La France peut et doit s’émanciper d’urgence de la doctrine énergétique allemande de l’UE<!-- --> | Atlantico.fr
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L'énorme programme nucléaire que ses concurrents lui envient encore, c'est par emprunt ou autofinancement que EDF l'a financé, sans que l'État français – donc le contribuable – y ait mis un sou.
L'énorme programme nucléaire que ses concurrents lui envient encore, c'est par emprunt ou autofinancement que EDF l'a financé, sans que l'État français – donc le contribuable – y ait mis un sou.
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Souveraineté

La France doit tirer sans délai de ce contexte géopolitique inquiétant la résolution d’engager à marche forcée un programme Messmer aussi ambitieux que le précédent.

André Pellen

André Pellen

André Pellen est Ingénieur d’exploitation du parc électronucléaire d’EDF en retraite, André Pellen est président du Collectif pour le contrôle des risques radioactifs (CCRR) et membre de Science-Technologies-Actions (STA), groupe d'action pour la promotion des sciences et des technologies.

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Les bruits de bottes enflant aux marges de l’Europe, le continent devenu le plus fragile de tous réalise que la ressource en hydrocarbures n’a jamais été aussi durablement précaire, pour lui tout particulièrement. C’est pourquoi la France doit tirer sans délai de ce contexte géopolitique inquiétant la résolution d’engager à marche forcée un programme Messmer aussi ambitieux que le précédent, et cesser de procrastiner la construction encore largement virtuelle de ses 6 EPR2.

Un bref résumé de la genèse allemande de la politique énergétique de l’UE

Tout commence Outre-Rhin en 1998, avec l’adoption de la loi EEG (Erneuerbare Energien Gesetz) par la coalition Verts-SPD de Gerhard Schröder, aux termes de laquelle les producteurs d’ENR vont y bénéficier d’un prix garanti pour vingt ans (Vergütungspreis). Entre alors en vigueur l’EEG-Umlage, la rémunération de la différence entre ce prix garanti et le prix du marché par nature évolutif.

En 2002, la même coalition adopte la loi de sortie du nucléaire (Atomausstieg AtG1) prévoyant l’abandon de ce dernier sous 20 ans, soit au plus tard fin 2022.

En 2009, une Angela Merkel pas dans les meilleures dispositions à l’égard de cette loi EEG arrive au pouvoir à la tête d’une coalition CDU/CSU/FDP. L’opposante n’avait-elle pas déclaré ceci en octobre 2004 : « A la longue, il y aura tellement de bénéficiaires de la politique en faveur de l’énergie éolienne que vous ne trouverez pas de majorité pour y mettre un frein » ? Elle n’imaginait pas combien l’avenir lui donnerait raison !

Pourtant, le 14 mars 2011, soit trois jours après l’accident de Fukushima, la Chancelière décidait sans appel de l’arrêt immédiat des huit réacteurs allemands les plus anciens, son ministre de l’environnement, de la protection de la nature et de la sûreté nucléaire, Norbert Röttgen, décrétant dans la foulée la fermeture de neuf autres avant 2022.

Trois années plus tard, le 1er août 2014, la nouvelle loi l’EEG 2.0 voyait le jour, dont les prescriptions ci-après demeurent en vigueur :
- Au moins 18% d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie du pays en 2020
- 40 à 45% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2025
- 55 à 60 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2035
- Au moins 80% d’énergies renouvelables dans la consommation d’électricité en 2050  

Dès le 19 décembre 1996, le Parlement et le Conseil européens avaient adopté la directive stipulant que la libéralisation par étape du marché UE de l’énergie devait être totale au 1er juillet 2007. Il en fut ainsi, puis, conformément à la directive UE de septembre 2001, le marché définitivement « unifié » de l’UE fut mis en place en octobre 2014, se fixant pour objectif au moins 27% d’EnR à horizon 2030, une augmentation de 30% de l’efficacité énergétique et la diminution de 40% des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990… Ben voyons !

Entre temps, non seulement une France zélée s’était dotée en 2010 de l’inénarrable loi NOME, mais une dérogation [à la « concurrence réputée libre et non faussée »] avait été accordée aux énergies renouvelables, au motif qu’il s’agissait d’une industrie naissante et qu’il était opportun d’aider cette industrie à accéder à la maturité. Hélas, en dépit de la déclaration ci-après du Directeur général de l’Énergie à la Commission, Philip Lowe, en janvier 2013, la dérogation a manifestement été gravée dans le marbre du tombeau de l’industrie nucléaire français : « À une époque où les renouvelables avaient besoin d’un coup de pouce, il s’est avéré nécessaire d’accorder à l’électricité renouvelable le privilège de ne pas couvrir les coûts qu’elle engendrait pour le système électrique. Ce n’est plus admissible aujourd’hui ».

