La justice voit l'État fautif dans sa gestion du Covid. Mais n'identifie (évidemment) pas de responsables<!-- --> | Atlantico.fr
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Un autocollant indiquant "Le port du masque est obligatoire" sur la porte d'un magasin à Paris, le 13 mars 2022
Un autocollant indiquant "Le port du masque est obligatoire" sur la porte d'un magasin à Paris, le 13 mars 2022
©JOEL SAGET / AFP

Sur la tombe du coupable inconnu

Dans une décision rendue mardi 28 juin, le tribunal administratif de Paris a souligné la responsabilité de l’exécutif dans sa gestion de la crise sanitaire, lui rapprochant de ne pas avoir maintenu un stock de masques suffisant avant le début de la pandémie, puis d'avoir laissé pensé que leur port était inutile

Charles Prats

Charles Prats est Secrétaire national UDI à la lutte contre la fraude sociale et fiscale ; magistrat en disponibilité et directeur général du groupe RESOCOM - Lutte contre la fraude documentaire.

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Atlantico : Dans un jugement rendu le 28 juin 2022, le tribunal administratif de Paris retient plusieurs fautes de l’Etat dans la gestion de la crise sanitaire avant mai 2020, mais rejette la demande d’indemnisation de la plaignante. Que nous apprend véritablement ce jugement ?

Charles Prats : Le jugement du tribunal est assez simple. La justice considère que les gouvernements successifs sous François Hollande et Emmanuel Macron ont commis deux fautes majeures :

- ne pas avoir maintenu le stock stratégique de masques chirurgicaux et FFP2 au niveau nécessaire prévu par le « Plan Pandémie » ;

- avoir sciemment menti aux Français au printemps 2020 au début de la pandémie en envoyant le Premier ministre et plusieurs ministres dire en permanence dans les médias que les masques étaient inutiles.

Le rapport sur la veille et l’alerte sanitaires en France, publié par l’Institut de veille sanitaire en 2011 et le rapport annuel sur l’état de préparation mondiale aux situations d’urgence sanitaire, publié par le conseil mondial de suivi de la préparation institué en mai 2018 par le groupe de la Banque mondiale et l’Organisation Mondiale de la Santé, démontraient que le risque d’émergence d’un agent pathogène respiratoire à l’origine d’une pandémie était connu par la communauté scientifique et par les autorités sanitaires françaises. Le gouvernement français savait que les masques constituaient l’un des principaux moyens de protection dans le cadre d’une telle épidémie, en particulier dans une phase où ni vaccin ni traitement ne seraient disponibles. Le Haut conseil de la santé publique avait recommandé le 1er juillet 2011 la constitution par l’État d’un stock de masques chirurgicaux et de masques FFP2. Dès 2009, l’objectif fixé était d’acquérir un milliard de masques FFP2 et un milliard de masques chirurgicaux. Or fin 2019 le stock d’État était constitué de 117 millions de masques chirurgicaux et d’1,5 millions de masques FFP2. Le tribunal a donc logiquement constaté que les gouvernements Hollande et Macron avaient commis une faute en s’abstenant de constituer un stock suffisant de masques permettant de lutter contre une pandémie liée à un agent respiratoire hautement pathogène.

Par ailleurs tout le monde se rappelle des déclarations gouvernementales nombreuses dans les médias au cours desquelles Édouard Philippe, Premier ministre,  Sibeth N’Diaye, porte-parole du gouvernement, Agnès Buzyn puis Olivier Véran, ministres successifs de la santé, et même Christophe Castaner, ministre de l’intérieur, faisaient la leçon aux Français en leur disant qu’il n’était pas utile, pour la population générale, de porter un masque. Or, les recommandations scientifiques disponibles, en particulier celles émises par le Haut conseil de la santé publique, faisaient état de l’utilité du port de masques respiratoires par la population générale, notamment dans les transports en commun, dans l’hypothèse de la survenue d’une épidémie causée par un agent respiratoire hautement pathogène. Le tribunal a donc constaté que de telles déclarations, qui ont pu avoir notamment pour effet de dissuader la population d’avoir recours à des masques alternatifs, revêtaient, compte tenu de leur caractère contradictoire avec les données scientifiques disponibles, un caractère fautif.

En revanche le tribunal ne retient pas les autres fautes alléguées, notamment sur la stratégie de dépistage, les gels hydroalcolliques ou le retard dans la décision de confiner les populations.

Articulant un raisonnement juridique classique en matière de responsabilité pour faute, le tribunal a ensuite recherché si un lien de causalité directe suffisant existait entre les deux fautes qu’il avait caractérisées supra et le préjudice subi par le requérant. N’établissant pas un lien direct exclusif, le tribunal a donc là encore fort logiquement rejeté in fine le recours.

Mais le principal enseignement jurisprudentiel de ce jugement est bien la constatation des fautes commises par l’État Macron. La volonté de la justice d’insister sur ce point ressort clairement du communiqué de presse du tribunal administratif de Paris qui met en avant ces éléments alors même que la décision finale ne condamne pas l’État à indemniser le requérant.

Si la justice ne pointe pas nommément de coupables, autrement que par leur fonction, elle reconnaît donc le caractère fautif des déclarations sur les masques. Peut-on croire que le gouvernement et le parlement tireront des conséquences politiques de ce jugement ?

Ce qui est certain, c’est que ce jugement va avoir d’importantes conséquences juridiques pénales, alors même que c’est une décision d’un tribunal administratif.

