La technologie a-t-elle tué la virilité des hommes ?

Atlantico : Si la "rétrosexualité" et le retour de la virilité est aujourd'hui une véritable tendance dans la société, les nouvelles technologies ont pris le pas sur les activités manuels chez les hommes. Quelles influences la technologie a-t-elle eu sur les hommes et sur le masculin ?

Vincent Cespedes : Ce que l'on constate, c'est que les hommes ont de plus en plus de plaisir à manipuler les nouvelles technologies. Certaines études montrent qu'il existe de plus en plus de cas d'hommes qui préfèrent passer du temps à jouer aux jeux vidéos ou sur Internet plutôt que de faire l'amour à leur femme. Une étude a même démontré que le football et les nouvelles technologies arrivait en top des plaisirs masculins.

Toutefois, ce phénomène n'est pas nouveau dans la mesure où la voiture par exemple focalise un érotisme masculin extrêmement fort. Les psychanalystes y voient souvent des raisons liées au phallus et au symbole d'extension qu'il représente. J'y vois personnellement quelque chose de lié au contrôle. Le stéréotype masculin aujourd'hui correspond à l'homme de pouvoir tout contrôlant. Dans ce contexte, la machine a véritablement un rôle érotique qui prouve la virilité de l'homme. D'où l'intérêt que les hommes portent aux grosses voitures qui sont une forme extériorisée de leur propre puissance. Les technologies jouent aujourd'hui sur cette tendance.

Auparavant, les hommes exerçaient des activités, même dans le loisir, assez manuelle et qui nécessitait un pouvoir physique. Les technologie appellent, elles, plus un pouvoir mental. Qu'est-ce que ce changement révèle sur la l'évolution de la masculinité ?

Je ne crois pas que ce soit dans l'exercice de la force physique que l'homme brillait auparavant. Comme Roland Barthes en parlait en analysant les films de gangsters, le vrai mec n'est pas celui qui frappe, la brute épaisse, le bras droit. C'est au contraire celui qui claque du doigt et qui fait exécuter des hommes. La vraie virilité, celle de la performance absolue, c'est le moindre effort pour déclencher la fin du monde : c'est cela le vrai fantasme masculin, et non celui qui va cogner ou faire son Rambo. Ce type de personnage fait rire mais n'a jamais été un fantasme sexuel pour les femmes. Georges Clooney, oui, Sylvester Stallone, non. Ce dernier fait même plutôt fantasmer les hommes, il représente une sorte d'homosexualité refoulée de tous les hommes.

Ce fantasme d'un effort minimaliste de cliquer ou de glisser son doigt sur un bouton pour que le monde réagisse aux ordres est parfaitement repris par les nouvelles technologies. Les femmes veulent des hommes qui retrouvent leur corps alors que la technologie le virtualise. Ce n'est donc pas le fantasme du bûcheron qui manque car, au contraire, on voit se développer aujourd'hui le fantasme du geek. C'est pratique pour une femme d'avoir un homme chez soi qui sache manipuler ce genre de technologie. On attend toujours des hommes qu'ils soient bricoleurs mais également qu'ils soient sensibles et subtiles psychologiquement. La subtilité des nouvelles technologies et la subtilité des rapports humains ne vont pas ensemble. Cela s'explique par le fait que l'on ne peut pas avoir en même temps la rapidité et la puissance et la prise de temps et la subtilité de la conversation et du désir. C'est la contradiction de cette génération qui est aujourd'hui impossible à faire.

Ce type de technologie a donc des conséquences directes sur les relations et les couples…

Effectivement. Les relations masculines sont démultipliées pour permettre aux femmes de créer une sorte de réseau. Cela crée une véritable ambiguïté qui résulte du fait que les petits amis et les copains se mélangent. La notion de couple est en train d'exploser structurellement. L'idée qu'il faut se mettre en couple d'une manière rapide et pour la vie, ce que l'on appelle le couple Ikéa qui se forme très souvent en suivant la pression sociale existe encore mais les jeunes de 20 ans se posent de plus en plus de questions alors que la génération précédente s'y était engouffrée pleinement. Le rôle des technologies est énorme car il permet une véritable clandestinité qui n'existait pas il y a vingt ans, de part notamment l'individualisation des technologies qui servent l'individu et non le groupe.

Propos recueillis par Célia Coste