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La question qui valait des milliards : combien de temps la Fed et la BCE vont-elles continuer à acheter des bons du trésor ?
©EITAN ABRAMOVICH / AFP

L'avis d'un économiste

La question à Jay Powell et à Christine Lagarde qui obsède les marchés financiers : pendant combien de temps allez-vous acheter encore des bons du trésor et, ainsi, entretenir la reprise, donc aussi les bourses ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Toutes les conférences de presse de Jay Powell, le Président de la Banque centrale américaine (la Fed) et de Christine Lagarde, la Présidente de la Banque centrale européenne (la BCE) retentissent des mêmes questions. Pendant combien de temps allez-vous acheter régulièrement, chaque mois, des milliards d’euros et de dollars de bons du trésor ? C’est ce qui nous a sauvés et fait aujourd’hui monter les bourses au plus haut. Merci pour le passé, et maintenant de nous prévenir pour le futur. Merci, bien sûr, de votre soutien à vous deux, il y a un an, avec l’explosion de la pandémie. Merci de nous enrichir maintenant, en continuant vos achats qui font repartir l’économie, sans faire monter les taux. Mais pourrez-vous continuer à ce rythme ? N’est-ce pas trop dangereux, et dangereux aussi quand vous allez devoir réduire vos achats mensuels ? Quand ? De combien ? Comment ferez-vous ?

A toutes ces questions, les réponses de Jay Powell et de Christine Lagarde sont toutes et toujours les mêmes : ce sera plus tard. Ne vous inquiétez pas, nous sommes vigilants et avons les moyens de continuer, autrement dit : d’acheter. C’est exactement ce qu’ont répondu Christine Lagarde le jeudi 22 avril et Jay Powell le mercredi 28 avril. « Nous n’avons pas atteint notre objectif d’inflation à 2% à moyen terme », dit Christine Lagarde, puisque nous en sommes à 1,3%, et même nos prévisionnistes à moyen terme ne la voient pas plus haute ». « Nous n’avons pas atteint nos deux objectifs », dit Jay Powell de son côté. Certes, l’économie rebondit, avec un premier trimestre 2021 à 6,4 % en rythme annuel, avec plus d’emplois à la clef, mais au moins 8 millions de salariés n’ont pas trouvé l’emploi qu’ils avaient il y a un an. Peut-être a-t-il disparu ? Un autre sera-t-il plus long à trouver, plus exigeant, avec plus de qualifications recherchées ? Il faut donc continuer. Et certes, pour atteindre 2% d’inflation à moyen terme de manière permanente, il y a un mieux, mais pas suffisant pour ancrer durablement les anticipations à moyen terme. Il faut donc continuer.

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Oui, nous allons poursuivre notre plan de quantitative easing dit aussi Christine Lagarde le jeudi 22 avril. Encore 20 milliards par mois pour l’asset purchase programme (APP), plus 80 milliards pour le pandemic emergency purchase programme (PEPP), dont l’enveloppe totale est de 1 850 milliards d’euros, ceci au moins jusqu’à fin mars 2022. Ceci devrait aller, sinon, nous agirons. Augmenterons ? demande un journaliste : « la question n’a simplement pas été posée à la réunion de décision des gouverneurs», répond Christine Lagarde. Ceci devrait vouloir dire : oui, bien sûr ! 

Oui, nous allons escorter le plan de soutien à l’économie américaine », dit Jay Powell. Nous allons prendre notre part à la logique actuelle : go big, faire de très gros programmes d’investissements, 3 plans pour 6 000 milliards de dollars, pour sortir de crise, réhabiliter les infrastructures, lutter contre le changement climatique, soutenir l’éducation et la formation ! Il y a de bonnes raisons économiques pour cela : obtenir une croissance américaine plus forte et surtout plus résiliente, qui donnera l’occasion d’unir le pays et de le mettre en tête de la révolution technologique en cours. Sans compter des raisons politiques, au moins aussi importantes par rapport à la Chine et qui ne sont pas, au moinsdirectement, du ressort de la Fed et de son Président.

Oui, car cesser ces achats de bons des trésors américain ou européen par la Fed ou la BCE est inenvisageable. Ce serait une catastrophe, une crise majeure du dollar et de l’euro, puisque ces deux banques centrales ne seraient plus ce qu’elles sont par essence : les deux prêteurs en dernier ressort des deux grandes zones monétaires. Sans jamais évoquer une telle situation, les deux grands argentiers n’évoquent pas, même indirectement, ce cas de figure. Ils mettent plutôt l’accent sur la qualité des devises qu’ils défendent, ce qui veut dire qu’ils seront toujours là pour acheter ! Ils achèteront des bons de leurs trésors respectifs, donc prêteront des trillions à leurs états, sans problème puisque leurs deux devises sont fortes !

La vraie question est celle du moment où Jay Powell, puis Christine Lagarde vont acheter moins, donc du moment où ils vont l’annoncer, avec le maximum de bonnes raisons, pour éviter une réaction adverse des marchés : une hausse forte et brusque des taux qui ferait plonger les bourses. 

Tapering : c’est le moment que guettent les marchés qui auscultent les banques centrales, dans la crainte du taper tantrum. Quel charabia ! Tapering, c’est graduellement réduire les achats de bons du trésor, comme un cierge (taper) qui se rétrécit au fur et à mesure qu’il est allumé. Taper tantrum, c’est la colère (tantrum) des marchés devant cette annonce, que les achats de bons du trésor seraient réduits. Il s’agit là, pour comprendre, de remonter de quelques années en arrière. Mai 2013, Ben Bernanke, alors Président de la Banque centrale américaine, et inventeur du quantitative easing qui avait sauvé les marchés de la crise des subprimes, commence sa conférence en disant que la Fed a l’intention de « maintenir une politique monétaire hautement accommodante aussi longtemps que nécessaire »… puis il ajoute, un peu plus loin dans son exposé, que cette même Fed pourrait réduire (taper : il utilise le mot, alors assez rare mais grâce à lui rajeuni !) le rythme de ses achats dans ses prochaines réunions (in the next few meetings). Aussitôt, les taux longs explosent dans le monde : c’est la colère, le taper tantrum. La surprise fut totale et pèse aujourd’hui encore dans les esprits de tous, banquiers centraux surtout : ne pas répéter « la gaffe », en préparant les esprits autant que possible. 

Donc, dans les mois qui viennent, il faudra regarder la hausse moyenne des prix et le taux de chômage aux États-Unis, vers 2,5% d’inflation et 3% de chômage : deux ans d’attente au plus. Alors les taux américains auront déjà monté, attirant à la hausse les taux européens et le tapering américain commencera, doucement. Jay Powell aura répondu à la question du début du ralentissement des achats et les questions poseront sur le rythme. Mais Christine Lagarde sera alors bien seule, sur sa propre date du début de tapering. Elle pourra dire : « plus tard », mais les marchés, les banques centrales allemande et hollandaise ne l’entendront pas ainsi.

Dans deux ans, dans ses conférences de presse, on demandera à Jay Powell à quel rythme il va réduire ses achats de bons du trésor et, à Christine Lagarde, quand elle va commencer à le faire !

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