La Chine tente de courtiser à nouveau l’Europe mais traîne son boulet russe<!-- --> | Atlantico.fr
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Pékin s'adresse aux Américains par le biais des Européens. La radicalisation des propos d'Antony Blinken les incite à rechercher des appuis.
Pékin s'adresse aux Américains par le biais des Européens. La radicalisation des propos d'Antony Blinken les incite à rechercher des appuis.
©Greg Baker / AFP

Faux-semblants

La Chine, qui chercherait à relancer son économie, se rapprocherait de l’Europe.

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Selon un article du New York Times, la Chine, qui chercherait à relancer son économie, se rapprocherait de l’Europe. Quelles sont les attentes de Pékin ? Comment se matérialise ce rapprochement ?

Emmanuel Lincot : Pékin s'adresse aux Américains par le biais des Européens. La radicalisation des propos d'Antony Blinken les incite à rechercher des appuis. Munich s'est ainsi transformé en champ de forces où l'on a vu successivement Chinois, Américains et Européens se prononcer sur la marche à suivre concernant la guerre menée par la Russie en Ukraine. L'avenir nous dira s'il était question d'une vraie résilience européenne ou d'un retour à un esprit munichois. Côté chinois, on tente de dissocier Bruxelles de Washington tout en légitimant l'agression russe. Et Pékin impute à Washington les origines de cette guerre. Ne soyons pas dupes : dans ses choix tactiques, Pékin y voit une porte de sortie de crise pour ses propres intérêts (les Nouvelles Routes de la soie et le retour à un glacis eurasien) tout en attirant l'ensemble des Occidentaux sur la crise en Europe pour ainsi avoir davantage les mains libres en Asie. Pékin a en tout cas réussi la première manche : jeter le trouble parmi les Occidentaux en faisant accroire que la Chine avait un plan de cessez-le-feu. Peu d'Européens y croient à l'exception notable des Hongrois. La posture chinoise permettra de dire dans un avenir proche que tout avait été essayé pour que la paix revienne alors que nous savons pertinemment qu'en l'état la paix est impossible et que la Russie s'apprête à frapper dans d'autres régions comme la Moldavie.


Dans quelle mesure les rapports entre la Chine et l’Europe - ainsi que les États-Unis - se sont-ils détériorés suite aux affirmations qui accusent Pékin de fournir des armes à la Russie, sans parler de la question des ballons espions et de Taïwan ?

La situation s'est sensiblement détériorée depuis le déclenchement de la pandémie. Les ballons espions constituent un épiphénomène car la méfiance des Occidentaux à l'encontre de la Chine est en réalité beaucoup plus profonde et le rapprochement entre Moscou et Pékin, les déclarations de leurs dirigeants respectifs lors du sommet de l'Organisation de Coopération de Shanghai de Samarkand (16 septembre 2022) qui en appelaient à un changement de l'ordre international participent d'une crainte systémique. Pékin et Moscou savent que les Européens n'ont pas une puissance de feu illimitée, que leurs stocks d'armes s'épuisent rapidement. Ils savent aussi que nos démocraties sont engluées dans des débats leur faisant perdre le sens des priorités. Bref, Chinois et Russes connaissent nos vulnérabilités. Ils savent aussi que pas un seul Français n'ira se battre pour Taïwan. Cette détérioration des relations est pour le moment favorable au duopole russo-chinois et il serait irresponsable de croire que Messieurs Vladimir Poutine et Xi Jinping veuillent aujourd'hui réunir Ukrainiens et Occidentaux autour d'une table de négociations.


Les Russes essaient-ils de tirer profit de cette situation et de faire pression sur Pékin pour éviter un rapprochement avec l’Europe ?

Vladimir Poutine veut recouvrer des zones de souveraineté perdues depuis 1991. Tout sera mis en oeuvre au Kremlin pour diviser les Européens. Les Chinois agiront de même au nom d'un seul intérêt économique. Les Russes sont obsédés par la terre; les Chinois par l'argent. Il ne faut surtout pas céder aux sirènes des uns ou des autres. Je ne pense pas personnellement qu'il soit par exemple pertinent pour le Président français d'aller en visite d'Etat en Chine comme cela semble programmé. Cela enverrait de très mauvais signes et aurait pour effet de brouiller nos rapports avec les Américains. Si Emmanuel Macron veut parler à Xi Jinping, il peut le faire à l'ONU par exemple. Il peut continuer aussi à le faire par d'autres canaux diplomatiques. Mais de là à se déplacer en Chine... Je pense que cela serait aussi prématuré qu'incongru. C'est aussi une question de statut. Si l'on veut parler de l'Ukraine aux Chinois, c'est au ministre des Affaires étrangères de le faire surtout s'il s'agit de phases préliminaires. 

Faut-il se méfier de la stratégie d'apaisement et de rétablissement de liens avec l'Europe que souhaite mener la Chine ?

Naturellement. Ces liens existent mais la distance doit être de rigueur avant de songer à l'approfondir de quelque manière que ce soit.  Chinois et Russes sont de culture communiste. Si l'on veut parler à des communistes, il faut leur parler de haut et avec rudesse. Les communistes ne vous respectent que lorsqu'on leur parle le langage de la force. Nos anciens (militaires et diplomates) en savaient quelque chose. Le monde, quoi qu'on en dise, n'a pas changé et la grammaire des hommes est toujours la même.

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