Il est pourtant notoire que l’Union Européenne n’a pas de compétence explicite en matière de politique énergétique. Aux termes de l’article 194 du traité, chaque pays membre reste en effet maître de son mix énergétique. Mais, sournoise singularité du traité qu’il faut enjoindre les dirigeants français de remettre en cause (1), le droit de la concurrence échappe aux Etats : il est de la compétence exclusive de la Commission, sous le seul contrôle de la Cour de Justice Européenne. La singularité est d’autant plus suspecte d’entrisme germano scandinavo flamand, que l’énergie est l’un des rares domaines d’activités communautaires où elle s’applique. C’est donc au nom du respect de « la concurrence » que la Commission contrôle les aides d’Etat et qu’elle a le monopole d’initiative au Conseil.  

L’interventionnisme d’État dans le viseur du Parquet Énergétique de l’UE, le PEUE

Qu’a à reprocher le PEUE au plaidoyer ci-après revendiquant la récidive du programme Messmer ?

Le crime d’EDF d’avant 2007 est d’avoir été trop bon marché (2) ; circonstances aggravantes, avoir obtenu ce résultat sans la moindre subvention de l'État, malgré tout ce qu'on raconte pour sauver les apparences (3). Nationalisée certes, l’entreprise EDF n'en était pas moins une entreprise au sens plein du terme, avec ses comptes et ses résultats vérifiés par expert comptable. Et l'énorme programme nucléaire que ses concurrents lui envient encore (4), c'est par emprunt ou autofinancement qu'elle l'a financé, sans que l'État français – donc le contribuable – y ait mis un sou. Pas un sou non plus en provenance du consommateur puisque, hors certains très gros clients qui sont des cas d'espèce liés à des problèmes de financement, les tarifs d'EDF étaient (hors taxes) parmi les moins chers d'Europe : le "client" n'y a donc pas contribué non plus.

Et c'est là que gît le scandale : bien que nationalisée, EDF était une entreprise efficace, qui a su faire les bons choix au bon moment (5) et surmonter les handicaps hérités de son statut. Et surtout, elle a su rendre son personnel fier de la Maison à laquelle il appartenait ; ce qui vaut tout le reste et n'est pas si facile.

Ainsi, en 1973, l’interventionnisme de l’État français n’a-t-il consisté qu’à se porter caution de l’emprunteur EDF. En quoi la réitération d’un formalisme aussi profitable à la collectivité contreviendrait-il à la déontologie économique sur laquelle le PEUE est réputé veiller ? Surtout, on attend de ce dernier qu’il pointe les infractions recevables à la soi-disant concurrence actuellement en vigueur, dont se rendrait coupable la réitération du programme nucléaire français lancé il y a 50 ans.

Que ne devra pas manquer d’avoir à dire le PEUE sur l’affaire ci-après dont on ne doute pas que la juridiction s’auto saisira(it) ?

Siemens Energy envisage d’obtenir 16 milliards de dollars de garantie de l’État allemand (6) [comme jadis EDF en obtint une de l’État français].
[…] L'entreprise cherche à obtenir des garanties publiques pour l'aider à réaliser son portefeuille de grands projets industriels, principalement dans l'ancienne division gaz et électricité de Siemens Energy, qui construit et entretient des turbines à gaz et fabrique de grandes stations de conversion d'énergie.
[…] Les actions de la société ayant été séparée de l'ancienne société mère Siemens en 2020 ont chuté de 39 % pour atteindre un niveau record la semaine dernière, après que les discussions ont été rendues publiques, ce qui constitue le dernier coup dur après que la société a dévoilé d'importants problèmes de qualité dans son unité de turbines éoliennes Siemens Gamesa.
[…] Pour s'assurer d'obtenir les garanties nécessaires à la réalisation d’un carnet de commandes atteignant le chiffre record de 109 milliards d'euros, Siemens Energy s'est tournée vers le gouvernement.
[…] il s'agit d'une garantie financière généralement accordée par les banques concernées, assurant la viabilité de grands projets industriels s’étalant sur plusieurs années.
[…] Les banques sont toutefois devenues plus strictes en raison de la hausse des taux d'intérêt, de l'aggravation des problèmes de Siemens Energy en matière d'éoliennes et de la décision de S&P, en juillet, d'abaisser la note de crédit à long terme de l'entreprise à BBB-, soit un cran au-dessus de la cote "junk", ont déclaré deux des sources.

