La Chine accusée de subventionner l'acier, l'Europe prête à réagir : allons-nous vers une guerre tarifaire ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La Commission européenne affirme que la Chine subventionne ses sidérurgistes de façon illégale.
La Commission européenne affirme que la Chine subventionne ses sidérurgistes de façon illégale.
©Atlantico / Marie Slavicek

Chacun son camp !

La Commission européenne a affirmé que la Chine subventionnait ses sidérurgistes de façon illégale et pourrait même inciter les Etats européens à adopter des droits de douane comme mesure de rétorsion économique.

Antoine Brunet

Antoine Brunet

Antoine Brunet est économiste et président d’AB Marchés.

Il est l'auteur de La visée hégémonique de la Chine (avec Jean-Paul Guichard, L’Harmattan, 2011).

 

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Quand un pays connaît une croissance très forte et très prolongée, ce pays s’expose à subir un déficit commercial de plus en plus marqué. C’est en tout cas ce qu’enseignent tous les manuels d’économie internationale. La Chine constitue une brillante exception à cette règle : depuis plus de 30 ans, elle réussit à renouveler un excédent commercial énorme en dépit d’une croissance de son PIB qui a fluctué entre +7 et +14% par an.

Quel est donc le secret de cette prospérité de la Chine ? La Chine a pour axe stratégique d’augmenter toujours plus sa part du marché mondial des produits manufacturés (elle en est déjà N°1 mondial en 2009 avec une part déjà égale à 14% selon le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII))C’est parce qu’elle y parvient que, d’année en année, le montant de ses exportations continue à dépasser le montant, pourtant fortement croissant, de ses importations.

Comment y parvient-elle ? En exploitant à fond, dans la concurrence qui l’oppose aux autres pays, les trois détestables privilèges commerciaux qu’elle s’est constitués :

  • Contrairement aux autres grands pays, la Chine continue à refuser tout droit civil à sa population et tout droit social à ses salariés, ce qui lui permet de maintenir ses coûts salariaux horaires extrêmement bas en termes absolus : cela se vérifie à travers une consommation qui n’y représente que 35% du PIB (à comparer à 60% au Japon, à 65% en zone euro et à 70% aux Etats-Unis et au Royaume-Uni). Avec des niveaux absolus aussi bas, la Chine est de très loin la championne du monde de l’exploitation de sa main-d’œuvre et dispose d’un avantage relatif énorme vis-à-vis de tous ses concurrents, Inde, Brésil et Turquie inclus.

  • La Chine est le seul grand pays développé à maintenir un dispositif policier de contrôle des changes, ce qui lui permet d’imposer au reste du monde que sa monnaie, le yuan, demeure sous-évalué d’environ 40% contre le dollar et d’environ 50% contre l'euro, en dépit même de ses excédents commerciaux massifs et renouvelés.

  • Depuis 2001, avec la complaisance de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la Chine continue à bénéficier d’un dispositif international de droits de douane qui est totalement asymétrique : la Chine fait subir aux produits en provenance des États-Unis et de l’Europe une taxe à l’importation pour environ 30% de leur valeur tandis que les produits que la Chine nous envoie ne sont soumis qu’à des droits de douane dérisoires. Cela lui vaut un élément supplémentaire de compétitivité-coût.

Ces trois privilèges de la Chine sont totalement inadmissibles au regard du commerce international : en en se cumulant et en se conjuguant, ils faussent complètement le jeu de la concurrence internationale. En 2012, le coût salarial horaire en Chine est encore environ 25 fois inférieur à celui de la zone euro. Comment la zone euro peut-elle durablement rivaliser avec la Chine avec un tel désavantage de coûts à quoi vient encore s’ajouter la différence en matière de droits de douanes ? Comment les entreprises des autres pays peuvent-elles réussir à bâtir dans leurs pays d’origine, des stratégies d’innovation et de développement industriel à long terme quand elles subissent un tel handicap, artificiel mais structurel, de compétitivité-coût ?

Ces trois privilèges de la Chine devraient donc être jugés inacceptables par l’Europe, les États-Unis, le Japon mais aussi par les autres grands pays comme l’Inde, le Brésil ou la Turquie. En les entérinant, tous ces pays se comportent comme des "bisounours" naïfs et crédules qui s’obstinent à croire encore que le libre-échange profitera à chacun quand en réalité le libre-échange dans des conditions aussi inégalitaires ne peut conduire qu’à la prééminence commerciale de la Chine et à la déroute commerciale des autres pays.

Et pourtant, tel n’est pas le cas. Pour toutes sortes de raisons qui sont identifiées mais qu’il serait trop long de développer ici, ces trois privilèges de la Chine restent en réalité largement entérinés par la passivité des autres pays. Et comme cela se vérifie dans toutes sortes de domaines, la passivité des uns alimente l’agressivité des autres. Depuis début 2012, la Chine a manifesté son agressivité dans le champ commercial et économique en cherchant à faire admettre un quatrième privilège en sa faveur.

