L’espérance de vie atteint son record historique en France et voilà ce que ça dit… ou pas de l’état du pays <!-- --> | Atlantico.fr
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Pour la première fois, l'espérance de vie des hommes a atteint le seuil symbolique des 80 ans en France.
Pour la première fois, l'espérance de vie des hommes a atteint le seuil symbolique des 80 ans en France.
©Flickr

Autre chiffre passé inaperçu

Certains se sont inquiétés de l’impact de la vaccination anti-Covid, d’autres du recul du système de soins, de la montée de la pauvreté ou de la solitude, de l’impact des canicules etc. Et pourtant on n’a jamais vécu aussi vieux en France.

Atlantico : L’Insee vient de publier son bilan démographique de la France, qui fait montre d’une situation relativement inquiétante pour l’Hexagone puisque, une fois de plus, le taux de natalité apparaît en berne. Pourtant, un autre élément important devrait interpeller : l’espérance de vie record dont il est aussi question dans le rapport. Comment l’expliquer ?

Laurent Chalard : Il convient de rappeler les chiffres. Pour la première fois, l'espérance de vie des hommes a atteint le seuil symbolique des 80 ans en France. C'est totalement inédit. Parallèlement, l'espérance de vie des femmes a atteint 85,7 ans. Il faut savoir que ces chiffres sont supérieurs aux derniers chiffres record d'espérance de vie, datant de 2019, c'est-à-dire avant la crise du Covid. En 2019, l’espérance de vie des hommes était de 79,7 ans et pour les femmes de 85,6 ans. Le nouveau record d'espérance de vie historique a été battu en France en 2023. C’est une très bonne nouvelle dans le contexte d'un bilan démographique qui est plutôt morose du fait de la chute de natalité. Alors comment l'expliquer ? Les personnes qui arrivent au grand âge sont des personnes issues des générations du baby-boom. Depuis qu'il y a des êtres humains en France, aucune génération n'a bénéficié de conditions de vie aussi bonnes que la génération du baby-boom. Ces personnes sont nées après la Seconde Guerre mondiale et n’ont pas subi les conséquences du conflit, que ce soit des conséquences directes ou des conséquences indirectes sur le plan sanitaire. 

Premièrement, ces générations ont bénéficié pleinement du développement économique des Trente Glorieuses, la massification des biens matériels et l'apparition d'un mode de vie consumériste ont permis à la majorité de la population de sortir de la pauvreté. Deuxièmement, elles ont pleinement bénéficié des progrès médicaux, en particulier concernant les maladies infectieuses. Si le Covid a été une exception parce que c'était une maladie nouvelle, il n'y a quasiment plus de mortalité liée aux maladies infectieuses grâce aux antibiotiques. C’était une des grandes victoires post-Seconde Guerre mondiale. Au-delà de la lutte contre les maladies infectieuses, qui aujourd'hui est ancienne, des progrès significatifs ont été réalisés au niveau du traitement des maladies cardiovasculaires grâce à la chirurgie cardiaque. C’est le cas aussi des cancers. Si bien entendu, ces derniers restent l'une des principales causes de mortalité de la population, aujourd'hui, avoir un cancer n'est plus synonyme systématiquement de décès. Auparavant, quand les gens avaient un cancer, le diagnostic était fatal à tous les coups. Actuellement, même si beaucoup de cancers ne sont pas forcément soignés, les patients sont en rémission : leur cancer est stabilisé et cela leur permet de vivre encore 15 ans ou 20 ans avec. Cela augmente leur expérience de vie. L'exemple type est le cancer de la prostate. Très répandu chez les hommes, s’il est traité à temps, ils peuvent encore avoir une espérance de vie conforme au reste de la population, alors qu'avant, ce n'était pas le cas. C'est la même chose pour les femmes atteintes de cancer du sein.