En effet, comme l’État sort « gagnant » du procès, le requérant étant débouté sur ses demandes indemnitaires, il n’y a pas d’appel possible de la part du Gouvernement, selon le principe classique de l’appel ouvert contre le dispositif d’un jugement mais pas contre ses motifs. Or la constatation des fautes de l’État est précisée dans les motifs de la décision. Cela signifie que si le requérant ne fait pas appel, le jugement sera définitif dans deux mois et aura alors l’autorité de la chose jugée. L’État sera définitivement considéré comme ayant juridiquement commis des fautes dans la gestion du stock de masques et dans la communication au public sur l’inutilité du port de ceux-ci.

Le Gouvernement aurait bien la possibilité d’introduire devant le Conseil d’État un recours « dans l’intérêt de la loi » mais la remise en cause de l’appréciation souveraine des faits par les juges du fond serait une acrobatie juridique quelque peu hasardeuse en l’état de la jurisprudence sur l’admission des moyens dans le cadre de cette voie de recours extraordinaire.

Si ce jugement du 28 juin 2022 devient définitif et fait donc jurisprudence avec autorité de la chose jugée, il deviendra une pièce fondamentale dans la procédure ouverte devant la Cour de justice de la République contre les membres du Gouvernement poursuivis au pénal notamment pour mise en danger de la vie d’autrui. Très clairement la décision du tribunal administratif de Paris est une mauvaise nouvelle pour Agnès Buzyn, Édouard Philippe, Olivier Véran et Sibeth N’Diaye, directement mis en cause par cette décision même s’ils ne sont pas nommés dedans.

Si la France était une démocratie moderne et responsable, Olivier Véran, encore aujourd’hui ministre, devrait tirer immédiatement les conséquences de cette décision de justice en assumant sa responsabilité politique et en donnant sa démission du Gouvernement. On peut même aller au-delà et poser la question de la responsabilité politique du Président Emmanuel Macron. Car chacun sait bien que rien ne s’est fait dans la gestion de la pandémie sans l’aval de l’Élysée. C’était même le but des fameux « conseils de défense sanitaire ». Si, contrairement à ses ministres, le Président de la République est couvert par une immunité pénale, il n’empêche que sa responsabilité politique est aussi et au premier chef mise en cause par cette décision de justice qui condamne la stratégie de communication mensongère vis-à-vis des Français mise en œuvre au printemps 2020. Dans les démocraties matures d’Europe du Nord, la question de la démission immédiate du Président de la République serait évidemment posée face à un tel scandale constaté judiciairement, car n’oublions pas qu’on parle d’une pandémie qui a causé des dizaines de milliers de morts en France.

Comment expliquer le défaut de culture de la responsabilité qui existe en France ?

Peut-être parce que nous ne sommes justement pas une démocratie mature…

Comment expliquer aussi que cette décision de justice sur la gestion de la  pandémie tombe fin juin 2022 alors même que le dossier était en état d’être jugé depuis l’automne 2021 ? Quelles auraient été les conséquences politiques pour Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle si ce jugement terriblement sévère contre lui avait été connu ?

La gestion du calendrier interroge forcément.

La France n’a-t-elle pas les moyens de tenir les politiques et l’administration pour responsable de leurs actes ? Ou simplement ne cherche-t-elle pas à le faire ?

Les textes de loi existent mais encore faut-il les mettre en œuvre. Et aussi peut-être réformer le système judiciaire avec une véritable indépendance du procureur de la République. Aujourd’hui on parle des responsabilités politiques et juridiques dans la gestion de la pandémie Covid-19. Nous verrons bien si la justice pénale va au bout de l’enquête déjà ouverte devant la Cour de justice de la République et tire toutes les conséquences de ce que la justice administrative a jugé hier. Cela pourrait d’ailleurs avoir une influence importante sur l’élection présidentielle de 2027. Mais dans d’autres domaines nous avons eu de tous temps de mauvaises expériences, avec des classements d’opportunité en faveur de politiques ou de hauts fonctionnaires qui interrogeaient…

Comment pourrait-on corriger cette situation et restaurer une certaine responsabilité ? 

L’indépendance du parquet est un vieux serpent de mer. Ce serait une grande avancée.

Il serait aussi utile d’étendre la liste des associations agréées pour se constituer partie civile dans le cadre des dossiers politico-financiers, par exemple aux associations de contribuables. Et d’étendre la compétence de celles-ci au détournement de fonds publics par négligence, opportunément exclu lors du vote de la loi il y a quelques années pour mettre à l’abri les hauts fonctionnaires et politiques d’actions intentées contre le laxisme face à la gabegie.

Car en réalité la haute fonction publique et la classe politique craignent par-dessus tout la justice pénale : c’est un monde qu’ils ne maîtrisent pas. D’où cette volonté farouche de garder la main sur le ministère public et également sur le déroulement de carrière des magistrats du siège hors chefs de juridiction.

Avec les nuages judiciaires et politiques qui approchent de tous côtés, je crains cependant que ce ne soit pas demain que l’exécutif entre dans une démarche de réforme en ce sens.

Mais surtout il faudrait que les médias traitent ces informations au niveau mérité. Et que les citoyens s’en emparent. Les jours qui viennent vont par exemple être instructifs : quelle place sera accordée dans le débat public et politique à ce jugement du tribunal administratif du 28 juin 2022 qui constate que le Premier ministre et les ministres de l’époque, sous l’autorité du Président de la République, ont menti aux Français à un moment où la santé de ceux-ci était en jeu ? La réponse à cette question nous montrera la direction dans laquelle nous allons.

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