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La précipitation désordonnée est contreproductive : les États-Unis peuvent-ils vraiment bannir les accords commerciaux multilatéraux ?
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Party in the USA

Donald Trump l'avait promis et a respecté son engagement. Par décret les Etats-Unis ont renoncé au traité trans-pacifique. Voici quelques conséquences.

Anne Deysine

Anne Deysine

Anne Deysine est juriste (Paris II) et américaniste. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à l'université Paris-Ouest Nanterre. Enseignant aussi à l'étranger, elle intervient régulièrement sur les ondes d'Europe 1, RFI, France 24, LCI... Auteur de plusieurs ouvrages, dont "La Cour suprême des Etats-Unis" aux éditions Dalloz, ses travaux sont consultables sur son site Internet : deysine.com.

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Le candidat Trump l’avait claironné durant toute la campagne et il met en œuvre en renonçant dès le Jour 1 par décret au partenariat transpacifique (TPP), pourtant signé en février 2016 et destiné à contrer l’influence de la Chine. Les porte-paroles du nouveau président tentent d'expliquer qu'il s'agit simplement de remplacer des accords multilatéraux, toujours « défavorables aux États-Unis car mal négociés », par des accords bilatéraux dans lesquels les États-Unis seront en position de force.

Cette préférence des Etats-Unis pour le bilatéralisme n'est pas nouvelle.  Lorsque l'Organisation mondiale du commerce (OMC) a été créé et qu'il a été question de mettre en place un mécanisme de règlement des différends (MRD) qui de facto interdirait aux États-Unis le recours à leurs traditionnelles mesures de représailles unilatérales, la résistance au nom de la souveraineté des États-Unis a été longue. Depuis, les États-Unis sont avec l'Union européenne le plus gros utilisateur du mécanisme de règlement des différends. Et si l'on regarde ce qui s'est passé depuis 2000, durant les deux dernières administrations (Bush et Obama) et la période durant laquelle les négociations OMC (Cycle Doha lancé en 1997) n'ont pu aboutir, les États-Unis ont effectivement signé ou approfondi nombre d'accords commerciaux, dont plusieurs avec des pays qui auraient fait partie du TPP. Citons le Chili (2004), l’Australie (2005), la Corée (2012), Panama (2012).  

Par ailleurs, l'air du temps a changé. Si il y a eu pendant plusieurs décennies un consensus large sur les bienfaits du libre-échange et des exportations créateurs d'emplois et de croissance, ceci est beaucoup moins vrai pour les nouveaux accords qui sont en fait des partenariats et dans lesquels l'abaissement des droits de douane (déjà très bas) ne constitue qu'une infime partie. Les sujets essentiels sont les normes, la propriété industrielle et la liberté d'investissement dans des secteurs aussi stratégiques que les télécommunications ou les services financiers. Il n’est donc pas anormal que la négociation puis la signature du partenariat Trans Pacifique rassemblant 12 pays de l’Asie Pacifique et incluant cette nouvelle dimension ait posé problème aux démocrates, à Bernie Sanders candidat aux primaires démocrates, aux syndicats et aux électeurs de Donald Trump.

Mais Monsieur Trump semble oublier au moins deux choses. Dans le monde d’aujourd'hui, il est difficile de dissocier coopération économique internationale et questions géopolitiques et de sécurité nationale. Ensuite, en décidant de recourir uniquement aux accords bilatéraux, les États-Unis renoncent ipso facto à leur leadership économique dans la région Asie Pacifique où l’expansionnisme chinois est l’un des grands dangers géostratégiques. C'est plutôt une excellente nouvelle pour les Chinois qui ont immédiatement accéléré leur projet de remplacement auquel l'Australie s'est déjà ralliée. Il s’agit de la même problématique pour la COP 21. Si le nouveau président, malgré ce qu'ont déclaré les (futurs) membres de son cabinet devant diverses commissions du Sénat, décide de sortir de l'accord sur le climat en violation des engagements internationaux des Etats-Unis, la Chine sera trop contente de reprendre le flambeau et d'assumer ce leadership énergétique. Quelqu'un a-t-il expliqué ces points « de détail» à Monsieur Trump ?

Il est bien sûr pas possible de définir ce que serait une hypothétique vision du monde selon le président Trump. Il a des idées et des préférences et à son crédit il a su capter la colère de la classe moyenne, blanche en majorité mais pas seulement, qui n'a effectivement pas perçu les dividendes de la sortie de crise, de la reprise de la croissance et des créations d'emplois essentiellement précaires. Il faut aussi lui accorder le bénéfice du doute. Monsieur Trump croit sans doute que la situation actuelle n’a rien à voir avec l’automatisation, la robotisation et est uniquement le résultat de mauvaises négociations par ses prédécesseurs, rassemblés dans ce qu'il a appelé « le carnage américain » lors de son discours d'investiture.

Mais comme on le sait, le diable est dans les détails. Outre ce qui est loin d'être anecdotique, une perte de leadership étasunien alors que M. Trump se proclame patriote et veut promouvoir les intérêts de l'Amérique avant toute chose, une augmentation du droit des droits de douane poserait d’autres problèmes. Cela mettrait les États-Unis hors-la-loi (et en violation de l’accord Alena, de l’OMC en particulier). Et surtout, ces mesures porteraient préjudice aux sociétés américaines qui importent, que ce soit de Chine ou d'ailleurs et à tous les intervenants de la supply chain : pensons aux smartphones assemblés en Chine et dont la plus-value va plus à Apple qu'aux sous-traitants chinois. Vont ils laisser faire ? Et bien sûr, les consommateurs seront les grands perdants qui devront payer plus cher les vêtements, les produits scolaires et autres produits électro-ménagers.

La question est donc de savoir qui M. Trump va écouter et laquelle des différentes visions du monde qui s’affrontent autour de lui, va l'emporter. Même si elle n'est pas en position de force, celle de la majorité des élus républicains au Congrès, proche de la fondation Héritage et d'une vision traditionnelle du libre-échange va peser dans la balance. De même, les membres du cabinet sont apparus lors des auditions devant les commissions du Sénat comme étant plutôt modérés, en faveur du libre-échange, ainsi d'ailleurs que du rôle dispensable de l'OTAN et du danger posé par la Russie de Poutine qu’il ne faut pas pousser dans les bras de la Chine. Mais quel sera le poids réel des membres du cabinet (qualifié de « cabinet marécage » par certains et de « cabinet Davos » par d'autres en raison du grand nombre de millionnaires et de banquiers qui y figurent) ? Eux n’auront pas un accès permanent au président  à la différence des conseillers qui occupent les bureaux proches du Bureau ovale, le sulfureux réactionnaire Steve Bannon et le gendre Jared Kushner dont on ne connaît pas grand chose puisque ces positions n'ont pas à obtenir l'approbation des sénateurs.

Il faut craindre que les grands perdants soient justement ceux qui ont voté pour Trump et qui ont le plus grand besoin d'être aidés. Ils ont voté pour lui car il les a entendus mais aussi parce qu'il promettait de donner de grands coups de pieds dans la fourmilière de cette élite politique bipartisane qui ne les entend plus depuis des décennies.

À défaut de réussir à transformer l'Amérique, ce qui ferait de lui un président « de transformation » selon la typologie des politologues, Donald Trump  sera peut-être un « disrupter », celui qui aura bouleversé l'équilibre précaire qui a présidé à son arrivée à la Maison blanche et préparé l’arrivée d’un véritable transformateur.

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