Voilà les progrès de la médecine au cours des dernières décennies. Ils contribuent à ce que les générations du baby-boom, qui arrivent à des âges avancés, aient des records d'espérance de vie. Il faut bien comprendre que les générations précédentes, en particulier la génération des années 1930, ont été très touchées par le Covid, constituant la majorité des personnes décédées de cette pathologie en 2020-2021.  Les personnes nées dans les années 1930 ont connu la seconde guerre mondiale et la tuberculose, qui n'était pas soignée, dans leur jeunesse. Les conditions de vie étaient donc beaucoup plus dures, en particulier pour les jeunes, contrairement à la génération du baby-boom pour qui la vie aura été à l'échelle des temps historiques, jusqu'ici, un long fleuve tranquille. Voilà pourquoi il y a un record d'espérance de vie en 2023, après l'épisode du Covid. Ce dernier apparaît comme un événement exceptionnel, conjoncturel, lié à l'apparition d’une nouvelle maladie qui a temporairement limité l’espérance de vie. 

Si nous regardons sur un temps un peu plus long, sur 10 ans, l’espérance de vie des hommes a augmenté de 1,3 an entre 2013 et 2023, ce qui fait une augmentation de l’espérance de vie d’un mois par an.  Pour les femmes, cette hausse a été de 0,7 an. Elles sont sujettes à un effet de seuil, par leur consommation de tabac, en particulier chez les jeunes, ce qui augmente le nombre de cancers des poumons. Cela vient briser la poursuite de la hausse de l’espérance de vie.

Si le taux de jeunes femmes qui fument était resté semblable à celui des femmes de 80 ans, l’espérance de vie aurait probablement progressé comme chez les hommes. En regardant par rapport à 2003, l’espérance de vie a augmenté de 4,2 ans chez les hommes et de 2,8 ans chez les femmes. Ce progrès dénote avec la stagnation qu’il peut y avoir dans certains pays anglo-saxons.

Que peut-on dire du bilan démographique ? Faut-il se réjouir de l’augmentation de cette espérance de vie, avec la baisse du taux de natalité ?

La chute de la natalité n’est pas une bonne nouvelle, étant donné son ampleur. Le solde naturel est au plus bas. Cependant, le bilan démographique a une note positive avec l’amélioration de l’espérance de vie.

Cette espérance de vie record contrevient-elle aux divers discours que l’on entend régulièrement au sujet du mode de vie des Français qui ne serait pas sain (ils boivent trop, fument trop, ne mangent pas correctement, entre autres) ? Quelle lumière le bilan de l’Insee jette-t-il sur ce type d’injonctions ?

Aujourd’hui, nous sommes dans la société du zéro risque qui va inciter les gens à adapter les comportements qui vont faire disparaître les risques. En termes de santé, il s’agit de faire disparaître le risque de maladie potentiellement mortelle avant l’âge canonique. Cela signifie limiter les cancers et les maladies cardio-vasculaires en agissant sur les comportements. Aujourd’hui, à peu près la moitié de la mortalité liée aux cancers est due aux comportements. Ce n’est pas donc pas dû uniquement à la génétique ou à la pollution. Dans un souci d’amélioration de la santé, il est compréhensible que l’état donne des injonctions pour améliorer les comportements. Nous pouvons incriminer la consommation d’alcool et de tabac qui sont toutefois des facteurs très anciens. Jusque dans les années 1950, la France était le premier pays consommateur d’alcool au monde. Or, depuis cette époque, la consommation moyenne d’alcool a diminué et le pourcentage de fumeurs chez les hommes a baissé. Les évolutions sont positives et elles expliquent l’augmentation de l’espérance de vie. Malgré tout, tous les problèmes sont loin d’avoir été réglés : il y a encore beaucoup de fumeurs et de consommateurs excessifs d’alcool. La tendance reste positive sur ces deux plans, avec le passage d’une consommation d’alcool quotidienne à occasionnelle, même si elle est trop forte. Par conséquent, aujourd’hui, le corps n’est presque plus imprégné d’alcool en permanence chez un individu. Il y a toujours des consommations massives chez certains, mais elles se font beaucoup plus rares. En définitive, la consommation moyenne a diminué.

Pour contrevenir aux divers discours entendus et aux différentes injonctions, nous constatons que ce sont les gens qui ne faisaient pas encore montre de ces bonnes habitudes qui bénéficient de l’augmentation de l’espérance de vie, et que ce sont les générations prochaines qui risquent de souffrir de certains problèmes. 

