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La présidentielle 2022 dépendra plus que jamais d’une France que le système peine à capter
©SEBASTIEN BOZON / AFP

Entretien Bonnes Feuilles

Laetitia Krupa publie« La Tentation du Clown : Comment un candidat hors système va bouleverser la présidentielle » aux éditions Buchet Chastel. Dans cet ouvrage, elle étudie la possibilité de l'élection d'un candidat hors système à la présidentielle.

Laetitia Krupa

Laetitia Krupa

Après des débuts à Radio-France, puis à Canal + et France 5 ('Médias, le magazine'), Laetitia Krupa travaille depuis 20 ans dans le secteur audiovisuel. Journaliste spécialiste de la communication politique, elle est aujourd'hui chroniqueuse dans l'émission 'Les Grandes Voix' d'Europe 1 et collabore à plusieurs émissions de télévision (BFM TV, France 24, I24News). L'année dernière, elle était aux côtés de Laurent Ruquier dans 'On n'est pas couché' sur France 2.

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Atlantico : Vous publiez « La Tentation du Clown : Comment un candidat hors système va bouleverser la présidentielle » aux éditions Buchet Chastel. Quarante ans après Coluche et alors que la crise de défiance vis-à-vis de la classe politique traditionnelle semble de plus en plus grande après le mouvement des Gilets jaunes notamment, les Français sont-ils prêts à élire un Clown ? Un candidat hors système, un outsider permettant de se débarrasser définitivement de l'ancien monde a-t-il des chances de peser sur l’élection présidentielle ou de s’imposer ?

Laetitia Krupa : Effectivement. Et ce n’est pas moi uniquement qui vous répond oui. C’est le fruit et le résultat de deux ans d’enquête. Cela fait à peu près deux ans que j’ai eu cette intuition qui a été confirmée par un article du Monde de mai 2019 où un conseiller de l’Elysée était cité, en off bien sûr, de manière anonyme. Il alertait sur le fait qu’un candidat hors système allait bouleverser l’élection et qu’il fallait se tenir prêt. Et il donnait même des noms : Cyril Hanouna, Elise Lucet, Didier Raoult… Et en disant « ça fout la trouille ». Donc si l’Elysée lance cette idée, est-ce que c’est une rumeur ? Est-ce que c’est une information ? Est-ce que c’est vraiment une peur du pouvoir ? Cela mérite de s’y pencher. J’ai donc décidé de débuter mon enquête. Je suis allé voir cinquante experts. J’ai essayé de dresser un état des lieux de la France en 2021. J’ai rencontré des sociologues, des historiens, des chercheurs, des politologues, des hommes politiques, des hommes de l’ombre, des hommes et des femmes de médias. Tous sont convaincus qu’un espace existe  pour qu’un candidat dit « hors système » se présente en 2022 et pèse sur la campagne et également sur le second tour. Il pourrait remporter une partie des suffrages qui pour l’instant est très difficile à quantifier dans la mesure où l’abstention est très forte. La dernière fois, lors de la dernière élection présidentielle, l’abstention était à 22%. Imaginez si les abstentionnistes décident d’aller voter cette fois-ci parce qu’ils seront convaincus par un candidat qui justement sort du lot, qui justement n’est pas un politique, qui justement va convaincre ces abstentionnistes et beaucoup d’autres Français que finalement il est le meilleur représentant du peuple. 

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A partir de là, personne ne peut prédire le score d’un tel candidat. Et les sondeurs se sont penchés sur la question. Cela panique les élites. Il y a beaucoup d’études qui sont lancées en ce moment. Personne n’arrive encore à quantifier ce phénomène. On ne sait pas quelle est la France qui pourrait voter pour un Clown mais on sait qu’elle existe. Et donc le risque existe évidemment, s’il s’agit d’un risque. Après peut-être que c’est un bienfait pour la démocratie. Sur cette question, je ne tranche pas. Je ne prends pas position et je ne veux pas du tout juger ce vote-là. Il s’agit simplement de dire voilà où nous en sommes. Il y a une défiance magistrale du peuple envers la politique. Cette défiance montre la crise de la démocratie représentative. Les Français ne se sentent pas représentés à juste mesure. Ils se sentent mal représentés. La question est simple. Si ce n’est pas par un politique qu’ils veulent être représentés, par qui souhaitent-ils être représentés ? Par une personnalité de la société civile qui pourrait effectivement fédérer et remporter un score tel au premier tour qu’il pourrait, et c’est ce que je démontre dans le livre, être un troisième homme et peser, être peut-être faiseur de roi même pour le second tour. C’est vraiment le résultat de l’enquête. J’explique également dans l’ouvrage tous les signaux verts allumés pour ce type de candidature.            

Atlantico : Au regard de votre enquête et du fruit du travail de votre ouvrage, quel profil type, quel portrait-robot pourrait avoir le candidat hors système, correspondant à la tentation du Clown pour le scrutin présidentiel de 2022 ?

Laetitia Krupa : Je teste plusieurs hypothèses dans le livre, plusieurs personnalités connues ou qui ne sont pas encore véritablement connues du public afin de tester leur potentialité de candidats à la présidentielle. Mais c’est aussi pour dessiner en filigrane un portrait-robot du Clown idéal. Et pour le Clown idéal il est possible de définir trois typologies.