Soupçonnerions-nous Siemens Energy de tentative de renflouement par le gouvernement allemand ? Que ne va-t-on pas chercher là ! Toutefois, si la France peut se permettre, monsieur le juge, dans le cas où vous recevriez le principe d’une telle caution, ce dernier pays aurait-il de bonnes raisons d’espérer que vous étendiez la recevabilité à une garantie de l’État français sur le financement d’un programme nucléaire de (très) grande ampleur ?

Pendant ce temps, une politique énergétique française administrée de la pire des façons sombre dans des errements de type soviétique

À en juger par l’antagonisme se faisant jour entre le gouvernement et Luc Rémont (7), la France, état membre d’une Union Européenne à bien des égards soviétique, est en train de fossiliser l’exploitation de son remarquable outil électro énergétique dans une vaste administration de la sobriété tous azimuts au service de la lutte climatique (8) et de la sauvegarde de la cohésion UE.

Mettant en synergie l’action des ministères de la transition énergétique, de l’économie et des finances et celle de la nébuleuse d’auxiliaires publics et para publics pour la plupart orientés, le tentaculaire organisme tient désormais solidement en main les instruments CRE, EDF, RTE et autre ENEDIS lui permettant d’instaurer le socialisme du KWh et de le solidifier à l’aide de ses appareils législatifs et règlementaires en tout genre.

Chers concitoyens, la résolution dont il est question en introduction de cet article c’est Hervé Machenaud, ancien directeur exécutif de la production et de l’ingénierie du Groupe EDF, qui en parle le mieux et le plus exhaustivement dans un libre propos que je vous exhorte à télécharger et à faire connaître (9), intitulé « Souveraineté énergétique : l’impossible équation sans une forte contribution de l’électronucléaire ». À l’évidence, ce document doit être vu comme l’une des feuilles de route vers le salut, pour un pays s’acheminant en somnambule vers la banqueroute à laquelle, passée un certain seuil, la précarité énergétique le condamne immanquablement.  

(1)En faisant planer une menace de dissidence ponctuelle, quelle qu’en soit la forme, dont l’UE n’a pas les moyens de se payer le luxe de la sanction.

(2)  Cf https://www.inter-mines.org/en/revue/article/electricite-pour-qui-la-concurrence/1111

(3)  C’est absolument incontestable depuis le milieu de la décennie 70, et on rappellera ici que cela reste vrai aussi pour le passé lointain si l’on considère que les prêts du FDES, étant rémunérés, apparaissaient eux aussi comme des emprunts, vus d’EDF.


(4)
  …EDF avait reçu mission de profiter de son parc nucléaire pour rapporter des devises à la France. Il s’agissait avant la fin du XXème siècle d’exporter au moins 70 milliards de kWh par an. On y est arrivé grâce, il est vrai, à un certain ralentissement de la croissance de la consommation nationale. C’est là, avec ces 70 TWh, le fameux « suréquipement nucléaire » d’EDF dont on a tant parlé, comme si, pour une entreprise de service public, exporter de l’électricité était une activité coupable, si profitable soit-elle... Cf  Marcel Boiteux, revue Futuribles-n°331- Juin 2007-  https://www.futuribles.com/les-ambiguites-de-la-concurrence-electricite-de-fr/

(5)
On citera la méthodologie des choix des investissements et de la fixation des tarifs dans les années cinquante, le passage dès 1970 (des pionniers !) de l’analogique au numérique, le changement de filière nucléaire à la même époque, etc.

(6)https://www.zonebourse.com/cours/action/SIEMENS-AG-56358595/actualite/Pourquoi-Siemens-Energy-cherche-t-elle-a-obtenir-16-milliards-de-dollars-de-garanties-de-l-Etat--45180284/

(7)https://www.usinenouvelle.com/article/l-avenir-de-luc-remont-a-la-tete-d-edf-remis-en-cause-par-les-tensions-sur-la-regulation-des-prix-de-l-electricite.N2186523?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=info_energie-et-matieres-premieres&email=95664937&idbdd=56573

(8)https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/banques-la-fed-publie-enfin-ses-recommandations-financieres-sur-le-climat-981556.html?xtor=EPR-2-[l-actu-du-jour]-20231025&M_BT=18816351293

(9) https://www.grosfichiers.com/bJwrZmanFJn

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