La technologie au secours des archéologues pour cartographier les civilisations antiques avant que leurs vestiges ne disparaissent<!-- --> | Atlantico.fr
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Un archéologue étudie des restes humains, photo d'illustration AFP
Un archéologue étudie des restes humains, photo d'illustration AFP
©ABDELHAK SENNA / AFP

On n'arrête pas le progrès

L'archéologie consiste à analyser les traces de vie humaines laissées par nos ancêtres pour tenter, ensuite de restituer au mieux ce qu'a pu être leur époque. Malheureusement, ces traces ont tendance à disparaître. Mais le progrès technologique pourrait considérablement aider les chercheurs.

Jean-Paul Demoule

Jean-Paul Demoule

Professeur émérite de protohistoire européenne à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, Jean-Paul Demoule a créé puis présidé l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Il est l'auteur de chroniques rédigées pour la revue Archéologia, à l'origine de ce livre, et a récemment codirigé Une histoire des civilisations (La Découverte/Inrap).

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Comment découvrir des sites archéologiques, mais aussi les conserver (virtuellement) ?

Les progrès des sciences et des techniques accompagnent aussi ceux de l’archéologie. On sait que notre patrimoine archéologique disparaît à très grande vitesse. Ainsi, chaque année, environ 500 km2 de notre territoire sont « artificialisés », c’est-à-dire creusés et bétonnés pour des constructions diverses (des habitations aux zones industrielles et aux plateformes logistiques), des carrières de sables ou de pierre, des autoroutes ou lignes de TGV, etc – soit la surface d’un département français tous les huit ans en moyenne. Mais comment repérer les sites archéologiques avant destruction, sachant que notre territoire est habité depuis plus d’un million d’années et que l’on découvre un site archéologique important à chaque kilomètre du futur tracé d’une autoroute ?

Les techniques peuvent être simples : se promener à la surface de champs labourés pour voir si la charrue a remonté morceaux de poterie ou pierres de construction ; observer d’avion les anomalies dans la végétation : sur des murs enfouis, le blé jaunit plus vite, mais reste plus longtemps vert au-dessus de fosses qui ont retenu l’humidité. La précision de plus en plus grande des images satellitaires, certaines accessibles en ligne pour le grand public, accroît encore les possibilités de telles observations. Le procédé néanmoins le plus employé par les archéologues consiste à creuser (avec précaution) des sondages à la pelleteuse sur les surfaces qui doivent être aménagées. C’est ce qui, en France, est fait le plus souvent par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) ou sinon par des services archéologiques de collectivités, lorsqu’il y a présomption de site archéologique de la part des services du ministère de la Culture, habilités à prescrire de telles recherches. Néanmoins ces sondages ne sont entrepris que sur un quart des surfaces aménagées chaque année (le reste passant pour pertes et profits) ; et ils ne concernent en général que 5% à 10% des surfaces devant être artificialisées. 

Plus exhaustives et moins destructives sont les techniques, toujours plus sensibles, qu’apporte la géophysique. Celles-ci peuvent être utilisées « en grand », lors de la détection pétrolière et minière, mais de manière beaucoup plus fine pour la recherche archéologique. Les techniques électromagnétiques consistent à envoyer dans le sol un courant ou des ondes diverses, dont on va mesurer le comportement en fonction des obstacles qu’elles rencontrent dans le sol. L’avantage est que l’on n’entame pas le sol et que l’on peut couvrir ainsi, assez rapidement, l’ensemble du terrain étudié, d’autant que les appareils enregistreurs sont maintenant montés sur de petits véhicules. La difficulté est ensuite dans l’interprétation, mais qui ne cesse de s’affiner. Néanmoins, si murs, fosses et fossés seront aisément détectés, des campements préhistoriques de plusieurs dizaines de milliers d’années, qui ne laissent que des traces faibles, échapperont facilement aux appareils. Une expérience menée sur un futur aéroport a ainsi montré que seuls un quart des sites archéologiques, découverts ensuite au moyen des tranchées classiques, avaient été préalablement identifiés par la prospection géophysique. Mais il est vrai que ces appareils ne cessent de s’affiner. 

Une autre technique prometteuse est celle des géoradars qui, à l’instar des radars usuels, envoient puis recueillent des ondes électromagnétiques, mais cette fois dans le sol, enregistrant donc les anomalies sous-jacentes. La pénétration n’est usuellement que de quelques dizaines de centimètres mais, là encore, les performances ne cessent de s’améliorer. Ces différentes techniques sont en fait plus souvent utilisées pour affiner la connaissance d’un site archéologique déjà identifié, et permettent justement de se dispenser de creuser au hasard et s’assurent du plan exact du site afin de guider les fouilles, et tout autant les mesures de préservation de certaines parties. Une autre utilisation de la technique du radar est celle, assez récente, du lidar (laser imaging detection and ranging). Il s’agit d’un radar aéroporté, capable de percer le couvert forestier. Ainsi ont été découverts, ou considérablement précisés, des sites mayas au Guatemala ou une ville entière au Cambodge, à proximité d’Angkor dans la montagne de Kulen. 

On se doit néanmoins de mentionner qu’à petite échelle les techniques électromagnétiques sont utilisés par les détecteurs de métaux portatifs. Ces appareils sont bien utiles pour retrouver des câbles enfouis, des champs de mines, voire un bijou perdu sur une plage. Malheureusement, ils sont aussi utilisés par des fouilleurs clandestins qui ravagent les sites archéologiques, notamment en France, du moins lorsqu’il y a des métaux – ces appareils distinguant même le fer (présent en abondance, sous forme de vestiges d’instruments agricoles) et les métaux non-ferreux, et donc précieux. L’argument que ces détectoristes clandestins enrichiraient la recherche archéologique est fallacieux : une fois qu’un objet est sorti de terre et donc extrait de son contexte, il devient d’une très faible valeur scientifique. Tout aussi fallacieux est l’exemple souvent cité de la législation britannique, plus permissive, et qui en principe propose aux détectoristes de racheter leurs trouvailles : en réalité, la plupart restent clandestines. 

Au-delà des images enregistrées par ces différents appareils, il convient de les traiter. C’est le travail des Systèmes d’information géographique (ou SIG), traitements de plus en plus sophistiqués grâce aux progrès constants de l’informatique, les Big data. Ces capacités croissantes ouvrent aussi d’autres possibilités : l’enregistrement en trois D des sites, mais évidemment des sites connus, et notamment des monuments. Ce travail est d’autant plus essentiel quand il concerne des sites menacés, soit en zone de guerre, soit du fait de l’érosion naturelle. Avec les progrès constants de la réalité virtuelle, on pourra, non seulement conserver la mémoire de sites disparus, mais aussi se promener de plus en plus finement dans des sites très éloignés (voire fermés aux touristes) voire détruits entre temps. 

Bibliographie

Compagnon Gregory, Halte au pillage ! Paris, Errance, 2011. 

Favory François, Fruchart Catherine, Nuninger, Laure - 2020 – « Archéologie et informatique. Histoire d’une rencontre » [en ligne]

Manaugh Geoff, « Scientists Have an Audacious Plan to Map the Ancient World Before It Disappears » [en ligne]

Rodier Xavier et al., Information spatiale et archéologie, Paris, Errance, 2011,

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