Jugeant alors que la forte croissance de son PIB était menacée d’essoufflement et qu’il lui devenait par ailleurs difficile d’accentuer toujours plus son taux de pénétration du marché mondial pour renouveler son excédent commercial, la Chine tente de s’en octroyer un quatrième, devenir le seul pays à subventionner ses exportationsOn le sait, les règles de l’OMC, gardienne supposée du libre-échange mondial, consistent d’abord et avant tout à interdire les droits de douane sur les importations mais aussi les subventions à l’exportation. Comment la Chine a-t-elle donc entrepris de violer l’une de ces deux règles ?

Début 2012, Pékin annonçait publiquement, à la grande satisfaction d’ailleurs du FMI (Monsieur DSK à l’époque), un plan de relance budgétaire qui se traduisait par un gonflement significatif de ses dépenses publiques, ce dont la Chine, à la différence des pays de l’OCDE, a les moyens, munie qu’elle est d’une dette publique limitée à 30% de son PIB et de réserves de change à 5.000 milliards de dollars.

Mais ce plan avait une particularité : pour une bonne part, ce supplément de dépense publique était dédié à réduire la fiscalité applicable aux seules entreprises qui sont exportatrices. En discriminant ainsi la fiscalité entre les entreprises qui sont exportatrices et celles qui ne le sont pas, Pékin organisait donc un dispositif qui violait les textes de l’OMC interdisant les subventions à l’exportation.

Et ce plan de relance très particulier a réussi. Ceux qui annonçaient un plantage de l’économie chinoise se sont eux-mêmes plantés. Ils n’avaient pas réalisé que la tactique de Pékin consistait à subventionner ses exportations et que cette tactique s’avérerait payante : Pékin a marqué de nouveaux points à l’exportation en 2012 ; au troisième trimestre 2012, la part de la Chine dans les exportations totales mondiales a marqué un nouveau record ; l’excédent commercial total de la Chine repartait à la hausse ; la croissance du PIB cessait de ralentir pour se stabiliser au rythme enviable de 7,5% par an.

Une fois encore, la croissance de la Chine est en bonne part volée aux autres pays : reflétant l’excédent commercial de la Chine qui se regonfle, le déficit commercial global des États-Unis s’approfondit à nouveau (en dépit de l’impact spécifique mécaniquement favorable de l’exploitation du gaz de schiste), l’excédent commercial de la zone euro se lamine (alors même que la récession franche qu’elle subit désormais aurait dû mécaniquement s’assortir d’un excédent accru) et, plus spectaculairement encore, le Japon voit son traditionnel excédent commercial global se transformer brutalement en un déficit significatif. Même à l’extérieur de l’OCDE, l’Inde, le Brésil et la Turquie subissent, eux aussi, une détérioration de leur solde commercial qui n’a pas manqué de se traduire par un ralentissement spectaculaire de la croissance de leur PIB.

Il est ainsi établi que la subvention de Pékin à ses entreprises exportatrices est non seulement contraire aux règles de l’OMC mais que, sans délai, elle s’avère très nuisible aux autres pays de l’OMCEt pourtant à notre connaissance, l’institution de M. Lamy n’a toujours pas bougé. Elle aurait dû pourtant réagir sans délai à la violation délibérée de ses propres règles par Pékin.

C’est dans ce contexte très particulier que Bruxelles, pour une fois plus prompt que Washington et Tokyo, s’est emparée de ce dossier "subventions chinoises à l’exportation". On voit aujourd’hui le commissaire au Commerce extérieur, M.Karel De Gucht, qui nous avait habitué à une grande passivité à l’égard de la Chine, commencer à s’impatienter et proposer aux pays de l’Union des sanctions sur l’acier importé de Chine après en avoir proposé sur les panneaux solaires et les produits dérivés et avant d’en envisager sur les équipements téléphoniques (en quelques années, les deux nouveaux géants du secteur, Huawei et ZTE, tous deux chinois, se sont déjà emparés de 25% du marché intérieur européen).

Il est beaucoup trop tôt encore pour conclure que Bruxelles a enfin compris la nécessite de protéger les industries, les économies et les emplois des pays européens en les protégeant de la concurrence déloyale et dévastatrice de la Chine. On ne peut cependant s’empêcher de relever que ce changement d’attitude de Bruxelles intervient au moment où la nécessité d’une relance européenne est désormais devenue criante. Or il n’y aura ni reprise à court terme ni redressement à moyen terme des économies et de l’emploi en Europe si la question des relations commerciales avec la Chine n’est pas prise à bras le corps par les dirigeants européensL’heure est maintenant venue pour les gouvernements européens de manifester, en paroles et en actes, leur volonté de s’opposer aux pratiques commerciales inacceptables de Pékin.

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