La première pourrait être un Clown vengeur, un peu comme le Joker. Je fais appel beaucoup à la fiction dans le livre. Il me semble que l’interpénétration de la fiction dans la réalité est capitale aujourd’hui. Si on refuse de prendre en compte cette dimension, on passe à côté d’une conception de la politique qui est partagée aujourd’hui par beaucoup de Français. Ce n’est pas rabaisser la politique. Il s’agit de vraiment prendre en compte la fiction. Je fais souvent appel à la figure du Joker. Ce serait le Clown vengeur qui capterait toutes les colères. Pour l’instant, le Rassemblement National et La France Insoumise font office de capteurs de colère mais ce sont encore une fois deux pôles politiques. Or, nous sommes à un moment où les Français ne veulent plus de politique. Ce candidat pourrait donc très bien capter ce vote-là. 

On peut également imaginer un clown du « care », cette notion qui avait été mise en avant par Martine Aubry et qui était inspirée d’un courant venu des Etats-Unis, c’est-à-dire le soin, des valeurs positives, un Clown qui défendrait le climat, un Clown qui défendrait la justice sociale. 

On peut aussi avoir un Clown un peu moralisateur, ce que j’appelle le Clown blanc. Comme le Général de Villiers. Un Clown qui ramènerait l’ordre et la raison en France. On voit que les questions sécuritaires sont en train de monter en France de manière très sérieuse. Cette figure du sauveur un peu militaire pourrait être complètement cohérente avec l’époque. 

Je m’inspire de ce qui s’est passé également dans les pays voisins de la France ou dans d’autres nations. Il suffit de regarder ce qu’il s’est passé aux Etats-Unis, au Guatemala, en Ukraine, en Tunisie… C’est un phénomène qui a fait tache d’huile. Donc je ne vois pas pourquoi la France serait épargnée. Il me semble que la plus grande qualité du Clown pour remporter la mise, c’est d’avoir une surface de popularité large. C’est la condition sine qua non.         

Atlantico : Ces candidats atypiques et hors système ont-ils vraiment une chance de s’imposer en France au soir du second tour de l'élection présidentielle ? C’est une chose de peser sur la campagne électorale mais c’en est une autre d’avoir une véritable chance… Au regard de la sociologie des Français et des craintes des électeurs notamment pour leurs retraites, ce scénario peut-il réellement se concrétiser dans les urnes pour la France ?

Laetitia Krupa : Pour être très honnête, je n’en ai aucune idée à ce stade. L’enquête sert à faire un bilan, un état des lieux. Quand on finit le livre, il me semble que l’on peut dire que nous en sommes à 50/50. Cette éventualité est possible. Ceux qui me disent que cela n’est pas possible ou que les Français ont une culture politique tellement solide, une histoire qui fait que ce vote est impossible, se trompent. Au lendemain de l’élection de Donald Trump, on était tous sidérés. Même les Américains n’ont pas vu cette Amérique-là.

Il me semble qu’il y a une France que l’on ne voit pas encore, que l’on n’arrive pas à capter, que l’on n’arrive pas à identifier, ce que Jérôme Sainte-Marie appelle le bloc populaire. Ils sont nombreux à essayer. Jérôme Sainte-Marie est un expert que j’ai interviewé. Ce n’est pas le seul. Gérald Bronner aussi. Même chez les sondeurs, à l’IFOP, avec Jérôme Fourquet et sa théorie de l’archipélisation de la société, cette idée est présente. Ils sont très nombreux en ce moment à le démontrer à travers beaucoup de travaux et d’études qui portent sur cette France qui pourrait voter pour le Clown et qui pourrait élire le Clown. Pour l’instant, cette France passe sous les radars traditionnels. Donc honnêtement, c’est du 50/50.      

Atlantico : La France est un pays riche qui a beaucoup de choses à perdre lors du scrutin présidentiel et en cas de victoire d'un candidat hors système.  L’aventure politique n’est que pour des gens qui n’ont plus rien à perdre mais nous ne sommes pas un pays de gens qui n’ont plus rien à perdre. Les Français peuvent-ils prendre le risque d’élire un candidat correspondant à ce profil ?

Laetitia Krupa : J’entends ce raisonnement-là. Il existe. Dans mon enquête, j’ai beaucoup de spécialistes qui ont tenu ce discours. Il me semble que c’est un discours pour se rassurer. Je crois qu’il y a aussi toute une partie des observateurs aujourd’hui en France qui appartiennent encore à l’ancien monde, sans vouloir stigmatiser et rabaisser cet ancien monde-là.

Emmanuel Macron a lui-même mis le pied dans la porte le premier. Il est arrivé sans ancrage territorial, quasiment inconnu du grand public. Il a réussi le casse du siècle, c’est lui-même qui le dit. A partir du moment où Emmanuel Macron a été élu, tout est possible. Au sein du pouvoir, on dit même qu’Emmanuel Macron a ouvert la porte. 

Bien sûr qu’il y a cette forme de réassurance à se dire que les Français vont finalement avoir un vote de raison. Mais qui sait comment les Français vont voter ? Qui sait comment la France va se sortir de cette crise sanitaire ? On nous annonce que nous sommes au bout du tunnel. Qui peut dire dans un an où nous en serons ? C’est impossible. On ne peut pas savoir quelles seront les évolutions des variants ? Est-ce que les vaccins seront encore nécessaires et suffisants ? Est-ce qu’il y aura une quatrième etune cinquième vague ? 

En fait, et c’est le résultat de l’enquête, l’élection présidentielle de 2022 est un scrutin qui est d’une imprévisibilité totale. Encore plus que les précédentes. 

Laetitia Krupa publie « La Tentation du Clown : Comment un candidat hors système va bouleverser la présidentielle », aux éditions Buchet Chastel

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