L’éléphant et la taupe nue même combat : comment ils trompent le cancer grâce à leurs cellules (et ce que cela nous apprend sur les recherches concernant celui de l’homme)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les gènes de l'éléphant peuvent fournir un indice crucial dans la lutte contre le cancer humain.
Les gènes de l'éléphant peuvent fournir un indice crucial dans la lutte contre le cancer humain.
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Pistes contre le cancer

Les animaux sont une ressource fondamentale dans le cadre de la lutte contre cancer. L'éléphant et la taupe nue par exemple disposent de caractéristiques physiologiques qui permettent d'envisager des traitements efficaces.

Roland Moreau

Roland Moreau

Roland Moreau est biophysicien et inspecteur général des Affaires sociales.

Il a notamment écrit L'immortalité est pour demain (Bourin Editeur, 2010). 

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Atlantico : Une étude récente vient de démontrer que les gènes de l'éléphant peuvent fournir un indice crucial dans la lutte contre le cancer humain. Pouvez-vous nous expliquer précisément la teneur de ces conclusions ?

Roland Moreau : Le point de départ de cette étude découle de la constatation générale suivante : plus le poids d’un animal est élevé, plus sa longévité est grande et moins il risque d’être atteint d’un cancer. Or c’est le contraire que l’on devrait observer. Plus le nombre de cellules est élevé, plus le risque de mutation des cellules devrait être élevé. C’est ce que l’on appelle le "paradoxe de Peto". C’est un paradoxe bien connu mais auquel il n’y a pas d’explication.

Récemment, des chercheurs ont analysé les causes des morts de 600 éléphants et les ont comparées à celles de 34 autres mammifères. Le résultat est surprenant : 5% seulement des éléphants meurent d’un cancer alors que ce taux s’élève à plus de 25% pour les humains.

En toute rigueur, il faudrait prendre en compte ce que l’on appelle les cancers évitables de l’homme qui s’élèvent à plus de 50% selon une statistique récente de l’American Association of Cancer Research. En d’autres termes, si les humains ne fumaient pas, s’ils réduisaient leur alimentation et leur consommation de sucre et s’ils devenaient moins sédentaires, le taux de décès par cancer serait seulement de 12%. Le chiffre serait tout de même supérieur à celui des éléphants.

Pour tenter de comprendre cette différence, les chercheurs ont étudié les gènes de réparation de l’ADN qui permettent d’éviter le dérèglement des cellules qui est à l’origine du cancer. Ce gène – appelé TP53 – existe à une vingtaine d’exemplaires chez l’éléphant alors que les humains n’en possèdent qu’un seul. Le nombre important de TP53 chez l’éléphant permet de réparer les cellules en voie de cancérisation et d’éliminer les cellules cancereuses.

Olivier Delattre : Le gène TP53 est un gène bien connu comme étant un gène protecteur du processus de cancérisation. C’est un gène de sauvegarde cellulaire. Il est mis en jeu lorsqu’il y a un stress au niveau de la cellule. Il a pour but de détruire la cellule - si le stress est trop important – ou d’arrêter le phénomène de prolifération pour prendre le temps de réparer la cellule.

D'autres animaux sont-ils étudiés de près dans le cadre de la lutte contre le cancer ?

Roland Moreau : D’autres animaux sont en effet étudiés pour tenter de savoir pourquoi les gros animaux sont moins atteints de cancers que les êtres humains. Une étude très récente de l’Institut pour la Recherche et le Développement de Montpellier a émis l’hypothèse que l’augmentation du gène suppresseur des tumeurs était trop dangereuse d’un point de vue évolutif car ce gène a un effet négatif sur la reproduction. En d’autres termes, si l’on réduisait le cancer par le biais de ces gènes, cela réduirait la reproduction. La nature fait toujours des choix pour sa survie.

Certaines études tendent aussi à montrer que le métabolisme plus lent des gros mammifères diminue les phénomènes d’oxydation des cellules qui sont en grande partie à l’origine de la cancérisation. De telles expériences sont menées à la fois sur des éléphants et des baleines.

D’autres travaux sont menés dans le cadre de la réparation de l’ADN. Celle-ci est particulièrement efficace chez certaines espèces telles que la bactérie Déinococcus Radiodurans qui résiste à des températures extrêmes et à des doses d’irradiation 10 000 fois plus élevées que la dose mortelle chez l’homme. Cette bactérie – qui est de ce fait immortelle – a été découverte au Sahara. C’est le principal sujet de recherche de Miroslav Radman à l’université Paris-Descartes qui espère trouver ainsi des molécules qui protègeraient les cellules humaines de la corrosion, du cancer et du vieillissement.

Dans un autre domaine que le cancer, certains animaux – notamment la salamandre – possèdent la propriété de régénérer une partie de leur corps lorsqu’elle est sectionnée. D’autres se régénèrent intégralement y compris lorsqu’ils sont décapités et peuvent donc être considérés comme immortels. Ces animaux font l’objet de très nombreuses recherches afin d’identifier les gènes qui interviennent dans la régénération.

Olivier Delattre : Il y a une disparité importante entre les animaux face au risque de développer un cancer. La taupe nue – qui est une taupe sans poil – est très intéressante à étudier dans le cadre de la lutte contre le cancer car ce petit animal ne développe quasiment jamais de cancer. L’une des explications proposées est que le tissu – la matrice extracellulaire, qui entoure la cellule – a des propriétés un peu différentes de celles que l’on trouve chez d’autres animaux. Pour qu’il y ait un cancer, la cellule cancéreuse doit pouvoir envahir les tissus. Le tissu de la cellule chez la taupe nue semble empêcher cet envahissement.

Qu'impliquent ces résultats dans le cadre de la recherche contre le cancer chez l'homme ? De quelle manière  passe-t-on de telles conclusions chez certains animaux à un traitement opérationnel pour l'homme ?

Roland Moreau : L’ensemble de ces résultats ont évidemment pour but de trouver de nouvelles voies de recherche en cancérologie humaine. Il faut toutefois être très prudent dans la possibilité d’application humaine. Il ne faut jamais oublier qu’en raison de l’hétérogénéité génétique un gène ne correspond pas à une seule fonction. C’est ainsi par exemple que l’introduction de gènes qui multiplient par 3 la longévité d’une souris entraîne le nanisme et la stérilité de la souris. Cela signifie qu’un même gène provoque des effets multiples, qui sont parfois très fâcheux.

Des bactéries ultra-résistantes - quasi immortelles – aux éléphants et à la baleine, les animaux sont une source de recherche très prometteuse pour trouver des modèles de prévention et de traitement des cancers. Mais des résultats concrets ne sont guère envisageables avant des dizaines d’année.

Olivier Delattre : Dans l’ensemble, les études que nous avons mentionnées plus haut n’ont pas encore donné lieu à des applications chez l’homme. En revanche, leurs conclusions constituent des orientations de recherche.

On connaît très bien la TP53 comme étant un gène dont l’absence prédispose au cancer. C’est un gène supresseur de tumeur, un gène de sauvegarde qui a en particulier pour fonction soit d’arrêter soit de détruire les cellules cancereuses. Il y a donc plusieurs drogues qui sont en cours de développement dans l’objectif de rendre la TP53 plus active.

De même, des travaux sont en cours afin de modifier la matrice extracellulaire chez l’homme par des drogues.

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