La violence et la brutalité : le fond obscur de l’humanité<!-- --> | Atlantico.fr
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L’Enlèvement des Sabines par Pietro da Cortona, 1627-1629, Musées du Capitole, Rome.
L’Enlèvement des Sabines par Pietro da Cortona, 1627-1629, Musées du Capitole, Rome.
©Musées du Capitole / Rome / DR

Bonnes feuilles

Bertrand Vergely publie « La vulnérabilité ou la force oubliée » chez Le Passeur éditeur. Nous entretenons avec la vulnérabilité des rapports contradictoires et douloureux. Le philosophe Bertrand Vergely s'emploie, dans cet ouvrage, à tracer un chemin libérateur en revisitant les grands thèmes qui gravitent autour des notions de « fort » et de « faible ». Extrait 1/2.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Si la brute n’est pas une victime, la force n’est pas la violence. Dans « Le loup et l’agneau », aussi curieux que cela puisse paraître, c’est l’agneau qui est fort, pas le loup. La fable semble pessimiste. La vie étant marquée par la brutalité et les rapports de force, mieux vaut, quand on est violent et brutal, être direct plutôt que de finasser de façon hypocrite afin de se donner bonne conscience. Quitte à être violent et brutal, au moins ne soyons pas hypocrites. Mieux vaut une brutalité brutale qu’une brutalité masquée prenant des airs doucereux. Quand on n’est pas amis, ne jouons pas à l’être. Quand on s’appelle Louis XIV, ne jouons pas à admirer Fouquet par-devant avant de le jeter dans un cul de basse-fosse. Toutefois, ne pensons pas que La Fontaine en reste là. Lorsqu’il célèbre la raison, il s’agit de la raison la plus forte et pas simplement de la raison du plus fort. La brutalité a beau se démener, elle ne peut jamais démontrer qu’elle a raison et la raison qui l’emporte est toujours la raison la plus forte. D’où un subtil optimisme derrière le pessimisme apparent de la fable. Ne désespérons pas parce que la brutalité existe. La raison la plus forte triomphe toujours. Sur le plan de la brutalité, le loup a toujours la victoire des brutes mais il n’a jamais celle de l’intelligence et du génie. Limité à la brutalité, il est toujours défait sur le plan de l’intelligence. Louis XIV l’emporte sur Fouquet. Triste victoire. Victoire de brute et non de grand homme. Il est des victoires qui sont des défaites et des défaites qui sont des victoires. La victoire du loup est une triste victoire, alors que la défaite de l’agneau est une glorieuse défaite.

La brutalité confond toujours force et violence en faisant croire quand elle est violente, qu’elle est forte. Comme son nom l’indique, violence vient de violer. Violer veut dire pénétrer dans un espace interdit, transgresser une loi, s’emparer du corps d’une femme ou d’un enfant pour assouvir ses pulsions sexuelles. Dans tous les cas, violer signifie ne pas respecter la limite de l’espace, de la loi et du corps de l’autre. Qui viole n’a plus de limites et ne respecte plus aucune limite. Pénétrant partout, s’emparant de tout, le violeur n’a plus aucune règle. On est dans la folie. C’est ce qui distingue la force de la violence. Alors que la force sait se retenir, la violence n’en est pas capable. Submergé par son désir avide de tout posséder, le violent en est l’esclave. D’où la folie destructrice que l’on trouve dans toute violence. Plus le violent est dominé par son avidité furieuse, plus il devient violent afin de se libérer de l’esclavage dans lequel il s’est mis. Chez le violent, l’esclavage appelle la tyrannie et la tyrannie l’esclavage.

Platon décrit bien le fond obscur de l’humanité quand, comparant la violence à la tyrannie, il voit en elle celui qui est prêt à passer sur le ventre de père et mère afin d’assouvir sa soif. Socrate comprend bien aussi ce qu’est la violence quand, démystifiant le tyran, il voit en lui un esclave et, dans cet esclave, une passoire incapable de filtrer ses propres passions.

La force est douceur et paix et non pas violence et fureur. Loin d’attaquer, elle défend et, quand elle doit attaquer, non seulement elle prévient toujours en lançant des sommations, mais elle précise toujours que la violence ne saurait être une fin en soi. Elle ne peut être que l’ultime recours dans le cas où la violence adverse ne change pas et ne s’arrête pas.

Dans « Le loup et l’agneau », l’agneau donne un bel exemple de force et de défense. Quand le loup commence à l’embarquer dans une discussion perverse en se faisant passer pour une victime qui a le droit de se venger, il ne se laisse nullement impressionner. Patiemment, calmement, il reprend ses arguments un à un pour démontrer qu’il n’a jamais violé le loup, que ce soit dans l’espace ou en parole. Dans l’espace mental dans lequel l’agneau évolue, il n’y a ni victime ni coupable. Le loup n’est victime de rien ni de personne et l’agneau n’est nullement coupable.

Lorsque l’agneau parle comme il le fait, tout coule de source, simplement, avec une merveilleuse patience. Ce n’est pas lui qui parle. C’est l’être et la logique de l’être qui parle à travers lui. L’ordre caché des choses se trouve là, dans le fond heureux et profondément cohérent de l’existence. Nous ne cessons de nous agiter à son sujet en opposant le fort au faible et le faible au fort, sans que cela nous rende plus forts et plus doux, moins durs et moins mous. Rien d’étonnant à cela : nous ne laissons pas agir le principe de vie qui vit en nous.

Nous avons en nous tous les moyens de faire face à la violence. Il suffit de savoir laisser parler la force qui vit en nous. Quand on sait ce que l’on veut, nul besoin d’être violent pour se faire respecter. La calme assurance dont on fait preuve suffit. La violence est toujours très impressionnée et très déstabilisée par la détermination. Quelqu’un qui a peur est manipulable. Il suffit de lui faire peur pour en faire ce que l’on veut. Quelqu’un qui est déterminé n’est pas manipulable. Cela déconcerte la violence.

Extrait du livre de Bertrand Vergely, « La vulnérabilité ou la force oubliée », publié chez Le Passeur éditeur

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