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L’impact méconnu de la lecture numérique sur notre cerveau
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Effets insoupçonnés

Même si les Français ne semblent pas prêts à délaisser le livre papier, la lecture numérique prends de plus en plus d'ampleur. Et avec elle, certains effets secondaires sur notre cerveau auxquels nous n'étions pas préparés. Le circuit neuronal qui sous-tend la capacité de lecture du cerveau évolue subtilement et rapidement.

Francis Eustache

Francis Eustache

Francis Eustache est neuropsychologue. Il est directeur d'Etudes à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) et dirige l’équipe U1077 de l’INSERM de Caen, unique unité de recherche en France totalement dédiée à l’étude de la mémoire humaine. Président du Conseil Scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires, il vient de faire paraître "Mémoire et oubli" aux éditions Le Pommier.

 

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Atlantico : Le cerveau actuel lors de la lecture permet le développement de certains de nos processus intellectuels et les plus importants: savoir intériorisé, raisonnement analogique, prise de perspective, empathie et analyse critique. Avec la lecture numérique, chacun de ces processus essentiels de «lecture profonde» peut être menacé. Que sait-on des différences entre le mode de lecture classique et le mode de lecture numérique ?

Francis Eustache : C'est peut-être une question pour laquelle on n'a pas tous les éléments de réponse. Nous sommes plus aujourd'hui face à un constat qu'en mesure d'analyser parfaitement les différents mécanismes à l'œuvre. On le voit dans le titre des articles écrits sur le sujet. Parfois, les écrans sont en cause, parfois le numérique au sens large, Internet… Il n'y a pas un seul vecteur qui fait que le changement est en train de s'opérer et de s'opérer de façon rapide et massive. Il concerne quasiment tout le monde avec en premier chef les enfants qui n'ont pas connu l'avant et qui peuvent être plus concernés que nous. C'est beaucoup plus difficile pour eux de comprendre et d'analyser ce qu'il se passe et c'est pour ça que nos sociétés doivent réagir. L'école en premier lieu. Il y a un certain nombre de chercheurs qui se mobilisent en ce domaine. Les pouvoirs publics ont une prise de conscience de ce problème.
Physiquement, on sait que l'écran est négatif sur la rétine, qui s'accompagne d'effets négatifs sur le sommeil. Le sommeil qui, on le sait, joue un rôle important dans la qualité et la consolidation des apprentissages). Cet aspect est très important, cela va avoir des effets sur la gestion de la tension. Le cœur du sujet est là. La tension nous permet de traiter des informations en profondeur, c'est la concentration. Le physique permet un usage matériel plus propice à la concentration par rapport au numérique. Le numérique pour des raisons qui sont certainement multiples (aspect physique du matériel, présentation du document et conditionnement pour une utilisation rapide…).

Des recherches nous ont appris que le circuit de lecture n’est pas donné aux êtres humains par le biais d’un plan génétique tel que la vision ou le langage. Celui-ci a besoin d'un environnement pour se développer. En outre, il s'adaptera aux exigences de cet environnement. Quelle est le risque d'utiliser exclusivement ce mode de lecture numérique qualifié de lecture rapide ?

Le conditionnement pour une lecture rapide du numérique va nous donner une propension à faire des lectures rapides. Cela peut avoir un intérêt, comme gagner du temps sur des documents qui n'ont pas d'intérêt majeur. Mais le problème c'est qu'in fine, on va avoir tendance à ne plus utiliser que ce mode de lecture au détriment d'un mode de lecture profond qui permet de s'appesantir sur le texte et valorise un certain nombre de fonctions mentales importantes (discernement, mise en perspective…) qui vont prendre un rôle important dans nos prises de décision et dans la compréhension de l'autre.
On peut dire que notre système éducatif a valorisé le livre et l'enseignement sur des temps longs. Cela ne veut pas dire que l'enseignement mettait de côté la rapidité, mais il se tournait vers des textes fondamentaux. On est plutôt sur un paradigme qui privilégie la rapidité. Ce sont deux types d'intelligences différentes. Il y a une intelligence fluide d'un côté qui permet de gérer des informations rapidement et de l'autre une intelligence cristallisée qui est plus dans le durable et qui permettra de construire des convictions. Traiter l'information en profondeur, c'est forger une synthèse des connaissances que l'on acquiert au fil du temps qui viennent de nos expériences personnelles et que l'on essaye de comprendre et de rattacher les unes par rapport aux autres.

Sherry Turkle, chercheuse au MIT, a déclaré ceci : " en tant que société, nous ne nous trompons pas lorsque nous innovons, mais lorsque nous ignorons ce que nous perturbons ou diminuons en innovant.". Au final, la lecture numérique est-elle une innovation mal contrôlée ?

Toutes les grandes innovations, tous les grands progrès techniques, ont leurs travers. La voiture est un immense progrès en termes de libertés, de développement, mais en même temps ce sont de grandes contraintes. La lecture numérique de même manière est un progrès considérable, un moyen d'accès à la connaissance aisé. Mais en même temps son utilisation inconsidérée pose problème, car elle conduit à cette utilisation d'une lecture qui est une lecture qui traite l'information uniquement en surface ou quasi uniquement en surface.

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