Sur la consommation d’alcool et de tabac, les tendances n’étant pas mauvaises, il n’y a pas de raison que l’amélioration ne se poursuive pas, d’autant plus que les progrès médicaux peuvent permettre d’augmenter les taux de rémission des cancers qui pour beaucoup sont liés à ces consommations. Concernant la nourriture, c’est l’explosion de l’obésité et du surpoids chez les jeunes générations qui joue un rôle dans l’évolution inquiétante de la santé des français. Ce phénomène a une vingtaine d’années. Le basculement d’une alimentation méditerranéenne pour la moitié sud du pays à une alimentation anglo-saxonne constituée de plus en plus de produits transformés conduit à une augmentation du surpoids et de l’obésité. La conséquence est une explosion du diabète qui nuit à l’espérance de vie. C’est le cas des Etats-Unis où l’espérance de vie a stagné depuis ces dernières années contrairement à la majeure partie des pays développés.

Il s’agit du principal risque au niveau de l’espérance de vie pour les jeunes générations. Cependant, il convient de rappeler que cet impact sur l’espérance de vie ne viendra que beaucoup plus tard, dans 20 ou 30 ans. Aujourd’hui, les générations du baby boom sont peu concernées par ces problématiques, donc nous n’en voyons pas de conséquence dans les chiffres.

Ces précédentes années ont été marquées par la crise sanitaire. Assiste-t-on à un effet rebond, qui explique la situation d'aujourd'hui ?

Certainement. En regardant l’évolution entre 2022 et 2023, nous avons gagné plus d’une demi-année d’espérance de vie. C’est très supérieur à ce qui était constaté les années précédents le Covid où la moyenne était de près d’un mois par an. Cette hausse exceptionnelle est liée à l’effet rebond après trois mauvaises années, ce qui n'est pas une surprise. Le caractère surprenant, c'est que cet effet rebond a eu lieu seulement en 2023 et non dès 2022, qui a aussi été une année de forte mortalité, ce qui reste encore difficile à expliquer car l’épidémie de Covid avait été moindre que durant l’année 2020-2021, d’autant plus que la population avait été vaccinée.  Cela peut s’expliquer par le fait que l’épidémie de covid a pu fragiliser les personnes très âgées. De plus, les personnes en réanimation ont été sujettes à une forte mortalité, les mois suivants l’intervention. C’est peut-être une conséquence indirecte de nos systèmes de santé meilleurs qu’auparavant : ils ont pu prolonger un peu la vie des personnes malades pour environ un ou deux ans de plus, ce qui a pu étaler la mortalité du covid sur 3 ans, alors que précédemment la mortalité aurait été beaucoup plus concentrée temporellement. Si cette hypothèse venait à se confirmer, notre politique sanitaire a conduit à un étalement de la mortalité du covid, ce qui était le but recherché par l'Etat pour ne pas avoir une trop forte concentration de malades dans les hôpitaux au même moment.

Dans quelle mesure l’espérance de vie observée peut s'avérer paradoxale avec la baisse du taux de natalité ?

Dans un contexte médiatique anxiogène et décliniste qui est celui de la France, un tableau très noir est brossé sur le plan géopolitique, écologique, économique, politique et sanitaire. Sur ce dernier plan, cela concerne les problèmes dans les hôpitaux, la fermeture de lits ou encore la dégradation de la qualité de la médecine de ville. Ce contexte anxiogène engendre une peur de l’avenir dont la baisse de la natalité constitue une conséquence directe. L’impact est majeur sur ce plan mais pas sur l’espérance de vie. Il faut distinguer ce qui relève de l’anxiété et de la réalité du terrain. Les enquêtes sur le moral et la perception de l’avenir montrent que la France est le pays où la population est la plus mécontente au monde. Les français sont les plus déprimés. Pourtant ce ressenti ne correspond pas forcément à la réalité de la situation économique et des conditions de vies objectives de nos concitoyens. Pour autant, je ne dis pas que tout va bien. Simplement la situation n’est pas aussi noire que la population le perçoit.

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