La guerre en Ukraine : questions pour le numérique ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Tribunes
La guerre en Ukraine : questions pour le numérique ?
©©JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO VIA AFP

Arme numérique

L’invasion de l’Ukraine a ouvert une série de champs de conflictualité tous azimuts entre la Russie d’une part, et l’ensemble des pays occidentaux d’autre part. Dans ce contexte, et alors que les questions économiques sont venues immédiatement sur la table, l’Europe et les États-Unis se sont lancés dans un important train de sanctions, dont en particulier le gel des avoirs de la banque centrale de Russie, dont l’idée se résume simplement : faire payer à la Russie, y compris directement à sa population, un prix économique maximal.

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard

Sébastien Cochard est économiste, conseiller de banque centrale. Il exprime ses vues personnelles dans Atlantico.

Twitter : @SebCochard_11

Voir la bio »

Si la dimension énergétique du sujet est immédiatement apparue, compte tenu de la très grande dépendance de l’Union européenne (UE) – et notamment de l’Allemagne – à l’égard de l’approvisionnement en gaz russe, il en est une autre dont l’on prend également conscience : la dimension numérique. Ce n’est pas totalement une nouveauté : combien de fois, au cours des années récentes, l’accusation d’utilisation par la Russie de l’arme numérique, à des fins de déstabilisation politique, a-t-elle été stigmatisée ? Ce conflit, comme il est logique, est l’occasion d’un formidable combat d’images et de propagande pour gagner l’opinion publique, laquelle ne s’arrête pas aux pays occidentaux mais concerne également le reste du monde, beaucoup plus réservé que nous ne le sommes.

Dans un tel contexte, alors que l’UE a fait étalage de ses fragilités dans le domaine énergétique, il faut se demander si elle est bien armée dans le domaine numérique. Ceci appelle plusieurs réflexions. 

Premièrement, l’UE a rapidement placé le sujet numérique au centre de son opposition avec la Russie. Emboitant le pas à la Présidente de la Commission européenne, Mme Von der Leyen, le Commissaire européen au marché intérieur et au numérique, Thierry Breton, s’est prononcé très rapidement pour que les grands acteurs américains du numérique se mobilisent sans réserve afin de lutter contre ce qui est jugé comme de la propagande russe. Une telle mobilisation européenne est logique. Elle n’est cependant pas, sans esprit de polémique, sans soulever quelques interrogations. Après tout, l’UE, elle ne s’en cache plus vraiment, a déployé au cours des dernières années une série impressionnante de mesures contre les mêmes entreprises américaines, dont elle attend maintenant qu’elles prennent leur part au combat mené dans le champ numérique contre la Russie. 

Deuxièmement, et plus encore, cette situation pose la question de l’état du train normatif que l’UE est en train d’adopter dans l’urgence en matière de régulation numérique. C’est notamment le cas du Digital Markets Acts (DMA). Actuellement en cours de finalisation – la Présidence française de l’UE ayant fait de son adoption rapide l’un de ses principaux objectifs– le DMA crée un « super » droit de la concurrence pour réguler ce que l’Europe appelle les « gatekeepers ». Il ne s’agit pas ici de s’interroger sur le fond du projet, mais de le remettre en perspective. En fait de contrôle de la sécurité des données, rappelons que l’article 6 du projet impose une obligation de partage des données des utilisateurs des plateformes avec les entreprises tierces. Cette obligation générale de partage, inspirée par le souci de faciliter la concurrence, signifie une chose simple : les données de millions de citoyens ont vocation à circuler. Si l’objectif peut être entendu, le risque, lui, est clairement identifié : il sera(it) extrêmement difficile de s’assurer – même si les plateformes, comme on le leur demande, s’y engagent – que ces données, ou une partie d’entre elles, ne soient pas détournées et utilisées par des acteurs extra-européens au soutien de leur propagande ou de leurs cyberattaques. Veut-on prendre ce risque ?

En définitive, pour autant que la conflictualité se déplace sur le champ numérique, il est important que l’UE, qui souhaite légitimement moderniser sa régulation, ne lâche pas la proie pour l’ombre. Si elle veut, comme elle l’estime conforme à ses valeurs, protéger les données privées de ses citoyens et éviter qu’elles ne soient détournées par des puissances tierces, elle doit prendre le temps de bâtir une régulation véritablement robuste. La guerre en Ukraine constitue un test réel à cet égard, dont il n’est pas certain qu’il sera(it) franchi.

Sébastien Cochard, économiste, ancien haut fonctionnaire à la Direction du Trésor

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !