout à fait remarquable, et on voit déjà apparaître des vignes au Danemark.

Il est clair le raisin allemand destiné à fabriquer du vin rouges mûrit beaucoup mieux qu’avant. D’ici 2050 il est fort probable de voir émerger de nouveaux vignobles plus au nord. Cela dépendra beaucoup de la volonté politique et du développement viticole dans ces régions. Dans la partie Allemagne, Pays-Bas et Sud de l’Angleterre, les potentialités sont réelles.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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